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Rapport | Doc. 14399 | 20 septembre 2017

Évaluation du partenariat pour la démocratie concernant le Parlement de Jordanie

Commission des questions politiques et de la démocratie

Rapporteure : Mme Josette DURRIEU, France, SOC

Origine - Renvoi en commission: Décision du Bureau, Renvoi 4182 du 29 janvier 2016. 2017 - Quatrième partie de session

Résumé

Il y a presque deux ans, l'Assemblée parlementaire adoptait la Résolution 2086 (2016) et accordait au Parlement de Jordanie le statut de partenaire pour la démocratie. Il est maintenant temps de faire le bilan des progrès réalisés dans la mise en œuvre des engagements politiques contractés par ce parlement et des réformes dans les domaines mentionnés dans la résolution.

La Jordanie va dans la bonne direction même si les réformes avancent plus lentement que prévu. Alors que son statut de partenaire pour la démocratie est confirmé, le Parlement de la Jordanie est instamment invité à intervenir auprès des autorités pour mettre un terme aux exécutions et réinstaurer le moratoire en attendant l’abolition de la peine de mort et pour intensifier la révision du Code pénal en vue d’abolir la discrimination à l'égard des femmes.

L’Assemblée ne devrait surtout pas abandonner la Jordanie en ces moments difficiles mais continuer à l’accompagner vers cette démocratie à laquelle elle aspire et cet État de droit qu’elle bâtit patiemment.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 6 septembre
2017.

(open)
1. Le 26 janvier 2016, l’Assemblée parlementaire adoptait la Résolution 2086 (2016) sur la demande de statut de partenaire pour la démocratie auprès de l’Assemblée parlementaire présentée par le Parlement de Jordanie, par laquelle elle octroyait à celui-ci le statut de partenaire pour la démocratie. Le Parlement de Jordanie est ainsi devenu le quatrième parlement à demander et à se voir attribuer ce statut mis en place par l’Assemblée en 2009 pour développer la coopération institutionnelle avec les parlements d’Etats voisins du Conseil de l’Europe.
2. En adressant sa demande officielle pour obtenir ce statut, le Parlement de Jordanie a déclaré qu’il partageait les mêmes valeurs que celles défendues par le Conseil de l’Europe et a pris une série d’engagements politiques, conformément à l’article 64.2 du Règlement de l’Assemblée. Ces engagements sont énoncés au paragraphe 3 de la Résolution 2086 (2016).
3. En outre, l’Assemblée a estimé, au paragraphe 9 de la résolution susmentionnée, qu’un certain nombre de mesures spécifiques étaient essentielles pour renforcer la démocratie, l’État de droit et le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales en Jordanie. Elle a souligné que l’avancement des réformes était le but principal du partenariat pour la démocratie et constituait le critère d’évaluation de l’efficacité de ce partenariat.
4. L’Assemblée juge important que les Jordaniens veuillent moderniser et stabiliser leurs institutions politiques pour se positionner fermement sur la voie démocratique. Elle suit avec attention les réformes constitutionnelles, institutionnelles, politiques et juridiques qui continuent d’être poursuivies en Jordanie, sous l’impulsion du Roi Abdallah II, malgré l’instabilité dans la région et aux frontières du pays.
5. Comme l’Assemblée l’a déjà souligné, la guerre en Syrie a provoqué un afflux sans précédent de réfugiés en Jordanie. Ce petit pays fait un effort considérable pour les accueillir dans des conditions convenables. L’Assemblée félicite de nouveau vivement la Jordanie pour ses efforts et son hospitalité exemplaire. Elle appelle une fois de plus instamment la communauté internationale à accroître son soutien aux autorités jordaniennes, soit directement, soit par le biais des organisations internationales actives sur le terrain et note avec satisfaction que plus de 700 millions d’euros ont été alloués à la Jordanie par l’Union européenne.
6. Dans ce contexte, l’Assemblée:
6.1. se félicite des efforts déployés par le Parlement de Jordanie pour chercher à respecter les engagements politiques pris en tant que partenaire pour la démocratie, malgré les difficultés et obstacles liés à l’instabilité dans la région;
6.2. considère comme positive la poursuite des réformes constitutionnelles, institutionnelles, politiques et juridiques et notamment dans les domaines judiciaire, des partis politiques, de la décentralisation et de l’éducation, et encourage la Jordanie à poursuivre dans cette voie;
6.3. se félicite de l’adoption de la nouvelle loi électorale et de la tenue d’élections législatives anticipées le 20 septembre 2016, qu’elle avait été invitée à observer. Elle a regretté le faible taux de participation mais a noté avec satisfaction que ces élections ont été libres et bien organisées même si les forces tribales et financières sont restées dominantes. Notons aussi le fait que la représentation des femmes au parlement a sensiblement progressé;
6.4. regrette que l’article 6.1 de la Constitution, qui établit une discrimination envers les femmes, n’ait pas été révisé;
6.5. se félicite de la modification du Code pénal, notamment de la suppression de l’article 308 qui stipulait qu’un violeur ne sera pas sujet à des poursuites judiciaires s'il épouse sa victime;
6.6. reconnaît les efforts entrepris, notamment par les organisations de femmes, pour promouvoir la participation des femmes à la vie politique et à la vie publique, pour lutter contre la discrimination fondée sur le genre, pour assurer une égalité effective entre les femmes et les hommes, et pour lutter contre la violence sexiste. Elle appelle les autorités jordaniennes à agir de manière résolue contre ce fléau, en coopération avec la société civile et plus spécifiquement les organisations de femmes;
6.7. regrette que les tribunaux aient continué de prononcer des condamnations à la peine capitale, en dépit de la mise en place, depuis 2006, d’un moratoire de fait sur les exécutions. En décembre 2014, la Jordanie avait procédé à la pendaison de 11 hommes, un mois plus tard elle a exécuté deux prisonniers et le 4 mars 2017, elle a encore procédé à l’exécution de 15 personnes. L’Assemblée condamne fermement toute forme de peine capitale. Elle invite instamment le Parlement de Jordanie à intervenir auprès des autorités pour mettre un terme aux exécutions et à réinstaurer le moratoire en attendant l’abolition de la peine de mort dans le Code pénal, conformément à l’attente de l’Assemblée lors de l’octroi du statut de partenaire pour la démocratie;
6.8. salue le caractère généralement libre et pluraliste des médias en Jordanie, mais déplore une certaine pression des autorités qui mène à l’autocensure;
6.9. note positivement les efforts menés dans la lutte contre la corruption et le blanchiment d’argent. Ces efforts sont à soutenir et à poursuivre;
6.10. note que des élections locales ont eu lieu en Jordanie le 15 août 2017, selon la nouvelle législation de décentralisation.
7. L’Assemblée appelle le Parlement de Jordanie à accélérer la mise en œuvre de son engagement général pour la promotion des valeurs fondamentales de l’État de droit et du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, tout en s’attelant résolument aux problèmes qui existent dans ces domaines, y compris ceux que signalent les organisations de la société civile et les médias. L’Assemblée offre, selon la demande, son assistance à la délégation jordanienne afin qu’elle puisse exercer pleinement son droit de participation aux travaux de l’Assemblée.
8. L’Assemblée rappelle qu’en accordant le statut de partenaire pour la démocratie au Parlement de Jordanie, elle souhaitait favoriser le rapprochement et la coopération entre la Jordanie et le Conseil de l’Europe. Ces relations ne se sont toutefois pas établies réellement. L’expertise des organes du Conseil de l’Europe (Assemblée, Secrétariat, Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise), Congrès des pouvoirs locaux et régionaux) pour aider au renforcement des droits de l’homme, de l’État de droit et de la démocratie en Jordanie est à la disposition des autorités jordaniennes.
9. L’Assemblée note avec regret que depuis l’octroi du statut de partenaire pour la démocratie, la Jordanie n’a adhéré à aucune convention ou accord partiel du Conseil de l’Europe pas plus qu’aux instruments internationaux pertinents en matière de droits de l’homme, comme l’Assemblée l’avait demandé.
10. Cependant, l’Assemblée salue la participation active de la délégation parlementaire jordanienne aux travaux de l’Assemblée et de ses commissions. Cela permet à l’Assemblée de se tenir informée de l’évolution politique du pays dans le sens des valeurs défendues par le Conseil de l’Europe. Elle encourage les membres de la délégation à rester vigilants sur la mise en œuvre du processus de réformes nécessaires à l’établissement de l’État de droit, au respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, conformément aux engagements pris dans le cadre du partenariat.
11. Même si les réformes avancent plus lentement que prévu, des réformes essentielles ont été réalisées, tant au plan de la démocratie et des élections prévues qu’au plan de la décentralisation ou au plan social (lois favorables aux femmes). Il faut donc soutenir la Jordanie en ces moments difficiles et poursuivre et élargir notre accompagnement dans une démarche progressive et de confiance vers plus de démocratie et plus de droits. La Jordanie et l’Europe ont tout à gagner de ce partenariat. La Jordanie est sur la bonne voie.
12. En conclusion, l’Assemblée décide de continuer à suivre de très près la mise en œuvre des réformes en Jordanie et d’offrir toute son assistance au Parlement jordanien. Elle réévaluera ce partenariat dans un délai de deux ans à compter de l’adoption de la présente résolution.

B. Exposé des motifs, par Mme Josette Durrieu, rapporteure

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1. Introduction

1. En adoptant, le 26 janvier 2016, la Résolution 2086 (2016) octroyant le statut de partenaire pour la démocratie au Parlement de Jordanie, l’Assemblée parlementaire prenait note des engagements pris par les Présidents des deux chambres du Parlement de Jordanie; appelait ce parlement à prendre des mesures concrètes et décidait de faire, au plus tard deux ans après l’adoption de la résolution, le bilan des progrès réalisés dans la mise en œuvre des engagements politiques contractés par le Parlement de Jordanie et des réformes dans les domaines mentionnés dans la résolution.
2. Le 21 avril 2016, la commission des questions politiques et de la démocratie m’a nommée rapporteure sur «L’évaluation du partenariat pour la démocratie concernant le Parlement de Jordanie» avec la tâche de vérifier dans quelle mesure la Jordanie a respecté ses engagements et tenu compte des recommandations de l’Assemblée.
3. Dans le cadre de la préparation de mon rapport, je me suis rendue en Jordanie du 2 au 4 mai 2017. J’avais auparavant participé à l’observation des élections législatives anticipées du 20 septembre 2016 et je me suis rendue à nouveau dans le pays du 10 au 11 septembre 2017 pour vérifier sur place les résultats des élections locales du 15 août 2017 qui mettent en place la décentralisation. Je présenterai un addendum à ce rapport avant qu’il soit débattu par l’Assemblée en octobre 2017.

2. Contexte

4. La situation de la Jordanie n’a pas beaucoup changé depuis janvier 2016. Il y a toujours quelque 2 millions de réfugiés en Jordanie, dont 650 000 réfugiés syriens, et leur situation ne s’est pas améliorée. La guerre continue en Syrie et la Jordanie continue d’en subir l’impact direct aux plans politique, économique et social. Les menaces terroristes sont toujours présentes.
5. L'économie de la Jordanie est l’une des plus faibles du Moyen-Orient. Le pays manque des ressources essentielles: l’eau, le pétrole et autres ressources naturelles. Cela implique une forte dépendance du pays à l'égard de l'aide étrangère. La Jordanie doit également faire face à d’autres défis économiques comme un taux de pauvreté chronique élevé, le chômage (surtout des jeunes) et le sous-emploi. Les déficits budgétaires sont lourds et la dette publique croissante.
6. La Jordanie dépend presque totalement de l'énergie importée – principalement du gaz naturel – ce qui représente entre 25 % et 30 % de ses importations. Pour diversifier son mix énergétique, la Jordanie a négocié des contrats de gaz naturel liquéfié et développe actuellement la production d'énergie nucléaire, l'exploitation d'abondantes réserves de schistes bitumineux, les technologies renouvelables, ainsi que l'importation de gaz de gisements off-shore israéliens. En août 2016, la Jordanie et le Fonds monétaire international (FMI) ont convenu d'un fonds élargi de $US 723 millions dans le but d'aider la Jordanie à corriger les déséquilibres budgétaires et la balance des paiements.
7. Concernant la société jordanienne, rappelons qu’elle est conservatrice et que le système tribal et familial y est encore une référence. Au demeurant, aujourd’hui, la population urbaine et d’ascendance palestinienne dépasse de beaucoup la population nomade et rurale.
8. À la suite de l’octroi du statut de partenaire pour la démocratie auprès de l’Assemblée, le Parlement de Jordanie a nommé une délégation pour participer aux activités de l’Assemblée. Cette délégation a changé après les élections législatives. La nouvelle délégation jordanienne s’est montrée, tout comme la précédente, très active. Elle a organisé, très efficacement, ma première visite, au plus haut niveau institutionnel (notamment avec le Roi, le Premier ministre, les principaux ministres, les présidents des chambres, les représentants des blocs parlementaires et des représentants de la Cour constitutionnelle).

3. La première visite, 2-4 mai 2017

9. Cette visite a été organisée par le Parlement jordanien et notamment par M. Khaled Al-Bakkar, président de la délégation jordanienne partenaire pour la démocratie, que je remercie pour son soutien et son hospitalité. Je tiens aussi à remercier l’Ambassadeur de France, M. David Bertolotti, et ses collaborateurs, qui nous ont beaucoup aidés.
10. Au début de chacune des réunions, j’ai précisé l’objet de ma visite en tant que rapporteure pour le Conseil de l’Europe et rappelé les engagements pris par la Jordanie. Tous nos interlocuteurs se sont montrés ouverts et coopératifs afin d’accompagner ce statut du Parlement jordanien de partenaire pour la démocratie auprès de notre Assemblée. Ils ont insisté sur le fait que la Jordanie poursuivait ses réformes, de manière à augmenter les droits et les libertés des citoyens. Certains d’entre eux ont regretté que les réformes n’aillent pas plus loin, mais en évoquant la justification légitime du contexte géopolitique et de guerre dans lequel se trouve le pays.

3.1. L’entrevue avec le Roi

11. Sa Majesté le Roi Abdallah II m’a accordé un entretien le 3 mai 2017. Cet entretien qui fut libre et riche d’informations, s’est déroulé en présence du Chef de la Cour royale, du Président de la Chambre des représentants et du Président de la délégation jordanienne auprès de l’Assemblée.
12. Sa Majesté le Roi Abdallah II est un souverain clairvoyant, réformiste et courageux. Mais il est à la tête d’un pays cerné par les conflits aux frontières (notamment Syrie et Irak, au-delà du conflit Israël-Palestine). Et il maintient cet «ilot» de paix et de stabilité qu’est la Jordanie dans ce contexte de guerre, de terrorisme et de flux permanents de réfugiés (2 millions). Deux mots sont les pièces maîtresses de sa gouvernance: «sécurité» et «stabilité». Notons que le pays compte plus de 1 500 djihadistes. Malgré cette situation, le Roi a décidé d’avancer dans les réformes, même si c’est progressivement, notamment par le biais de la mise en place d’une Commission royale et des recommandations que formule le souverain. Pendant notre entretien, il s’est référé en particulier:
  • à la loi électorale et aux élections législatives organisées comme prévu en 2016. Il a regretté cependant que les partis politiques n’aient pas réussi à faire évoluer les blocs;
  • à la décentralisation et aux élections municipales d’août 2017, des engagements pris, dans ce domaine de réformes politiques, ont été honorés;
  • aux réformes judiciaires en cours et notamment la suppression annoncée de l’article 308 relatif aux femmes violées, «un défi et une grande victoire», a-t-il dit.
13. Mais il précise cependant que si l’État veut être «un État de droit» respectueux des droits de l’homme, il a aussi une priorité absolue, c’est la lutte contre Daech. Il faut une réponse politique à la situation en Syrie. Dans ce contexte, les accords d’Astana sont une étape militaire, «un cessez le feu», et c’est à Genève qu’il faudra conclure la paix.
14. Dans l’immédiat, il faut aménager des «zones de sécurité aux frontières». Entre les initiatives imprévisibles des Présidents Trump et Poutine, le souverain se veut «prudent et optimiste» y compris sur l’évolution du conflit Israël-Palestine. À ce propos, en tant que Président en exercice du Conseil de la Ligue Arabe, il a l’intention de promouvoir l’initiative arabe de paix de 2002. Il fait appel au soutien nécessaire de l’Europe, qui devrait jouer un rôle plus important pour le rétablissement de la paix et de la sécurité dans la région.
15. Cependant, constatons que toutes les réformes engagées ne sont pas également abouties et que l’offensive sécuritaire imposée se fait évidemment au détriment de certaines libertés. C’est vrai pour la pratique de la détention administrative utilisée à des fins de prévention et de précaution, c’est vrai aussi, bien sûr, de l’usage de la peine de mort, sujet sur lequel le Roi a esquivé la question.

3.2. Les rencontres politiques

16. À Amman, j’ai rencontré M. Faisal Al Fayez, Président du Sénat jordanien, et M. Atef Tarawneh, Président de la Chambre des représentants. Celui-ci a noté qu’une évolution politique était en cours. Une dizaine de partis auraient émergé lors des élections législatives et les frères Musulmans sont en recul. Les lois de décentralisation et les élections municipales d’août 2017 devraient, selon lui, accentuer le mouvement localement.
17. Le nouveau parlement compte 130 députés et 6 blocs. Le peuple jordanien semble s’ouvrir progressivement au changement (40 députés ont moins de 40 ans, les femmes élues sont sensiblement plus nombreuses). Cependant, l’élaboration de programmes est lente à se mettre en place.
18. J’ai eu des réunions avec les présidents des blocs politiques au parlement, avec les membres de l’association parlementaire d’amitié Jordanie-France et la délégation jordanienne auprès de l’Assemblée parlementaire. J’ai par ailleurs assisté pendant quelques minutes à une session parlementaire à la Chambre des représentants.
19. Enfin, une rencontre a eu lieu avec des représentants de la communauté diplomatique à Amman: M. David Bertolotti, Ambassadeur de France; M. Ralf Schröer, Adjoint de l’Ambassadrice d’Allemagne; M. Hendrik Van de Velde, Ambassadeur de Belgique; et M. Erik Ullenhag, Ambassadeur de Suède.

3.3. Les ministres

20. Rencontres avec:
  • Hani Al Mulqi, Premier ministre. Il a insisté sur le message à faire passer: «Il faut aider la Jordanie.» Les perspectives économiques très difficiles nécessitent l’aide du FMI ($US 2 milliards). La Jordanie n’est pas en mesure de respecter le délai de trois ans fixé par le FMI et demande à l'Europe de faire pression sur le FMI pour le porter à cinq ans.
  • Ghalib Al Zoubi, ministre de l’Intérieur, qui nous a dit que «la Jordanie cherche à atteindre la démocratie» et que la justice sociale est une préoccupation majeure.
  • Omar Al Razaz, ministre de l’Éducation, qui a fait forte impression. Il exprime le souhait et formule l’objectif d’un «État civil» et «citoyen» que l’école doit promouvoir sur la base des valeurs de tolérance et de pluralisme.
  • Awad Al Mashaqbeh, ministre de la Justice. Il a insisté sur la «suprématie de la loi» et l’élévation du niveau des droits du citoyen, notamment des jeunes.

3.4. Les institutions

21. Rencontres avec:
  • Khaled Alkalaldeh, Président de la Commission électorale indépendante. Il note encore la faiblesse des partis, hormis le Parti communiste et les Frères musulmans, qui baissent cependant. Il a insisté, aussi, sur le rôle qu’ont continué à jouer, lors des élections législatives, les forces tribales et les forces financières. De même, note-t-il, à regret, l’absence des jeunes sur la scène politique, comme ailleurs dans le monde. Et il insiste sur le rôle à venir de l’école pour faire évoluer les mentalités.
  • Taher Hikmat, Président de la Cour constitutionnelle. Nous n’avons pas été convaincus par la force de cette institution, qui travaille pourtant sur plus de 14 projets de lois importants, ni par le rôle que pourrait jouer son Président.
  • Abdul Karim Khasawneh, Président de la Cour suprême islamique, et six autres juges qui nous ont expliqué les compétences et le fonctionnement des «tribunaux de la Sharia». Ceux-ci ont pour objectif l’application de la loi de la famille: mariages, pensions, parents et proches, divorce/séparation, règlement de litiges entre conjoints, garde des enfants, testaments et héritages, rançons, tutelles et en général tout ce qui touche à la famille.

3.5. Société civile et organisations internationales et non gouvernementales

22. J’ai eu des réunions avec de nombreux représentants de la société civile et d’organisations internationales et non gouvernementales: M. Marwan Muasher, diplomate et homme politique, ancien ministre des Affaires étrangères, M. Hassan Abu Hanieh, chercheur; Mme Sara Ferrer Olivella, Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD); Mme Shuma Ismaïl, IDare (ONG dédiée à la participation des jeunes); et Mme Eva Abu Halaweh, Directrice générale de Mizan (ONG de défense des droits de l’homme), qui a insisté sur l’évolution positive liée aux élections et l’implication des femmes. Les modifications législatives en cours des articles 308, 98 et 340 du Code pénal en sont l’expression. Le nouveau parlement est plus favorable à l’évolution des droits des femmes et accompagne la volonté politique qu’exprime la Commission royale. J’ai aussi rencontré M. Adam Coogle, Human Rights Watch, et Mme Lina Eijelat, 7iber (organisation multimédia), qui m’a parlé de problèmes liés à la liberté d’expression.
23. La liberté d’expression, ainsi que l’indépendance et la pluralité des médias, ne semblent pas poser de problème majeur, même si on nous a signalé que l’autocensure continuait d’être pratiquée et que l’espace de liberté s’était quelque peu rétréci en raison de contrôles plus étroits menés par les autorités. D’après nos interlocuteurs, la situation serait cependant «bien meilleure qu’en Turquie ou qu’en Égypte».

3.6. Le groupe de jeunes activistes Shaghaf

24. Il s’agit d’un groupe de jeunes jordaniens dynamiques, passionnés et organisés qui touchent une société majoritairement jeune. Ils ont bougé avec les élections, et leur mouvement compte déjà plus de 5 000 membres. Ils veulent et le répètent «un État civil» et «un État de droit» et sont en concurrence avec les institutions puissantes et conservatrices que sont les tribus et les Frères musulmans. Nouvelles idées, premiers programmes…
25. Ils insistent, à juste titre, sur les réformes de l’éducation et sur les lois de décentralisation qui vont engager à la prise de responsabilité locale. Ils dénoncent le rôle «sous la table» de l’argent en politique et réclament «l’intégrité électorale» et la formation des citoyens. Oui, ça bouge en Jordanie!

3.7. L’hôpital Prince Hamzeh

26. Il est toujours important de pouvoir évaluer la situation de la santé dans une société. Nous avons donc visité, avec d’ailleurs le ministre de la Santé, et à ma demande, le service de pédiatrie et le service des urgences de l’hôpital Prince Hamzeh.
27. On peut noter le bon état des lieux et la forte disponibilité des jeunes médecins. La présence très importante des familles auprès des malades était réconfortante. Par ailleurs, le niveau technologique semblait tout à fait correct.

3.8. L’école secondaire pour filles Jubaiha

28. Puisque la réforme de l’éducation est en cours, il était indiqué de visiter une école et de rencontrer ses enseignants.
29. J’ai été très positivement surprise. Rien n’était arrangé à l’avance, et la spontanéité des élèves ne se commande pas.
30. Le projet d’établissement de l’équipe gagnante du concours entre les lycées à Amman sur l’apprentissage de la langue anglaise nous a été présenté par les élèves.
31. Ancienne enseignante moi-même, j’ai noté la volonté de participation pédagogique directe de ces jeunes filles et la critique du cours magistral ennuyeux. Leur vivacité, leur répartie facile, leur assurance m’ont interpellée très fortement. Il y a de la ressource chez ces jeunes!
32. Et le «Parlement de l’établissement» qui fait partie de la réforme voulue par le ministre de l’Éducation était étonnant.
33. L’une des jeunes filles très silencieuse avait attiré mon attention. Et c’était la Présidente. À ma question sur son effacement, elle répond: «Je préfère l’action à la parole.» Oui, cette jeunesse est en marche…

3.9. Le centre de correction et de réadaptation de Marka

34. Notre souhait était de visiter un lieu de détention d’individus subissant des «mesures administratives» dites de prévention ou de précaution. À Marka, nous avons pu en rencontrer une trentaine.
35. Ce moment fut particulièrement perturbant, voire émouvant. Certains n’étaient sûrement pas indemnes de fautes antérieures mais a priori aucun n’était plus en situation de culpabilité avérée. Et nous touchions, là, l’un des problèmes que nous avons à étudier et sûrement faire évoluer.

4. La deuxième visite, 10-11 septembre 2017

36. Comme indiqué dans l’introduction, le compte rendu de la deuxième visite fera l’objet d’un addendum à ce rapport

5. Évaluation de la mise en œuvre des engagements de la Jordanie

37. À l’occasion de l’octroi du statut de partenaire pour la démocratie, les Présidents des deux chambres du Parlement de Jordanie ont réaffirmé que le parlement qu’ils représentent partageait «les mêmes valeurs que nos collègues, les membres du Conseil de l’Europe: une démocratie pluraliste fondée sur la parité entre les hommes et les femmes, l’État de droit et le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales» (voir la Résolution 2086 (2016)).

5.1. Élections

38. Comme prévu, et cela, en soi, est déjà important, la Jordanie a tenu des élections législatives anticipées le 20 septembre 2016, selon une nouvelle loi électorale et un système de listes proportionnelles ouvertes dont le but était aussi d’encourager la constitution de partis politiques et de dépasser les allégeances tribales. Le nombre de députés a été réduit de 150 à 130. Les élections ont été observées par une commission ad hoc de l’Assemblée parlementaire sous la présidence de M. René Rouquet (France, SOC) dont je faisais partie.
39. Les membres de la commission ad hoc ont évalué le déroulement du scrutin, désormais organisé sous l’autorité d’une commission électorale indépendante, comme étant très positif et professionnel, y compris le dépouillement des votes. Cependant le taux de participation est resté très faible (36 %, contre 56 % en 2013). Notons aussi que les forces tribales et financières sont restées dominantes et que la représentation des femmes est encore faible même si leur nombre a augmenté.
40. La composition de la Chambre des représentants issue de ces élections n’est pas substantiellement très différente de la précédente: les chefs de tribu, les hommes d’affaires et les conservateurs continuent d’avoir un poids prépondérant et l’émergence des partis politiques, que la nouvelle loi semblait favoriser, ne s’est finalement pas vérifiée même si elle est amorcée. Il faut du temps. Certains de nos interlocuteurs ont critiqué le parlement comme étant toujours lié aux services de sécurité.
41. Soixante-quatorze des élus sont nouveaux et cinq femmes ont été élues en dehors du quota. Les Frères musulmans, qui avaient boycotté les deux élections précédentes, sont de retour au parlement avec 16 élus par les trois listes du Front d’action islamique: Al-Islah, Al-Aqsa et Zamzam. Les élections ont vu la première émergence d'un mouvement laïc, la liste Ma'an (ensemble), qui a proposé un État civil et a réussi à obtenir la plupart des votes dans le troisième district d'Amman.

5.2. Égalité hommes-femmes

42. Malgré la réduction du nombre de députés, le quota pour les femmes a été maintenu à 15. Ainsi le nombre de femmes élues au parlement est de 20 sur 130 contre 18 sur 150 au parlement précédent, ce qui est un résultat sensiblement meilleur.
43. Notre première visite est intervenue au lendemain de la décision gouvernementale qui avait pour objectif de réviser l’article 308 du Code pénal qui stipule qu’un violeur ne sera pas sujet à des poursuites judiciaires s'il épouse sa victime. Cette réforme demandée par la société civile et notamment les associations qui luttent pour les droits des femmes, fait partie d’une liste de 49 recommandations de la Commission royale chargée d’élaborer un projet de réforme du système judiciaire jordanien. Parmi les autres recommandations il y a la révision de l’article 98, qui réduit la peine pour les crimes d’honneur si le crime était «impulsif», et de l’article 340, qui exempte de peine les hommes qui ont tué leurs épouses, ou une femme de leur famille, prises en flagrant délit d'adultère et qui réduit la peine s’il y a présomption d’adultère concernant la victime. Le Roi précise que l’abrogation de l’article 308 serait un premier pas important pour changer ce qui est (encore) considéré comme culturellement acceptable. Il a même parlé de «défi».
44. Ainsi, malgré le fait que les autorités semblent conscientes de la nécessité de lutter contre la discrimination basée sur «le genre», aucun de nos interlocuteurs n’a évoqué la possibilité de garantir constitutionnellement l’égalité entre les femmes et les hommes en révisant l’article 6.1 de la Constitution qui établit une discrimination: «les Jordaniens sont égaux devant la loi sans discrimination entre eux en ce qui concerne les droits et les devoirs même s’ils diffèrent par la race, la langue ou la religion», en ajoutant le mot «genre» à cette énumération.
45. Par ailleurs, personne n’a pu me dire pourquoi la Jordanie n’avait pas encore signé la Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique (STCE no 210, «Convention d'Istanbul»). La Jordanie avait pourtant adopté en 2007 une loi sur la protection contre la violence familiale.

5.3. Détention administrative

46. Comme je l’avais écrit dans mon rapport sur «La demande de statut de partenaire pour la démocratie auprès de l’Assemblée parlementaire soumise par le Parlement de Jordanie», la loi sur la prévention de la criminalité (ou «détention de protection») de 1954 permet aux autorités administratives que sont les gouverneurs d'engager des procédures administratives préventives contre les personnes qui seraient sur le point de commettre un crime ou d'aider à le perpétrer, comme ceux qui commettent régulièrement des vols, protègent des voleurs ou recèlent des biens volés. Cette loi permet ainsi d’emprisonner toute personne qui constituerait un danger pour autrui.
47. Par ailleurs, les autorités administratives peuvent aussi emprisonner des personnes pour «les protéger personnellement», notamment dans le cas de menaces d’une vengeance familiale ou tribale. Mais dans ces cas-là, les gouverneurs violent les principes élémentaires de la justice en punissant doublement les victimes au lieu de poursuivre les responsables des menaces en question. Les femmes et les hommes en détention administrative peuvent rester détenus longtemps, même si théoriquement ils ont le droit de faire appel. Dans la pratique beaucoup d’entre eux n'ont aucun moyen réel et notamment d’accès à un avocat pour contester leur détention.
48. Lors de ma visite du centre de correction et de réadaptation de Marka, j’ai pu m’entretenir avec des détenus, environ une trentaine, rencontrés dans leur cellule. Cinq n’étaient pas Jordaniens et avaient été expulsés par décision de justice mais maintenus là, personne ne se portant caution de leur libération. D’autres étaient accusés de trafic de drogue, de viol ou de crimes. Il n’apparaissait pas clairement ce qu’étaient les différentes situations: certains attendaient un jugement de leur affaire, d’autres avaient déjà purgé leur peine. À croire ce qu’il a été dit, le temps de détention dans ces conditions pouvait varier entre une semaine et 16 mois. M. Albakkar, qui nous a accompagnés, s’est engagé à enquêter sur ces détenus et à me tenir informée. Les conditions de détention laissaient à première vue supposer une surpopulation de l’espace. Le personnel pénitentiaire semblait compétent et notamment la direction.
49. Notons que parmi les mesures recommandées par la Commission royale figurent justement la limitation de la détention provisoire et le respect du droit des prévenus à avoir un avocat dès le début de la procédure. La grande majorité de nos interlocuteurs institutionnels s’est exprimée pour l’abolition ou un aménagement de la détention administrative. Le ministre de l’Intérieur nous a bien dit que la garde à vue et la détention administrative ne devraient être utilisées que très rarement. Par contre, le ministre de la Justice considère toujours que «les gouverneurs ont le droit d’empêcher qu’un crime ait lieu en emprisonnant le suspect». Cependant et c’est tant mieux, la réforme judiciaire est vue par le Roi comme une priorité.

5.4. Peine de mort

50. Lorsqu'elle a adopté la Résolution 2086 (2016) sur «La demande de statut de partenaire pour la démocratie auprès de l'Assemblée parlementaire présentée par le Parlement de Jordanie», l'Assemblée a pris note de l’engagement des Présidents des deux chambres du Parlement de la Jordanie à poursuivre les «initiatives visant à sensibiliser les organes publics et la société civile à la mise en place d’un moratoire sur les exécutions et à l’abolition de la peine de mort» (paragraphe 3.3). À la même occasion, l'Assemblée a également appelé le Parlement de Jordanie à «appliquer le moratoire sur les exécutions instauré en 2006 et à aller au-delà en abolissant la peine de mort inscrite dans le Code pénal» (paragraphe 9.7).
51. Le Roi Abdullah II avait déclaré, en 2005, que la Jordanie visait à devenir le premier pays du Moyen-Orient à mettre fin aux exécutions, comme la plupart des pays européens. Les tribunaux, cependant, ont continué à prononcer des condamnations à mort même si elles n'étaient pas exécutées. Néanmoins, l'opinion publique considère que cette politique est responsable de l'augmentation de la criminalité. En décembre 2014, la Jordanie a procédé à la pendaison de 11 hommes reconnus coupables de meurtre. Début 2015, après l’assassinat barbare d’un pilote de chasse jordanien par Daech, la Jordanie a exécuté deux prisonniers – un homme et une femme – liés au réseau terroriste Al-Qaïda.
52. Quand j’ai rencontré le Roi en septembre 2015, il m’avait assurée que malgré toutes les difficultés intérieures il tenterait de faire respecter le moratoire sur les exécutions. Cependant, la Jordanie a encore exécuté 15 personnes le 4 mars 2017, dont 10 condamnées pour accusations de terrorisme et cinq pour crimes «odieux», y compris des viols. Tous les condamnés étaient Jordaniens. Ils ont été pendus à la prison de Suaga, au sud de la capitale Amman.
53. L’Assemblée parlementaire a exprimé son indignation à l’annonce de ces exécutions. Elle a rappelé que «lorsque le Parlement jordanien a obtenu le statut de partenaire pour la démocratie en janvier 2016, celui-ci s’était engagé à poursuivre ses efforts pour sensibiliser les organes publics et la société civile à l’abolition de la peine capitale et à appliquer de manière constante le moratoire sur les exécutions instauré en 2006. Ces exécutions vont dans le sens contraire des engagements pris par la Jordanie. Le recours, où que ce soit, à la peine de mort est tout simplement injustifiable» 
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			<a href='http://www.assembly.coe.int/nw/xml/News/News-View-FR.asp?newsid=6531&lang=1&cat=9'>Communiqué
de presse</a>, Président de l’Assemblée, 4 mars 2017.. Plusieurs groupes de défense des droits de l'homme ont également exprimé leur critique et leur préoccupation. La question a aussi été soulevée au sein du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe.
54. J’ai souligné auprès de tous nos interlocuteurs, sans exception, l’importance de cette question pour le Conseil de l’Europe, en rappelant que la peine de mort était la principale raison pour laquelle le Bélarus restait le seul pays européen à ne pas avoir de statut auprès du Conseil de l’Europe. De même, si la Turquie rétablissait la peine de mort, elle risquerait l’exclusion de l’Organisation. Même si les critères ne sont pas les mêmes pour un membre à part entière et un partenaire pour la démocratie comme la Jordanie, les exigences de l’Assemblée ne peuvent pas passer sous silence cette atteinte au plus fondamental des droits de l’homme: le droit à la vie. Au cours de notre entretien avec le Roi, la question a été reposée et elle est restée sans réponse.
55. Beaucoup de nos interlocuteurs parmi les autorités jordaniennes nous ont dit qu’ils seraient favorables à l’abolition de la peine de mort mais que la société jordanienne n’y était pas prête. Aujourd’hui, dans ce pays, la peine de mort est justifiée par le terrorisme et l’augmentation de la criminalité. J’ai répondu systématiquement qu’en Europe les opinions publiques non plus n’étaient pas favorables à l’abolition de la peine de mort. Il appartient aux autorités responsables de faire évoluer l’opinion publique au lieu de la suivre.
56. Je relève à ce sujet, après la réunion avec le Président de la Cour suprême islamique, et six autres juges, quelques contradictions. Ainsi, ils affirment que l’Islam considère la vie humaine comme sacrée et qu’elle doit être protégée. Alors pourquoi celui qui tue délibérément quelqu’un devrait à son tour être exécuté? Je n’ai pas eu de réponse éclairante. Notons cependant l’importance accordée au pardon dans cette culture: si la famille d’une victime pardonne, le coupable peut être libéré.

5.5. Poursuite des réformes

57. Dans le domaine des réformes constitutionnelles la Jordanie continue d’avancer. Parallèlement à la réforme judiciaire déjà mentionnée, et qui doit être discutée au parlement au mois de juillet 2017, un processus de décentralisation est en cours, des élections locales ont lieu en août 2017. Il faudra étudier de plus près l’impact de cette réforme qui est plus une forme de «déconcentration» que de «décentralisation». Il y aura des assemblées locales élues mais l’exécutif relèvera toujours de l’autorité administrative.
58. Une autre Commission royale a été chargée de réfléchir à une réforme de l’éducation. Beaucoup de nos interlocuteurs nous ont dit que la qualité de l’éducation se détériorait en Jordanie et que les Jordaniens aisés envoyaient leurs enfants étudier à l’étranger. Il faut préciser que l’éducation est perçue comme ayant une forte connotation islamique. Le ministère de l’Éducation a longtemps été la chasse gardée des Frères musulmans. Par le passé, quelques timides tentatives de changement avaient rencontré une forte opposition.
59. Cependant je reste optimiste pour trois raisons: le Roi veut cette réforme. Le nouveau ministre de l’Éducation est apparu progressiste, courageux et compétent. La troisième raison m’a été donnée lors de ma visite de l’école secondaire pour filles Jubaiha. Après un long entretien avec la Direction et les enseignants j’ai eu droit à une présentation animée d’un projet pédagogique porté par un groupe d’élèves de l’établissement. Et le vif débat qui s’est engagé m’a donné à penser que cette jeunesse est mûre et dynamique.
60. Il n’est pas évident que les réformes aient toutes pour objectif le renforcement exclusif du rôle du parlement. Le parlement a adopté, en avril 2016, un amendement à la Constitution, controversé d’ailleurs, qui permet au Roi de nommer et de renvoyer les hauts fonctionnaires, sans consulter le gouvernement. Il est évident que le souverain, qui veut faire évoluer le régime par des réformes poussées, s’assure en même temps la consolidation du système, en cette période de grande instabilité politique et régionale.

5.6. Coopération avec l’Assemblée parlementaire et le Conseil de l’Europe

61. L’Assemblée a exprimé le souhait que la Jordanie adhère, en temps voulu, aux conventions et accords partiels pertinents du Conseil de l’Europe (la liste des 162 conventions du Conseil de l’Europe ouvertes aux États non européens non membres peut être consultée sur le site internet du Bureau des Traités du Conseil de l’Europe), en particulier à ceux traitant des droits de l’homme, de l’État de droit et de la démocratie, conformément à l’engagement exprimé dans la lettre conjointe des Présidents des deux chambres du parlement du 25 juillet 2013.
62. Les conventions les plus pertinentes sont les suivantes: Convention pour la protection des Droits de l'Homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine: Convention sur les Droits de l'Homme et la biomédecine (STE no 164); Convention sur la cybercriminalité (STE no 185); Convention du Conseil de l'Europe pour la prévention du terrorisme (STCE no 196); Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (STCE no 197); Convention du Conseil de l'Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime et au financement du terrorisme (STCE no 198); Convention du Conseil de l'Europe sur la protection des enfants contre l'exploitation et les abus sexuels (STCE no 201); Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique; Convention du Conseil de l’Europe contre le trafic d’organes humains (STCE no 216), ainsi que leurs protocoles additionnels. Parmi les accords partiels pertinents, on peut citer: la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise), le Groupe d'Etats contre la corruption (GRECO) et le Centre européen pour l'interdépendance et la solidarité (Centre Nord–Sud).
63. Toutefois, depuis l’octroi du statut de partenaire pour la démocratie, la Jordanie n’a adhéré à aucune convention indiquée précédemment ou accord partiel du Conseil de l’Europe pas plus qu’aux instruments internationaux pertinents en matière de droits de l’homme comme l’Assemblée l’avait demandé, ce qui est regrettable.
64. La coopération avec le Conseil de l’Europe au niveau intergouvernemental, déjà engagée depuis 2012 dans le cadre du Programme de voisinage, notamment par le biais de la Commission de Venise et la Commission européenne pour l'efficacité de la justice (CEPEJ), ne s’est pas non plus tellement développée depuis 2016. Il faut la réactiver, aussi bien du côté jordanien que du côté du Conseil de l’Europe.

6. Conclusion

65. Il semblerait que la Jordanie ait résisté aux printemps arabes mais, ces deux dernières années notamment, une évolution plus chaotique et une régression des libertés publiques et des droits individuels est à noter. Les problèmes de sécurité sont prioritaires et le régime cherche, à l’évidence, à se consolider. Les réformes de l’éducation se heurtent encore au conservatisme social et religieux mais un courant nouveau progresse dit «courant civil» ou «État civil». La situation économique de la Jordanie, qui ne s’améliore pas, impose à la fois le réalisme et la prise en considération de la volonté du souverain d’avancer et de réformer.
66. Depuis l’octroi du statut de partenaire pour la démocratie au Parlement de la Jordanie en janvier 2016, j’ai constaté avec satisfaction des avancées significatives dans certains domaines, le statu quo sur d’autres points et le recul regrettable en ce qui concerne l’application de la peine de mort.
67. Comme je l’ai déjà écrit dans mon précédent rapport sur la Jordanie, le rôle d’un rapporteur en la circonstance est d’analyser la situation du pays concerné et d’apprécier, en toute objectivité, responsabilité, et prudence, si une évolution est en marche et si les conditions et les moyens mis en œuvre rendent le pays apte à poursuivre les engagements souscrits. La Jordanie est sur cette voie.
68. Votre rapporteure souhaite dire à l’Assemblée qu’il ne faudra surtout pas abandonner la Jordanie en ces moments difficiles mais continuer à l’accompagner vers cette démocratie à laquelle elle aspire et cet État de droit qu’elle bâtit patiemment. La démarche sera progressive et forcément lente, il faut l’admettre. La Jordanie et l’Europe ont tout à gagner dans ce partenariat.