1. Introduction
1. La proposition de résolution
sur le regroupement familial dans les États membres du Conseil de
l’Europe (
Doc.
14249), déposée par Mme Sahiba
Gafarova et plusieurs de ses collègues, signale des failles dans
les normes juridiques existantes et dans leur application du point
de vue de la recherche des familles et du regroupement familial,
comme en atteste la récente crise des réfugiés et des migrations.
2. Le regroupement familial est aujourd'hui au cœur des débats
publics et politiques sur l'immigration en Europe. Dans nombre d'États
membres, le gouvernement a mis en place des politiques sélectives
afin de limiter le nombre des étrangers pouvant prétendre à un regroupement
familial. Face à l'afflux croissant de réfugiés et de migrants,
plusieurs États membres ont durci leur politique de regroupement
familial. Cette situation est préoccupante, non seulement pour les
familles divisées par le fait qu'une personne se voit contrainte
de quitter son pays et sa famille, mais aussi, de multiples points
de vue socio-politiques, pour le pays d'accueil.
3. Le présent rapport livre un aperçu sur quelques-uns des aspects
juridiques les plus pertinents en matière de regroupement familial
des personnes sous protection internationale et des migrants ordinaires,
et offre des conseils sur la manière d'interpréter les dispositions
du regroupement familial en pleine conformité avec le droit international
et les droits fondamentaux. Il rappelle combien il est important
d'assurer le droit au regroupement familial des migrants et des
réfugiés, mais aussi de protéger les personnes contre toute décision arbitraire
des pouvoirs publics.
4. Le Conseil de l'Europe s'efforce de réaliser une union plus
étroite entre ses membres autour de valeurs communes, en particulier
celles consacrées par la Convention européenne des droits de l'homme
(STE no 5, «la Convention»), notamment
le droit à la protection de la vie de famille selon l'article 8.
Ce droit fondamental vaut aussi bien pour les réfugiés que pour
les migrants en situation régulière.
5. Il est important que le Conseil de l'Europe traite cette question
par le biais de ses divers organes de manière synergique et coordonnée.
C'est pourquoi je tiens à remercier le Commissaire aux droits de
l'homme du Conseil de l'Europe de m'avoir invitée, aux côtés du
Réseau européen des institutions nationales des droits de l'homme,
à la table ronde sur le regroupement familial des réfugiés qui s'est
tenue à Bruxelles le 18 octobre 2017. Le présent rapport est à lire
conjointement avec le document thématique publié par le Commissaire
aux droits de l'homme, «Réaliser le droit au regroupement familial
des réfugiés en Europe», document qui considère le regroupement
familial des réfugiés comme une question urgente directement liée
aux droits de l'homme
.
6. Enfin, j'aimerais remercier mon assistante parlementaire au
Parlement danois, Mme Eva Saez Casado, pour
son aide tout au long de l'élaboration de ce rapport.
2. Normes et actions internationales pertinentes
7. Le respect et la protection
de la vie de famille sont reconnus comme des droits de l'homme fondamentaux
par de nombreux textes internationaux tels que l’article 16 de la
Déclaration universelle des droits de l'homme, les articles 9 et
10 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant
et l’article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.
De plus, la Charte sociale européenne révisée (STE no 163)
définit les droits des travailleurs migrants, y compris leurs droits
familiaux. Cependant, ces textes internationaux ne réglementent
pas le statut des réfugiés ou des personnes bénéficiaires de la
protection subsidiaire. Ils ne précisent donc pas si, et dans quelles
circonstances, les droits d’un enfant, d’un conjoint ou d’un autre
proche implique leur entrée dans un pays donné qui a accordé une
protection internationale à l’un des membres d’une famille.
8. Dans ce contexte, l’Accord européen relatif à la suppression
des visas pour les réfugiés (STE no 31) mérite
une plus grande attention. Son article 1 dispose que les réfugiés
résidant régulièrement sur le territoire d’une Partie contractante
seront dispensés de la formalité des visas pour entrer sur le territoire
des autres Parties contractantes et en sortir par toutes les frontières,
à condition que leur séjour soit inférieur ou égal à trois mois.
Une personne qui a obtenu le statut de réfugié dans un pays doit
être autorisée à rendre visite à des proches dans un autre pays
sans demander de visa. Cela pourrait aider les réfugiés à entretenir
des liens familiaux avec leurs proches au-delà des frontières, notamment
quand il s’agit de membres de la famille élargie qui ne seraient
pas pris en compte pour un regroupement familial, mais aussi de
réfugiés mineurs de 16 ans ou plus et non scolarisés, et qui pourraient
donc travailler en étant éloignés de leurs parents ou de leurs frères
et sœurs.
9. La Convention de 1951 des Nations Unies relative au statut
des réfugiés n’aborde pas la question du droit au regroupement familial
parce qu’elle présume l’égale reconnaissance de tous les membres
d’une famille comme réfugiés par leur pays de résidence. Cependant,
le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a
élaboré des directives d'experts sur le regroupement familial des
réfugiés
. En outre, le Comité exécutif du
HCR a adopté une série de conclusions qui réaffirment l’importance
fondamentale de l’unité et du regroupement familiaux et appellent
à faciliter l’entrée sur la base d’une interprétation inclusive
des membres de la famille des personnes dont la nécessité de protection
internationale est reconnue
.
10. Mme Sophie Magennis, Représentante
régionale du HCR pour les affaires de l’Union européenne (par interim),
a présenté à la commission des migrations, des réfugiés et des personnes
déplacées à Strasbourg le 27 juin 2018 les défis juridiques et pratiques
auxquels sont confrontés les réfugiés qui souhaitent se réunir en Europe
avec des membres de leur famille, ainsi que l’action du HCR auprès
de l’Union européenne et de ses États membres.
11. Comme le droit de l'Union européenne détermine les normes
applicables par ses États membres, c'est avec intérêt que j'ai accueilli
les informations qui m'ont été communiquées lors de la ma visite
d'information à Bruxelles, les 18 et 19 octobre 2017
, par Mme Christine
Roger, Directrice générale chargée de la Justice et des affaires
intérieures (Conseil de l'Union européenne), par Mme Laura
Corrado, Directrice adjointe de l'Unité, Direction B «Migration,
Mobilité et Innovation» et par M. Stephen Ryan, Directeur adjoint
de l'Unité, Direction C «Migration et Protection», Direction générale
Migration et Affaires intérieures (Commission européenne), ainsi que
par M. Thomas Huddleston, Directeur de programme de l’organisation
non gouvernementale «Groupe sur les politiques de migration» (Bruxelles)
.
12. Les États membres du Conseil de l'Europe qui appartiennent
également à l’Union européenne sont concernés par la Directive de
l’Union européenne relative au droit au regroupement familial (2003/86/CE).
Elle laisse malheureusement aux États une ample marge d'appréciation,
leur permettant par exemple d’exiger une certaine durée de séjour
ou un certain niveau de ressources. Du point de vue de l’article
8 de la Convention européenne des droits de l'homme, ces exigences
ne doivent pas constituer une dissuasion ou un obstacle absolu au
regroupement familial.
13. En matière de regroupement familial, il existe une différence
majeure entre les réfugiés et les personnes sous protection subsidiaire.
Les réfugiés ont droit au regroupement familial en vertu du droit
international, mais la situation des bénéficiaires d’une protection
subsidiaire est définie par le droit national, parce qu’il n’existe aucune
obligation internationale spécifique de regroupement familial pour
ces personnes. La Directive de l’Union européenne relative au droit
au regroupement familial laisse également au soin du droit national
de déterminer si les personnes sous protection subsidiaire ont droit
au regroupement familial.
14. Considérant le flou juridique en matière de droit au regroupement
familial en droit international, Les Nations Unies et le Conseil
de l'Europe ont élaboré des textes complémentaires qui aident à
interpréter le droit international de manière à garantir la protection
de l’unité familiale. Les normes non contraignantes énoncées ci-après
méritent certes d’être prises en compte, mais il existe aussi un
besoin évident de poursuivre le développement du droit international
afin d’offrir davantage de visibilité et de sécurité juridiques
aux réfugiés et aux personnes sous protection subsidiaire ou temporaire.
15. L'Assemblée parlementaire a souligné dans sa
Recommandation 1686 (2004) «Mobilité humaine et droit au regroupement familial»
que «la notion de famille, qui sous-tend celle du regroupement familial,
n'a pas été définie au niveau européen et varie notamment selon
la valeur et l'importance accordées au principe de dépendance »,
et a également prié les États membres «d'inclure, dans la notion
de famille (...), les membres lui appartenant de facto (famille
naturelle), par exemple le concubin ou les enfants naturels du demandeur d'asile,
ou encore les personnes qui sont âgées ou infirmes ou qui dépendent
de lui de toute autre manière». La commission des migrations, des
réfugiés et des personnes déplacées a résolument soutenu le droit
au respect et à la protection de la vie de famille dans sa «Note
de position sur le regroupement familial» (AS/Mig (2012) 01, 2 février
2012).
16. S'agissant des besoins particuliers et des droits des mineurs
non accompagnés, la
Résolution
1996 (2014) «Enfants migrants: quels droits à 18 ans?» et la
Résolution 2020 (2014) sur les alternatives au placement en rétention d'enfants
migrants sont tout aussi pertinentes pour les questions de regroupement familial.
17. Dans sa Recommandation no R (99)
23 sur le regroupement familial pour les réfugiés et les autres personnes
ayant besoin de la protection internationale (15 décembre 1999)
, le Comité des Ministres a défini les
normes minimales à respecter par tous les États membres. Cette recommandation
et les résolutions pertinentes de l’Assemblée ont été citées par
la Cour européenne des droits de l'homme dans son interprétation
de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.
18. Mme Kristiina Lilleorg, Spécialiste
thématique à l’Organisation internationale pour les migrations (OIM)
a présenté l’action de l’OIM en la matière devant la commission
réunie à Paris le 20 septembre 2017. Les efforts de l’OIM en faveur
du regroupement familial ont été renforcés au niveau national par
des programmes menés avec l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique,
la France, la Finlande, l’Irlande, l’Islande, l’Italie, le Luxembourg,
la Norvège, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, la Slovénie, la Suède
et la Suisse. Le plus grand programme est mené avec l’Allemagne :
il a financé des opérations de regroupement familial de l’OIM en
faveur de plus de 55 000 bénéficiaires depuis 2016, et a mis l’accent
sur les personnes vulnérables et les enfants non accompagnés. Le
programme avec l’Italie a profité à 1 700 bénéficiaires, et ceux
menés avec la Belgique et la Hongrie à 164 et 50, respectivement.
L’OIM assure une aide à l’obtention des visas, l’orientation avant
le départ et une assistance, y compris pour le voyage des membres
de la famille.
3. Droit
et pratiques nationaux
19. Le Conseil européen sur les
réfugiés et les exilés (ECRE), à Bruxelles, publie sa Base de données européenne
du droit d'asile,
précieux élément de référence pour
les débats législatifs sur le regroupement familial des réfugiés
et des migrants. Le 8 décembre 2017 à Paris, Mme Amanda
Taylor, coordinatrice de cette base de données, a présenté à la
commission, le droit et les pratiques liés au regroupement familial.
Qu'elle en soit vivement remerciée.
20. L’Union européenne a défini quelques normes communes en matière
de demandes d’asile ou de protection subsidiaire, mais ses États
membres appliquent des législations très diverses parce que la délivrance
de visas reste une compétence nationale. Tous les États membres
de l’Union européenne sont signataires de la Convention des Nations
Unies de 1951 relative au statut des réfugiés et reconnaissent en outre
une forme subsidiaire de protection, qui est de nature temporaire
et limitée au bénéficiaire. Il est très regrettable que le regroupement
familial soit souvent réservé aux seuls détenteurs du statut de
réfugié, tandis que les bénéficiaires d’une protection subsidiaire
n’ont généralement pas le droit de réunir leur famille dans le pays
qui leur accorde la protection subsidiaire.
21. La France est un des rares pays de l’Union européenne comptant
un nombre élevé de demandeurs d’asile à ne pas établir de distinction
entre les réfugiés et les personnes sous protection subsidiaire,
et à accorder aux membres des familles de ces deux catégories la
possibilité de déposer une demande de regroupement familial, généralement
par le biais des services consulaires français à l’étranger.
Par contre, les décisions d’octroi
d’un regroupement familial se font souvent attendre très longtemps
et supposent que les requérants soumettent des preuves documentaires
au consulat français compétent. En 2017, 20 479 visas ont été délivrés
pour des membres de familles de réfugiés et d’apatrides, et 10 779
visas pour des bénéficiaires d’une protection subsidiaire
.
22. En Allemagne, un regroupement familial est possible pour les
réfugiés et les personnes sous protection subsidiaire
, mais elle a supprimé cette possibilité
en 2016 pour ces dernières en raison du nombre extrêmement élevé
de demandeurs d'asile, qui a diminué depuis mais reste à des niveaux
très importants
. Dans les cas de détresse, les bénéficiaires
d’une protection subsidiaire peuvent aussi déposer une demande de
regroupement familial, mais à peine 160 visas ont déjà été délivrés
pour leurs proches. Au total, 322 000 visas ont été délivrés par
l’Allemagne pour des regroupements familiaux depuis janvier 2015
. Depuis juillet 2018, le Gouvernement
allemand offre à nouveau aux bénéficiaires d’une protection subsidiaire la
possibilité de faire venir leur famille. Compte tenu du nombre de
demandeurs d’une protection internationale en Allemagne, cette possibilité
a été limitée à 1 000 personnes par mois afin de garantir le bon
fonctionnement des diverses procédures administratives, qui prennent
en moyenne de 10 à 11 mois.
23. D’autres pays de l’Union européenne qui accueillent un nombre
élevé de migrants sont encore moins ouverts au regroupement familial.
En Autriche, les bénéficiaires d’une protection subsidiaire doivent
attendre trois ans après l’octroi de ce statut pour déposer une
demande de regroupement familial. La Bosnie-Herzégovine n’admet
le regroupement familial que pour les réfugiés – les bénéficiaires
de protection subsidiaire ne peuvent pas en bénéficier. À Chypre
également, les bénéficiaires de la protection subsidiaire n'ont
pas droit au regroupement familial, sauf circonstances exceptionnelles.
La Grèce n’autorise pas le regroupement familial des personnes sous
protection subsidiaire ou temporaire, et le réserve aux seuls bénéficiaires
du statut de réfugié. La Hongrie autorise le regroupement familial
tant pour les réfugiés que pour les personnes sous protection subsidiaire,
mais ces dernières doivent remplir des conditions matérielles comme
disposer de moyens de subsistance, d’un logement et d’une assurance
maladie. L’Italie exige que les demandeurs d’un regroupement familial
disposent d’un permis de séjour d’au moins un an. Malte autorise uniquement
le regroupement familial des réfugiés, mais les bénéficiaires de
la protection subsidiaire sont exclus de ce dispositif
.
24. Le regroupement familial des étrangers résidant légalement
en Espagne est régi par la loi sur les étrangers (articles 16 à
19) et les articles 52 à 61 de son règlement d'exécution, qui définissent
notamment les conditions de logement et les exigences financières.
L'article 40 de la loi espagnole sur l'asile établit un cadre de
regroupement familial plus favorable pour les réfugiés et les bénéficiaires
de la protection subsidiaire, appelé «extension familiale du droit
d'asile ou de protection subsidiaire». Cette loi ne comporte pas
les mêmes exigences que la loi sur les étrangers et ne fait pas
de distinction entre les réfugiés et les bénéficiaires de la protection
subsidiaire. Depuis les changements de la législation de 2015, la
Suède autorise le regroupement familial pour les réfugiés, mais
les bénéficiaires d’une protection subsidiaire ne peuvent retrouver
leurs proches en Suède que dans des circonstances exceptionnelles,
par exemple s’ils n’ont aucun moyen de se regrouper dans un pays
extérieur à l'Union européenne
.
25. En droit turc, les bénéficiaires d’une protection temporaire
n’ont pas droit au regroupement familial, mais ils peuvent faire
appel à la marge d’appréciation des autorités turques compétentes,
qui ont actuellement gelé les regroupements familiaux, hormis pour
les demandeurs qui ont obtenu leur réinstallation dans un autre
pays, afin que leur famille les rejoigne avant leur départ
.
26. Mon propre pays, le Danemark, prévoit un regroupement familial
pour les réfugiés, qui doivent déposer leur demande dans les trois
mois, mais les bénéficiaires d’une protection subsidiaire ou temporaire
doivent normalement obtenir une prolongation de leur permis de séjour
temporaire au-delà de la période initiale de trois ans avant de
pouvoir déposer une demande. Dans des circonstances exceptionnelles,
des personnes sous protection subsidiaire ou temporaire peuvent
solliciter un regroupement familial avant la fin de cette période d’attente
de trois ans si une telle attente risque de causer une détresse,
par exemple si le demandeur s’occupait de son conjoint handicapé
dans le pays d’origine, ou s’il a un enfant mineur gravement malade
et résidant encore dans le pays d’origine.
Dans les faits, ces exceptions très
limitées excluent de nombreuses personnes de la protection subsidiaire
et génèrent des souffrances et de la détresse. Une récente décision
fait référence: l'arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme
en l'affaire
Biao c. Danemark.
Le Danemark avait alors essuyé les
critiques de la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance
(ECRI) et du Secrétaire Général du Conseil de l'Europe
.
27. Les différences considérables entre le droit et les pratiques
nationaux en matière de regroupement familial des réfugiés et, en
particulier, des bénéficiaires d’une protection subsidiaire ou temporaire
posent un énorme problème. Il est incompréhensible que la protection
de la vie de famille en vertu de l’article 8 de la Convention européenne
des droits de l'homme puisse faire l’objet d’interprétations si
différentes d’un signataire de la Convention à l’autre. Le Conseil
de l'Europe devrait poursuivre ses efforts d’harmonisation des approches
afin d’obtenir une garantie plus efficace de la protection de la
vie de famille grâce au regroupement familial.
28. Indépendamment du statut accordé, le besoin de protection
et les expériences de fuite des réfugiés et des bénéficiaires de
protection subsidiaire sont très similaires. Comme pour les réfugiés,
les bénéficiaires de la protection subsidiaire sont temporairement
incapables de retourner dans leur pays d'origine en raison du risque
de préjudice grave. Il n'y a donc aucun motif de faire une distinction
entre les deux statuts en ce qui concerne leur droit à la vie familiale.
4. Principaux
aspects du regroupement familial
29. Il est important d'assurer
le droit au regroupement familial et de protéger les personnes contre
toute décision arbitraire des pouvoirs publics, et ce pour plusieurs
raisons: séparer des réfugiés des membres de leur famille engendre
des problèmes pour la société; quant au rôle du regroupement familial
pour assurer la stabilité socioculturelle et pour faciliter l'intégration
de ressortissants de pays tiers – et, par là même, promouvoir la
cohésion et sociale –, il est capital.
30. Le regroupement familial est fondamental pour assurer le retour
à la vie normale des personnes qui ont fui les persécutions ou de
graves dommages et qui ont perdu des membres de leur famille au
fil de leurs déplacements forcés et de leur fuite. Il est particulièrement
important de préserver et d'assurer l'unité familiale des migrants,
surtout quand le chef de famille remplit les conditions pour être
admis dans le pays concerné.
4.1. Obstacles
législatifs au regroupement familial
31. Il est regrettable que les
législations nationales ne s'accordent guère sur des normes minimales applicables
au regroupement familial, de même qu'aux conditions, procédures
et droits le concernant. Cette situation provoque une compétition
négative parmi les États, quelques-uns recevant la majorité des
demandes d'asile et de regroupement familial, tandis que d'autres
se servent de leurs lois plus restrictives comme instrument dissuasif
contre les réfugiés et les membres de leurs familles. Au sein de
l'Europe, de telles disparités engendreront de graves problèmes,
tant pour les demandeurs d'asile et leurs familles que pour la cohésion
et la coopération entre les États.
32. A cet égard la Cour européenne des droits de l’homme a estimé,
dans son arrêt
Hode et Abdi c. Royaume-Uni ,
que l’article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme
n’oblige pas les États à respecter le choix, par des couples mariés,
du pays de leur résidence commune et d’accepter l’installation sur leur
territoire des conjoints qui ne sont pas leurs ressortissants.
33. Le droit au regroupement familial est, en soi, un instrument
indispensable à l'intégration. La Commission européenne
reconnaît
le droit au regroupement familial pour les ressortissants de pays
tiers titulaires d'un permis de séjour d'au moins un an et qui ont
des perspectives raisonnables d'obtenir un droit de résidence permanente.
Pour l'exercice de ce droit, les États membres pourront exiger des
ressortissants de pays tiers qu'ils se soumettent à des mesures
d'intégration conformément à la législation nationale. S'agissant
des citoyens de l'Union européenne, la Directive de l'Union européenne
relative au droit au regroupement familial
prévoit
un certain niveau d'harmonisation des règles régissant le regroupement
familial. Reste que des États membres de l'Union européenne en profitent
pour assortir le regroupement familial de conditions plus dures, en
particulier quant à la situation financière des demandeurs. La Directive
s'applique à tous les États membres de l'Union européenne, à l'exception
du Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni. Il n'empêche que les pratiques
nationales diffèrent au sein même de l'Union européenne
et, de ce fait, créent non seulement
des problèmes de coopération parmi ses États membres mais aussi,
et surtout, des obstacles inhumains au regroupement familial des
migrants en situation régulière au sein de l’Union européenne.
34. La protection offerte par la législation sur l'asile couvre
à la fois la protection internationale (c'est-à-dire le statut de
réfugié) et la protection subsidiaire conformément aux exigences
de l'Union européenne. La protection subsidiaire est généralement
accordée aux personnes menacées de peine de mort, de torture ou de
châtiment ou traitement inhumain ou dégradant, ou de violence aveugle
en situation de conflit armé international ou interne. Cette protection
subsidiaire est parfois appelée protection temporaire ou protection pour
raisons humanitaires.
35. À la différence des personnes bénéficiant du droit d'asile
pour raisons de persécution individuelle en vertu de la Convention
de 1951 relative au statut des réfugiés, les personnes nécessitant
une protection subsidiaire se voient généralement accorder un droit
de séjour valable un an seulement. Hormis cette différence, dans
le cadre du Régime d'asile européen commun, la protection subsidiaire
a largement été adaptée à la Convention de 1951 relative au statut
des réfugiés sur le plan matériel. Compte tenu de la récente augmentation
des cas de protection subsidiaire et du fait que les personnes concernées
bénéficient de moins de droits, notamment en matière de regroupement
familial, l'on est fondé à s'interroger: est-il vraiment souhaitable
de faire une distinction entre réfugiés et personnes sous protection
subsidiaire? Ne serait-il pas préférable d'appliquer un seul et
unique statut de réfugiés, avec plein droit au regroupement familial ?
36. Cette diversité des normes juridiques au sein de l'Europe
donne lieu de s'inquiéter; aussi des efforts doivent-ils être déployés
pour établir des normes communes sur le regroupement familial.
4.2. Définition
de la famille
37. Lorsqu'on parle de regroupement
familial des réfugiés, il est nécessaire de définir le concept de «famille»
dans ce contexte. Cette définition est à distinguer des notions
générales sur la famille, lesquelles peuvent varier en fonction
de traditions culturelles, religieuses, philosophiques ou juridiques.
De manière traditionnelle, la «famille» comprend le conjoint (ou
la conjointe) et les enfants mineurs du réfugié.
38. Reste que cette définition traditionnelle ne correspond pas
nécessairement aux multiples façons dont, aujourd'hui, les personnes
vivent ensemble en tant que familles. En Europe, le terme «famille
recomposée» est employé pour désigner les familles où les deux conjoints
ont des enfants avec d'autres partenaires, généralement de mariages
antérieurs. Soit ces enfants résident avec un parent et ont des
droits de visite avec l'autre parent, soit ils font l'objet d'une
résidence alternée avec les deux parents. Autre cas de figure possible: des
couples non mariés ont des enfants, dont la résidence et les droits
de visite sont juridiquement reconnus avec l'un et/ou l'autre parent.
De même, il se peut que les enfants entretiennent des relations
familiales privilégiées avec des personnes qui les ont adoptés,
ou avec leurs grands-parents, si ceux-ci se chargent d'élever ces
enfants.
39. Les approches restrictives de l'éligibilité des membres de
la famille au regroupement familial constituent un obstacle majeur
à la réunification des familles. Par exemple, dans l'Union européenne,
seuls sept États membres autorisent régulièrement le regroupement
familial des frères et sœurs, et même alors, cela est généralement
dû au fait que l'un des frères et sœurs est dépendant de l'autre,
notion souvent étroitement appliquée. De ce fait, de jeunes adultes
chefs de foyer dans leur pays d'origine sont souvent empêchés de retrouver
leurs frères et sœurs qui en dépendent. Ne pas prévoir la réunification
avec des frères et sœurs adultes peut également créer des situations
dans lesquelles les parents sont obligés de décider de réunir leur enfant
mineur en Europe ou de rester avec leurs enfants adultes dans le
pays d'origine.
40. Par ailleurs, les circonstances du déplacement forcé ont peut-être
affecté la situation familiale; par exemple, si un époux ou un parent
est décédé et qu'une autre personne l'a remplacé sans avoir eu la possibilité,
factuelle ou autre, de faire reconnaître juridiquement cette nouvelle
position par voie de mariage ou d'adoption. Dans ces derniers cas,
il se peut que la seule durée de cette position exige un même niveau
de protection que pour les familles traditionnelles, en particulier
lorsque la légalisation d'un mariage ou d'une adoption se fait une
fois le réfugié arrivé dans un pays sûr.
41. Bien que la Cour européenne des droits de l'homme ait, à maintes
reprises, limité le droit au regroupement familial à la cellule
familiale comprenant parents et enfants mineurs – par exemple dans
l'arrêt
Slivenko
c. Lettonie , il faut
noter qu'elle a opté pour une approche plus large dans l'arrêt
Maslov
c. Autriche , la Cour
ayant jugé qu'une vie familiale existait entre les parents et leurs
enfants, jeunes adultes financièrement dépendants de leurs parents.
Cependant, dans son arrêt
Berisha
c. Suisse la Cour
a estimé qu'une dépendance financière entre de jeunes adultes et
leurs parents n'excluait pas une aide financière à distance et,
donc, sans unité familiale.
42. Dans les derniers cas, l'article 10.2 de la Convention relative
aux droits de l'enfant doit être respecté: «Un enfant dont les parents
résident dans des États différents a le droit d'entretenir, sauf
circonstances exceptionnelles, des relations personnelles et des
contacts directs réguliers avec ses deux parents.»
43. Considérant cette question d’un point de vue politique, le
débat public sur la question se trouve souvent empêtré dans une
crainte diffuse de pratiques abusives de la part des réfugiés, mais
aussi concernant le nombre excessif de personnes à soutenir à titre
de réfugiés. Certes, les cas de mariages conclus à seule fin d'obtenir
un visa existent, mais précisons qu'ils sont extrêmement rares parmi
les réfugiés. En outre, aux termes de la Convention de 1951 relative
au statut des réfugiés le droit à protection des réfugiés n'impose aucune
limite quantitative. Un réfugié ne peut se voir refuser une protection
du seul fait qu'il (ou elle) a un conjoint ou un certain nombre
d'enfants.
44. Aussi cette question doit-elle être abordée en termes plus
abstraits: le droit au regroupement familial existe pour les couples
mariés et les enfants mineurs, en particulier, par exemple, pour
les jeunes enfants qui n'ont pas capacité juridique à être inscrits
en pensionnat ou à travailler dans un lieu éloigné de leurs parents. De
plus, des parents âgés souffrant d'un handicap et dépendants d'une
personne au statut de réfugié doivent jouir du droit au regroupement
familial.
4.3. Recherche
des familles
45. Les familles qui fuient les
persécutions ou la violence se trouvent souvent séparées contre
leur gré. Cette situation est particulièrement tragique pour les
mineurs non accompagnés. Dans ces circonstances, le regroupement
familial nécessite de retrouver et d'identifier des membres de la
famille.
46. En exprimant ma reconnaissance à Mme Frédérique
Desgrais, Chef de l'Unité chargée du rétablissement des liens familiaux
et des personnes disparues au CICR à Genève pour sa présentation
donnée devant la commission à Paris le 20 septembre 2017, je tiens
également à saluer le travail mené de longue date par le CICR. Aux
côtés des sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant
Rouge, le CICR accomplit un excellent travail de rétablissement
du contact entre les réfugiés ou les migrants et leurs familles.
Le programme de Rétablissement des liens familiaux organisé par
le CICR
est un exemple de réussite admirable
depuis des décennies. Les nouvelles technologies permettent aux
gens de publier leurs photos et leurs informations personnelles
sur internet. Ainsi, le programme Trace the Face
aide de nombreux réfugiés à retrouver
des membres de leur famille. Cette action doit être soutenue par
tous les États membres.
47. La stratégie 2008-2018 du CICR pour le Rétablissement des
liens familiaux organise l’assistance aux membres des familles qui
sont séparés par les conflits armés, les catastrophes naturelles
ou les migrations. Dans le contexte des migrations, le rétablissement
des liens familiaux diffère du regroupement familial parce qu’il
inclut l’élucidation du sort des proches disparus et le soulagement
des souffrances de ceux qui sont sans nouvelles de leur famille.
Ce travail du CICR diffère des procédures d’asile et des demandes
de regroupement familial, car les données personnelles collectées
par le CICR sur les membres des familles ne sont pas utilisées dans
les demandes et procédures de regroupement familial.
48. Dans le cadre de son Fonds européen pour les réfugiés, l'Union
européenne a inclus des projets de recherche des familles et de
réunification des enfants avec leurs parents.
En outre, des progrès dans l'enregistrement
des réfugiés et dans le partage des informations à l'échelle de
l'Union européenne vont se réaliser par le biais du Système d’information
des visas de l’espace Schengen, lequel relie les consulats des États
membres de l'Union européenne et les points de passage des frontières
extérieures, et effectue un traitement biométrique, en priorité
pour les empreintes digitales, à des fins d'identification et de
vérification.
Il serait bon, d'ailleurs, que les
données ainsi obtenues soient utilisées pour faciliter la recherche
des familles et le regroupement familial.
49. Ces opérations d'identification et de recherche des familles
doivent également être possibles au-delà de l'Union européenne.
Aussi est-il urgent que le Conseil de l'Europe établisse un registre
centralisé permettant d'étendre ces recherches à tous ses États
membres.
4.4. Protection
des enfants
50. La protection des enfants est
l'aspect central de la protection de leur vie familiale. Dans la
Convention relative aux droits de l'enfant, les articles 9 et 10
définissent un nombre de droits fondamentaux qui sont importants
pour le regroupement familial :
- un
enfant ne sera pas séparé de ses parents contre leur gré,
- un enfant dont les parents résident dans des États différents
a le droit d'entretenir des relations personnelles et des contacts
directs réguliers avec ses deux parents,
- toute demande faite par un enfant ou ses parents en vue
d'entrer dans un État partie ou de le quitter aux fins de regroupement
familial est considérée par les États parties dans un esprit positif,
avec humanité et diligence.
51. A cet égard, les autorités nationales doivent se laisser guider
par l’intérêt supérieur de l’enfant quand ils prennent des décisions
de regroupement familial.
52. Les mineurs non accompagnés se trouvant à l’étranger relèvent
de la Convention de La Haye sur les aspects civils de l'enlèvement
international d'enfants,
car l’enlèvement peut également s’appliquer
aux mineurs qui font l’objet de la traite, sont introduits clandestinement
dans un pays ou sont accompagnés par un seul de leurs parents. Cette
convention n’est toutefois que rarement évoquée dans les affaires
de regroupement familial des réfugiés et des migrants. Mme Maud
De Boer-Buquicchio, Rapporteure spéciale des Nations Unies sur la
vente et l’exploitation sexuelle d’enfants, Présidente de
Missing Children Europe, a indiqué
à notre commission, à Strasbourg, le 28 juin 2018, qu’un fort pourcentage
des enfants réfugiés sont victimes de la traite. Il est donc nécessaire
de prêter une plus grande attention aux droits consacrés par la Convention
de La Haye
.
53. Au sein de l'Union européenne, la protection des enfants migrants
a été identifiée comme une priorité.
Cette protection, il est essentiel
de l'étendre à tous les États membres du Conseil de l'Europe et
d'élaborer des politiques européennes de regroupement familial favorables
à la protection des enfants.
4.5. Protection
des personnes vulnérables
54. Le droit au regroupement familial
doit être garanti à chacun, mais d’autant plus aux personnes vulnérables,
qui ont davantage besoin de retrouver les membres de leur famille.
C’est tout particulièrement le cas des jeunes enfants, mais aussi
des personnes qui ont des besoins physiques ou mentaux spécifiques.
55. Ainsi, il est évident que les réfugiés traumatisés ont besoin
du soutien mental et social des membres de leur famille pour se
remettre de leurs blessures. De même, les handicapés physiques dépendent
de leurs proches qui prennent soin d’eux.
56. Une telle vulnérabilité accrue peut aussi impliquer l’inclusion
de membres de la famille plus éloignée dans un regroupement familial,
par exemple quand ils étaient les principales personnes à s’en occuper.
4.6. Réduction
de l'immigration clandestine
57. Comme l'a déclaré le Commissaire
aux droits de l'homme, refuser le regroupement familial, c'est aussi fermer
l'une des voies sûres et légales si nécessaires vers l'Europe et
encourager les flux migratoires secondaires irréguliers.
58. Par conséquent, tous les États membres du Conseil de l'Europe
doivent s'unir afin d'assurer la disponibilité de ces voies sûres
et légales pour le regroupement familial.
5. Conclusions
59. La vie de famille constitue
l'un des piliers fondamentaux de nos cultures et de nos sociétés.
L'absence de vie familiale nuit pour une grande part à la protection
et au bien-être des êtres humains de même qu'à nos sociétés en général.
Les enfants, en particulier, souffriront gravement d'être séparés
de leurs parents.
60. Sachant que les migrations sont inévitables et constituent
l'une des causes de séparation des familles, que tout un chacun
a le droit au respect de la vie familiale et que la famille est
l'unité naturelle et fondamentale de la société en droit d'être
protégée par la société et par l'État, il convient de protéger les
familles et de promouvoir des mesures propres à renforcer cette
protection.
61. Il faut préserver et défendre le principe de l'unité familiale,
dans le plein respect des droits fondamentaux et de la dignité humaine
des réfugiés et autres personnes nécessitant une protection internationale,
mais aussi dans l'intérêt supérieur de l'enfant. En outre, il convient
de reconnaître que préserver l'intégrité des familles de réfugiés
offre un double avantage: leurs membres bénéficient d'une meilleure
protection, mais aussi de solutions adéquates à long terme.
62. Avec la Directive relative au droit au regroupement familial
et
la Directive Qualification,
l'Union européenne
offre des normes supérieures en matière de regroupement familial
des réfugiés et des personnes sous protection internationale. Il
est très regrettable que le Royaume-Uni n’ait pas adhéré à ces normes,
que le Danemark ait choisi de ne pas les appliquer et que des États
non membres de l'Union européenne mais faisant partie du Conseil
de l'Europe n'y adhèrent pas. Tous les États membres du Conseil
de l'Europe doivent coordonner leurs efforts en la matière, afin
d'éviter une diversité contreproductive des normes juridiques au sein
de l'Europe.
63. Puisque la définition traditionnelle de la famille ne correspond
pas nécessairement aux multiples façons dont, aujourd'hui, les personnes
vivent ensemble en tant que famille, le droit au regroupement familial
doit être appliqué de manière à prendre en compte ces formes de
vie familiale.
64. Les enfants ont le droit fondamental de vivre avec leurs parents
et de ne pas être séparés d'eux contre leur gré. La Convention relative
aux droits de l’enfant doit être respectée à cet égard.
65. La distinction entre réfugiés et personnes sous protection
subsidiaire (ou temporaire) doit être abandonnée en ce qui concerne
le regroupement familial.
66. La législation nationale doit prévoir des voies sûres et légales
pour le regroupement familial; par exemple, via des services consulaires
ou, lorsque les services consulaires n’existent pas, par l’institution compétente
dans le pays hôte.
67. En outre, il est à recommander que les États membres du Conseil
de l'Europe concluent des accords bilatéraux pour se représenter
mutuellement aux fins de la collecte des demandes de visa et de
la délivrance des visas.
68. Les États membres du Conseil de l'Europe doivent mettre en
place un registre centralisé pour faciliter la recherche des familles.
À cet égard, une coopération à l'échelle européenne doit être établie
avec le CICR et le Système d’information des visas de l’espace Schengen.