1. Introduction
1. Depuis plusieurs années, la
commission de la culture, de la science, de l’éducation et des médias encourage
les organisations de football à avoir une approche proactive concernant
la protection des droits humains
. Nous
devons continuer à travailler avec nos partenaires pour garantir
que la gouvernance du football respecte fermement nos valeurs. Ainsi,
le présent rapport reprendra trois thématiques liées aux droits humains:
- développer une coopération solide
entre les principaux acteurs du football et les pouvoirs publics,
à l'occasion d'événements sportifs majeurs et au-delà;
- renforcer la protection des joueurs et des joueuses mineurs,
en particulier contre les abus sexuels et l'exploitation, et soutenir
le développement des jeunes joueurs et joueuses en tant que personnes
et citoyen·ne·s (non seulement pour améliorer leurs compétences
professionnelles);
- promouvoir l’égalité de genre et le rôle des femmes dans
le football, au-delà du développement du football féminin.
2. En plus d’appeler à une protection renforcée des droits humains,
notre précédent rapport sur «La bonne gouvernance du football» avait
aussi dénoncé, entre autres questions non résolues dans la gouvernance
du football, celle de la démesure financière, qui va de pair avec
des inégalités croissantes
.
Actuellement, le football présente des écarts trop criants: entre
le football professionnel et le niveau de base/amateur, et entre une
élite du football – les ligues, les clubs et les joueurs et les
joueuses les plus riches – et les autres. Avec ces inégalités qui
se creusent (en termes de capacité financière et en conséquence
de qualité) le risque que le football soit réduit à une simple dimension
de
show business augmente,
avec une compétition réelle seulement entre quelques grandes équipes,
les autres n’ayant au mieux qu’un rôle secondaire.
3. Si nous voulons protéger le sport et le football, la gouvernance
du sport et du football doit viser à réduire ces écarts. Une plus
grande solidarité (et une répartition plus équilibrée des ressources)
s’impose dans le football pour en améliorer la stabilité. Un deuxième
axe de réflexion concerne, dès lors, le modèle économique du football.
A cet égard, le rapport examine comment éviter une démesure financière
socialement inacceptable, préserver un modèle économique équitable
et solidaire, et assurer une plus grande solidarité entre le football
professionnel et le football amateur ainsi qu’un juste retour social
à l’effort financier consenti par les pouvoirs publics en faveur
du football
.
4. Une problématique liée aux questions évoquées ci-avant est
celle du cadre juridique, notamment la réglementation concernant
les transferts, le statut des agents et des intermédiaires, la propriété
des joueurs et des joueuses, ou encore le statut et la protection
des droits des joueurs et des joueuses. En effet, les lacunes du
cadre juridique peuvent faciliter abus et démesure, contribuer aux
inégalités et retentir négativement sur la promotion des valeurs
sportives.
5. À cet égard, le rapport examine les réformes en cours (dirigées
par la FIFA) du système de transfert, y compris le régime de l’intermédiation.
Il s'agit d'une question urgente pour tous les partenaires et elle
acquiert une nouvelle signification dans le contexte actuel. Par
ailleurs, une meilleure redistribution et peut-être une redéfinition
des priorités dans l’affectation des ressources devraient aussi
consolider la capacité de tout le système à défendre d’autres objectifs
importants, à savoir dans le domaine de la protection des droits
humains. C’est certainement primordial au niveau européen, mais
j’attache aussi de l’importance à l’établissement de bases solides
pour une distribution des ressources équilibrée au niveau mondial.
La réglementation et les programmes de développement de la FIFA
ont par conséquent un rôle décisif à jouer.
6. Une nouvelle importance devrait être donnée à la réduction
des écarts financiers et à une plus grande solidarité au sein du
système footballistique dans le contexte actuel: les disparités
financières et les moyens de les gommer progressivement doivent
désormais être analysés dans le cadre des conséquences désastreuses
de la pandémie de covid-19. Nous devons examiner plus en détail
comment les principaux acteurs du football (à savoir les organisations
de football, les clubs et les médias ou les entreprises) pourraient trouver
un équilibre différent entre les flux monétaires autocentrés et
la solidarité avec la communauté, et pourraient renforcer considérablement
la responsabilité sociale et développer des programmes concrets
pour défendre les valeurs clés et aider nos sociétés à relever les
défis auxquels la pandémie nous oblige à faire face. Ce choix correspond
aussi à la volonté de garder les droits humains au centre de notre
analyse.
7. Pour atteindre les objectifs précités, les acteurs du football
devraient travailler plus étroitement avec les supporters et leurs
associations. La participation des supporters – mais aussi des joueurs
et des joueuses – à la prise de décisions dans les différents cadres
de gouvernance (aux niveaux local, national, européen et international)
est une question qui n’a pas été véritablement traitée dans les
rapports précédents de l’Assemblée parlementaire sur la gouvernance
du football. Le fait de permettre aux supporters et aux joueurs et
joueuses de mieux faire entendre leur voix et de favoriser leur
participation active à la gouvernance du football peut aussi contribuer
à développer la sensibilisation à destination de la population locale
et renforcer la responsabilité sociale. Le rapport aborde donc également
cette question.
8. Pour terminer, la FIFA et l'UEFA ont institutionnalisé et
renforcé leur coopération avec le Conseil de l'Europe (comme avec
d'autres organisations) dans le cadre des mémorandums d'accord qu'elles
ont signés avec notre Organisation. Je crois que nous devrions viser
à renforcer et à élargir cette coopération avec la FIFA et l'UEFA,
ainsi qu’à développer la collaboration avec d'autres parties prenantes,
avec pour objectif d’agir ensemble plus efficacement pour résoudre
les problèmes.
9. Pour cette raison, j’ai impliqué nos partenaires traditionnels
et de nouveaux partenaires dans les diverses étapes de préparation
du présent rapport et je les remercie de leur collaboration constructive.
Je me réfère non seulement à leur contribution à l’audition que
notre commission a tenue le 4 décembre 2020
, mais également
aux réunions en ligne que j’ai eu avec nos partenaires
et aux nombreux
échanges d’informations qui ont eu lieu avec eux, depuis début 2020,
par l’entremise du Secrétariat de la commission. Je ne saurais oublier,
par ailleurs, le précieux apport des experts qui ont participé à
nos travaux
et
de nos partenaires institutionnels de l’Accord partiel élargie sur
le sport (APES)
.
2. La protection des droits humains et
l’organisation d’événements sportifs majeurs
2.1. La
question du respect des droits humains et, en particulier, des conditions
de travail décentes pour tous les travailleurs au Qatar
10. Qatar 2022 se rapproche. Au
courant des premiers six mois de 2021, des appels au boycott de
cette Coupe du monde très controversée ont contribué à remettre
sous les projecteurs la question des conditions de travail dans
ce pays, également à la suite d’un article du
Guardian selon
lequel plus de 6 500 travailleurs migrants originaires d'Inde, du
Pakistan, du Népal, du Bangladesh et du Sri Lanka sont morts au
Qatar sur la période 2011-2020
.
11. L’Assemblée, dans sa
Résolution 2053 (2015) «La réforme de la gouvernance du football», a appelé
la FIFA à demander instamment aux autorités du Qatar de «prendre
sans délai toutes les mesures nécessaires pour garantir le respect
des droits fondamentaux de tous les travailleurs migrants étrangers
employés dans ce pays» (para. 13.2.1) et de «coopérer avec l’Organisation
internationale du travail (OIT) pour contrôler le respect effectif
de ces droits par les entreprises publiques ou privées qui opèrent
au Qatar» (para. 13.2.2).
12. Nous pourrions regretter que la FIFA ait finalement décidé
de ne pas revenir sur sa décision du 2 décembre 2010, comme notre
Assemblée l’avait demandé
, mais notre rapport
de 2017 sur «La bonne gouvernance du football»
a reconnu les initiatives concrètes
prises par la FIFA pour répondre aux demandes de l’Assemblée concernant
les conditions de travail au Qatar. Notre rapporteure, Mme Anne
Brasseur (qui n’a pas hésité à souligner certaines faiblesses du
système de gouvernance de la FIFA), a sincèrement salué ces initiatives
(voir notamment para. 60 à 62). La
Résolution 2200 (2018) de l’Assemblée sur «La bonne gouvernance du football»
a néanmoins recommandé à la FIFA «d’inciter les autorités qataries
à assurer que les normes de bien-être des travailleurs applicables
aux travailleurs employés sur les chantiers de la Coupe du monde 2022
s’appliquent à tous les travailleurs» (para. 11.1.1).
13. A cet égard, les efforts de la FIFA, ainsi que l’excellent
travail de l’OIT
,
du mouvement syndical international et d’autres organisations actives
au Qatar, méritent d’être salués. C’est indéniable que le programme
de réforme dans le domaine du travail au Qatar a permis de franchir
de nombreuses étapes clés et a eu un impact direct et positif sur
les travailleurs. Parmi les résultats les plus significatifs, la
Loi n° 18 de 2020 a dispensé les travailleurs migrants de la nécessité
d’obtenir la permission de leur employeur pour pouvoir quitter le
pays ou changer d’emploi (supprimant ainsi les aspects les plus
problématiques du système de la “kafala”) et a établi, pour la première
fois dans la région, un salaire minimum non discriminatoire. Le système
qatarien de protection des salaires, créé en 2015 pour surveiller
le versement des salaires, a contribué à réduire les abus concernant
les salaires et à régler les litiges en la matière. Une politique
nationale sur la sécurité et la santé au travail a été adoptée;
depuis mai 2021, des nouvelles dispositions ont amélioré la protection
des travailleurs contre le stress thermique. Les principales réformes
s’appliquent aussi aux travailleurs domestiques; après l’adoption
en 2017 de dispositions législatives protégeant leurs droits, ces travailleurs
bénéficient actuellement d’un nouveau contrat standard instauré
en 2021. Aujourd’hui, la législation qatarienne du travail offre
de nouveaux modèles qui peuvent aussi être utiles à d’autres pays
qui comptent d’importantes populations de migrants, au Moyen-Orient
et ailleurs.
14. Il est également important de reconnaître l’engagement du
Gouvernement du Qatar dans la coopération avec les partenaires
et pour assurer
la transparence
.
La volonté de dialogue et de transparence manifestée par le Gouvernement
du Qatar est déjà en soi un progrès notable. Il importe de maintenir
cette transparence et cette communication en ce qui concerne les
objectifs atteints et les défis qui restent à relever.
15. S’il convient de saluer les résultats obtenus par le Qatar
dans le cadre de son programme de réforme dans le domaine du travail,
beaucoup reste cependant à faire. Les statistiques montrent que
le football favorise les changements, mais la réforme se heurte
à des difficultés de mise en œuvre: le non-paiement des salaires demeure
une préoccupation sérieuse et les nouveaux droits (par exemple en
matière d’horaires de travail pendant l’été) ne sont pas pleinement
respectés et mis en œuvre partout; des employeurs sans scrupules
font résistance au changement et continuent d’utiliser des moyens
illégaux pour maintenir leur contrôle sur leurs salariés (par exemple
en annulant les titres de séjour au Qatar des travailleurs, qui
se retrouvent alors sans statut légal dans le pays, ou en portant
plainte pour fuite); la capacité de l’inspection du travail doit
être renforcée de façon significative.
16. Je ne souhaite pas ignorer ou sous-estimer les avancées accomplies;
cependant, je ne saurai me satisfaire des conditions de travail
actuelles au Qatar. Je crois que nous ne consentirions pas à ce
que nos citoyens travaillent dans les conditions que des milliers
de travailleurs connaissent à ce jour dans ce pays. Certes, la plupart
de ces travailleurs ont fui (et fuient encore) des situations pires
et avaient besoin de ces emplois pour survivre; et il est vrai que,
dans beaucoup d’autres pays, les conditions de travail standard
sont bien en-deçà des normes de l’OIT: ce n’est cependant pas une
raison d’accepter ce qui n’est pas acceptable. Selon M. Infantino:
«(…) Des progrès sont encore évidemment possibles, et nous continuerons
de travailler en étroite coopération avec les autorités et tous
les acteurs concernés pour promouvoir un agenda progressif qui devrait
être profitable de manière durable pour tous les travailleurs au
Qatar, qu’ils participent ou non à la préparation de l’événement.»
. Lors de notre entretien
à distance le 8 avril 2021, M. Infantino m’a affirmé que la FIFA
continuerait de travailler avec les partenaires qataris afin d’obtenir
d’autres progrès. Je suis convaincu que cet engagement sera respecté.
17. L’appel à boycott pourrait à présent être un peu trop tardif
et j’ai tendance à partager l’avis de M. Infantino selon lequel
le dialogue pourrait amener d’autres changements. L’engagement et
le dialogue constructifs avec le Gouvernement du Qatar ont permis
d’obtenir de bons résultats et sont la voie à suivre pour la réalisation
de nouveaux progrès. J’en appelle néanmoins à la FIFA pour qu’elle
ne prenne aucune sanction contre les équipes ou les joueurs ou joueuses
qui décideraient de ne pas participer à la Coupe du monde en raison
de leur souhait de respecter les droits humains. Infliger une sanction
dans ce cas serait une grave erreur. De plus, je pense que le «point
de départ» au Qatar, concernant les conditions de travail, était
très mauvais; le respect des normes fondamentales de l'OIT devrait
plutôt être une condition préalable pour être un candidat crédible
et non un objectif à atteindre après avoir été désigné comme pays
hôte de la Coupe du Monde de la FIFA.
18. Enfin, nous ne devons pas oublier que de grandes entreprises
européennes opèrent au Qatar et qu’il nous incombe de veiller à
ce qu’elles respectent nos valeurs.
2.2. Les
conditions de respect des droits humains en tant que clauses contractuelles
types pour les pays candidats
19. Nous attendons des pays qui
accueillent de grandes manifestations sportives – et ce, évidemment,
au-delà du football – d’être disposés à assumer leurs obligations
dans différents domaines et à s’en acquitter effectivement. Par
exemple, il ne fait aucun doute qu’ils doivent assurer la sûreté
de tous les équipements sportifs et la sécurité du public national
et étranger qui assiste aux événements, ainsi que celle des personnes qui
quittent les zones où se déroulent ces manifestations ou qui s’y
déplacent. Il y a des attentes concernant la capacité à planifier
des investissements et à construire ou renouveler les infrastructures
en tenant compte des coûts pour la société (en cherchant à garantir
des retombées sociales et économiques positives) ainsi que de la
nécessité de protéger l’environnement. De même, je suis d’avis que
nous devrions insister sur la dimension des droits humains, et attendre
de tous les pays qui se portent candidats pour accueillir des événements
sportifs internationaux majeurs, telles que les compétitions de
la FIFA et de l’UEFA, qu’ils soient tenus de respecter les principales
normes relatives aux droits humains s’ils souhaitent accueillir
les événements en question.
20. La
Résolution 2200
(2018) recommandait à la FIFA et à l’UEFA, chacune dans le
cadre de ses compétences:
- «d’instaurer des contrôles efficaces du respect
des obligations que les pays candidats à l’organisation des grandes
compétitions de football et les associations nationales de football
assument» (para. 11.2.1);
- «d’insister auprès des gouvernements
des pays hôtes sur la nécessité de sauvegarder les droits civils et
politiques fondamentaux, en particulier la liberté d’expression
– y compris la liberté des médias – et la liberté de réunion pacifique,
et cela non seulement en relation avec leurs compétitions, mais
aussi au-delà» (para. 11.2.2);
- «d’assurer que tous les cas
de manquements graves aux droits de l’homme, y compris les droits
des travailleurs, par des sociétés privées impliquées dans l’organisation
de leurs compétitions, à commencer par celles qui construisent les
stades et les infrastructures, sont rendus publics et que des sanctions effectives
sont appliquées lorsque les mesures de suivi recommandées par les
organes de contrôle ne sont pas mises en œuvre; les gouvernements
des pays hôtes doivent assumer cette responsabilité» (para.
11.2.3).
21. Les partenaires de la FIFA et de l’UEFA nous ont communiqué
des informations pertinentes sur les mesures prises à cet égard,
qui sont présentées dans les documents
AS/Cult/Inf (2021) 14
et AS/Cult/Inf (2021) 15; je reprendrai ici certains éléments.
2.2.1. Les
exigences de la FIFA concernant la protection des droits civils
et politiques fondamentaux
22. Depuis novembre 2017, la FIFA
intègre des obligations relatives aux droits de l’homme dans ses procédures
de candidature et, à ce titre, demande aux pays candidats d’identifier
les risques pour les droits civils et politiques fondamentaux associés
à ces manifestations sportives, et de présenter des plans visant
à y remédier.
23. Les gouvernements candidats doivent soumettre à la FIFA une
«Déclaration» qui contient le texte suivant:
- «Le Gouvernement soutiendra
sans réserve les efforts déployés par la FIFA et par l’association
membre pour s’assurer que l’accueil et l’organisation de la compétition
et toute activité antérieure et postérieure connexe n’aient pas
d’incidence négative sur les droits de l’homme internationalement
reconnus, y compris les droits du travail.
- Le Gouvernement s’engage à
respecter, à protéger et à mettre en œuvre les droits de l’homme, notamment
les droits du travail, dans le cadre de l’accueil et de l’organisation
de la compétition et de toute activité antérieure ou postérieure
connexe, avec une attention particulière pour la sécurité, la réinstallation
et l’expulsion potentielles, les droits du travail (y compris ceux
des travailleurs migrants), les droits des enfants, l’égalité entre
les femmes et les hommes, et la lutte contre d’autres formes de discrimination
ainsi que la liberté d’expression et de réunion pacifique; il s’assurera
que des voies de recours effectives sont accessibles en cas d’incidences
négatives, notamment des mécanismes de traitement des plaintes judiciaires
et extrajudiciaires habilités à enquêter sur toute violation des
droits de l’homme, à la sanctionner et à la réparer.»
24. Dans le cadre des garanties gouvernementales, les gouvernements
sont également tenus de veiller à ce que toutes les forces de sécurité,
publiques comme privées, employées pour le tournoi soient formées
pour respecter les normes internationales qui défendent un maintien
de l’ordre respectueux des droits de l’homme, notamment – mais pas
seulement – les Principes de base des Nations Unies sur le recours
à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables
de l’application des lois, le Code de conduite de l’ONU pour les
responsables de l’application des lois et le Code de conduite international
des entreprises de sécurité privées. Ces codes comprennent le respect
des droits civils et politiques fondamentaux. En outre, la FIFA
exige que les candidats à sa Coupe du monde masculine et à sa Coupe
du monde féminine commandent des évaluations contextuelles détaillées
sur le respect des droits de l’homme auprès d’une entité compétente
et indépendante, approuvée par la FIFA
.
25. Pendant la préparation et l’organisation de la manifestation,
la FIFA collabore étroitement avec chaque association membre et
avec le gouvernement hôte, afin de veiller à ce que toutes les parties
intéressées respectent leurs obligations en matière de droits de
l’homme. Cela implique, entre autres, d’élaborer et de mettre en
œuvre des stratégies communes et des plans d’action, ainsi que des
politiques et des procédures spécifiques, et d’évaluer régulièrement
les mesures prises par les gouvernements pour prévenir les risques relatifs
aux droits de l’homme, en faisant notamment appel à des acteurs
externes.
26. La FIFA et/ou les organisateurs de tournois mettent en œuvre
des mesures pour contrôler le respect des normes relatives aux droits
de l’homme (notamment celles portant sur les droits du travail),
enclenchent des mécanismes de règlement des litiges pour autoriser
le signalement de toute incidence négative et s’attachent à garantir
des niveaux adéquats de transparence
. Lorsque des questions problématiques
sont identifiées, la FIFA engage le dialogue avec les gouvernements
hôtes par la voie de procédures conjointes établies et en utilisant
divers leviers, conformément aux responsabilités qui lui incombent
en vertu des
Principes directeurs des
Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme.
2.2.2. Les
exigences de l’UEFA concernant la protection des droits civils et
politiques fondamentaux
27. Les exigences de l’UEFA en
matière de protection des droits humains et des libertés fondamentales
font l’objet d’une rubrique dédiée dans les Exigences relatives
au tournoi concerné, qui incluent le respect par le candidat, entre
autres:
- du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques et du Pacte international
relatif aux droits économiques, sociaux et culturels;
- des huit conventions maîtresses de l’OIT tels qu’énoncées
dans la Déclaration relative aux principes et droits fondamentaux
au travail et son suivi;
- de la Convention des Nations Unies sur l'élimination de
toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes;
- de la Convention des Nations Unies relative aux droits
de l'enfant.
28. Lors de la soumission de leur candidature, les candidats doivent
confirmer leur engagement à protéger les droits humains. Ils sont
appelés, entre autres,:
- à évaluer
les risques potentiels les plus importants d’atteinte aux droits
humains liés à leur candidature;
- à exposer en détail l’engagement public de leur gouvernement
en matière de droits humains en ce qui concerne la compétition;
- à expliquer comment ces engagements publics seront intégrés
aux normes organisationnelles;
- à fixer les grandes lignes d’un plan d’action et de mécanismes
de recours en cas d’atteinte aux droits humains.
29. Par ailleurs, les candidats/associations nationales organisatrices
sont contractuellement liés, par le biais de l’accord avec l’UEFA
pour l’accueil de la compétition concernée, à un certain nombre
de principes énoncés dans le Pacte mondial des Nations Unies et
les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et
aux droits de l’homme en rapport avec les produits et les services
qu’ils fournissent.
30. Lors de la signature du contrat d’organisation, l’association
organisatrice assume la responsabilité d’agir en tant qu’interface
avec les autorités locales et nationales. Je souhaite suggérer cependant,
que l'UEFA exige l’engagement non seulement des associations nationales
mais aussi – et principalement – des gouvernements des pays candidats,
et mette en place des mécanismes appropriés de dialogue direct avec
eux pour discuter et résoudre les problèmes éventuels.
3. La
protection des enfants et des joueurs et des joueuses mineurs
31. La
Résolution 2200 (2018) recommandait à la FIFA et à l’UEFA, chacune dans le
cadre de ses compétences:
- «d’assurer le respect des normes établies en
matière de transferts pour prévenir un «commerce d’enfants» et de
réfléchir, en collaboration avec le Groupe d'experts du Conseil
de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (GRETA),
sur des mécanismes et des mesures nécessaires pour mettre un terme
à la chaîne de «transferts forcés» de joueurs mineurs, qui relève
de la traite des êtres humains» (para. 11.2.4);
- «de lancer un processus de
réflexion concernant la protection des joueurs mineurs et la promotion
de leur éducation, (…) en tenant compte des propositions spécifiques
formulées dans le rapport sur «La bonne gouvernance du football»
(Doc. 14452
) et de la Recommandation CM/Rec(2012)10 du Comité des Ministres
aux États membres sur la protection des enfants et des jeunes sportifs
contre des problèmes liés aux migrations» (para. 11.2.5);
- «d’accroître les ressources
affectées aux programmes d’éducation et le soutien financier aux
projets éducatifs lancés par les associations nationales» (para.
11.2.7).
3.1. La
réglementation
32. La protection des mineurs doit
rester l’une des principales préoccupations des régulateurs du football. Que
les clubs recherchent les joueurs les plus talentueux et les joueuses
les plus talentueuses se comprend, mais le business
a poussé les clubs et les agents à abaisser l’âge du recrutement
des joueurs et joueuses. Bien sûr, tout le monde s’accorde sur la
nécessité d’assurer une protection adéquate des mineurs, notamment en
limitant les transferts internationaux. Toutefois, l’étendue de
cette protection fait actuellement l’objet d’un débat entre les
parties prenantes dans le contexte de la réforme du système des
transferts. J’aborderai cette question dans la section correspondante
(voir 6.4.).
33. Par ailleurs, le Règlement du programme de développement Forward 2.0
de la FIFA contraint les associations membres et les confédérations
à «prendre des mesures pour protéger les enfants et les mineurs contre
des abus potentiels et pour promouvoir leur bien-être au sein du
football» (article 8, paragraphe 1t).
34. Dans le cadre de l’UEFA, l’article 23bis du Règlement de l’UEFA
sur l’octroi de licence aux clubs (Protection et bien-être des enfants)
dispose que le club «doit établir et appliquer des mesures, conformément aux
directives de l’UEFA en la matière, afin de protéger les joueurs
juniors, de garantir leur bien-être et de s’assurer qu’ils se trouvent
dans un environnement sûr lorsqu’ils participent aux activités organisées
par ses soins».
35. Le programme HatTrick V contribue
au financement d’initiatives telles que l’élaboration par les associations
nationales d’une stratégie en matière de responsabilité sociale
d’entreprise. Le règlement se réfère à la protection de l’enfance
(offrir un cadre de jeu sain et sûr aux enfants et garantir que
des politiques, des pratiques et des procédures efficaces sont en
place pour prévenir tout incident) comme élément de cette stratégie.
3.2. Les
initiatives clés actuelles visant à renforcer la protection de l’enfance
et à promouvoir l’éducation des jeunes joueurs et joueuses
36. La FIFA mène avec les confédérations
et les 211 associations membres un travail de sensibilisation à l’importance
de la protection de l’enfance à tous les niveaux du monde du football.
En juillet 2019, la FIFA a lancé son programme
FIFA Guardians™, qui a pour objectif d’aider les associations membres
et les confédérations à renforcer leurs mesures pour la prévention
en faveur des enfants et des adultes vulnérables dans le football.
La FIFA (avec le soutien et les conseils techniques d’un groupe
de travail composé d’experts du Conseil de l’Europe, de l’UNICEF,
de Safe Sport International et de plusieurs associations membres
ayant une expertise dans ce domaine) a préparé une boîte à outils
/ un manuel pratique sur les étapes nécessaires à l’élaboration
et la mise en œuvre de politiques et procédures visant à prévenir
et traiter les abus, ainsi qu’à assurer le bien-être de tous les
acteurs du monde du football, en particulier des enfants.
37. Concernant la formation et le renforcement des capacités,
en janvier 2021, la FIFA a annoncé le lancement du Diplôme «FIFA
Guardians» de prévention, un programme éducatif mondial développé
avec l’Open University et en coopération avec des experts, des praticiens
et des universitaires issus du monde entier. Ce diplôme vise à professionnaliser
le rôle d’agent de protection dans le football et à améliorer le
niveau de protection dans le monde entier. Il s’agit du premier
programme éducatif de ce type; il offre une ressource pédagogique
et interactive aux 211 associations membres de la FIFA afin qu’elles
puissent mettre en place les meilleures pratiques en la matière,
dans le but d’éradiquer le harcèlement et les violences dont les
enfants qui pratiquent le football, ou n’importe quel autre sport,
peuvent être victimes.
38. La FIFA a aussi développé avec l’UNESCO un programme
Football for Schools, qui vise à
enseigner des «compétences de vie» par le biais du football, et
notamment:
- la compréhension
personnelle (par exemple la prise de responsabilités, la communication, l’identification
avec des personnalités modèles, l’écoute active, l’équilibre entre
gain et perte et les enseignements positifs à tirer de l’un comme
de l’autre);
- les défis auxquels les jeunes sont confronté·e·s (par
exemple le harcèlement, la discrimination, les conflits, les pressions
entre pairs);
- les valeurs sportives (par exemple l’amitié, l’esprit
d’équipe, l’entraide, le respect mutuel);
- la santé et le bien-être (par exemple la lutte contre
les infections, l’hygiène, les demandes d’aide, les espaces sécurisés).
39. L’UEFA a développé, en partenariat avec la Fondation Terre
des hommes, une plate-forme numérique, “safeguarding.eu” qui constitue
une ressource centrale d’information et d’apprentissage en ligne
visant à améliorer les connaissances, les compétences et les pratiques
du football afin d’aider ses associations membres et les autres
parties prenantes du football à accroître leurs connaissances et
compétences dans le domaine de la protection de l’enfance et à créer
des environnements de football plus sûrs pour tous les enfants qui
jouent au football. Le projet est axé autour d’une boîte à outils
sur la sauvegarde de l’enfance et de quatre cours en ligne qui portent
sur cette question. Des ressources portant sur la sauvegarde de
l’enfance dans le sport et, en particulier, dans le football européen
sont disponibles (en anglais uniquement) dans les sections
Library (bibliothèque) et
News (actualités) de la plateforme.
40. Le programme de football scolaire («
Football
in schools»)
et
le soutien que l’UEFA apporte à la formation des entraîneurs et
des entraineuses et aux activités de football de base de ses associations membres
visent
également à mettre le football au service de l’éducation des enfants
et des jeunes, et à promouvoir la formation d’enseignants, d’enseignantes
et d’entraîneurs et d’entraîneuses (notamment de jeunes), en créant
un cadre d’apprentissage sûr et en utilisant une méthodologie d’entraînement
moderne axée sur l’apprentissage, le divertissement et l’interaction
sociale, etc.
41. La formation de responsable du football de base et la formation
préparant au diplôme C de l’UEFA visent notamment à créer un climat
motivant (par exemple: une culture de l’apprentissage, l’inclusion
et l’amitié, un sentiment d’appartenance, la mobilisation, le renforcement
des capacités et l’autonomie de l’enfant, l’amélioration et l’effort
personnels) et à encourager le développement psychologique et social
des enfants (par exemple: développer leur curiosité, résilience, capacité
à résoudre des problèmes, à prendre des décisions et à traiter l’information
la créativité, l’estime de soi; leur apprendre à travailler en équipe).
En outre, la Fondation UEFA soutient plus d’une vingtaine de projets
en lien avec l’éducation, en Europe et ailleurs
.
3.3. De
nouveaux projets d’envergure pour améliorer la protection des enfants
et des jeunes dans le football (et le sport)
42. Dans le cadre du Comité du
dialogue social de l’Union européenne, l’UEFA, l’ECA, les
European Leagues et la FIFPRO envisagent
de mettre sur pied un projet de recherche (européen) pour recenser
les normes existantes en matière de protection des mineurs dans
les écoles de football d’élite et identifier les manquements au
respect des droits de l’enfant. Ce projet prévoit plus spécifiquement:
- d’examiner les réglementations
et les normes de qualité existantes en matière de protection des
mineurs dans les académies d’élite des ligues et des clubs;
- de comparer les normes existantes en matière de protection
des mineurs dans les écoles d’élite avec les normes internationales
en matière de protection de l'enfance sur la base de la Déclaration
des Nations Unies relative aux droits de l’enfant;
- d’élaborer un cadre global (et une liste) de normes de
qualité sur la protection des mineurs dans les écoles d’élite basées
sur les droits de l’enfant.
43. Ce projet peut réellement contribuer à mieux évaluer la qualité
de la protection des enfants dans le football; j’estime que nous
devrions le soutenir et encourager les décideurs nationaux à s’associer
et à contribuer à la réussite de son lancement et de sa mise en
œuvre.
44. J’attache la plus grande importance à un autre projet, qui
représente pour moi une étape fondamentale vers une protection des
enfants efficace dans le football et le sport. Il s’agit du projet
de création d’un centre ou d’une agence pour un sport sûr que le
FIFA étudie avec d’autres partenaires et que Mme Joyce Cook
nous a présenté lors de l’audition le 4 décembre 2020.
45. Comme Mme Cook l’a rappelé, de
nombreuses affaires de maltraitance d’enfants dans le sport ont
reçu une large attention publique ces dernières années dans le monde
entier, y compris dans le football, comme en Afghanistan et à Haïti.
Il est nécessaire de traiter les cas d’abus sur des enfants immédiatement
lorsqu’ils sont signalés, mais les enquêtes sur ces abus sont complexes
et difficiles. Il convient de veiller en priorité à la sécurité
des victimes et à ce que les lanceurs d’alerte, les victimes et
leurs familles ne courent pas un risque supplémentaire. La FIFA
a connu des cas de menaces de mort, sans pouvoir s’adresser aux
organes statutaires de justice pénale et de protection de l’enfance
sur le terrain, s’appuyer sur eux ou leur faire confiance pour obtenir
de l’aide et la conduite d’enquêtes ou de poursuites contre les
auteurs de telles infractions.
46. Ces compétences dépassent le domaine du sport. Aussi la FIFA
appelle-t-elle à la création d’un nouveau centre international pour
un sport sûr. Il s’agirait d’un organe multisports, interinstitutionnel
et intergouvernemental, chargé de traiter les cas d’abus; une entité
efficace, souple et pragmatique proposant un ensemble de services
et de conseils afin d’aider toutes les parties concernées à éradiquer
les abus dans le sport en plaçant au premier plan les besoins des
victimes. Je soutiens sans réserve ce projet et j’espère que l’Assemblée
sera en mesure de mobiliser tous les gouvernements afin qu’ils s’engagent
pour que ce projet aboutisse rapidement.
47. Lors de l’audition du 4 décembre 2020, nous avons entendu
que les agressions sexuelles sont malheureusement une réalité dans
le sport. Le Conseil de l’Europe, avec ses réseaux intergouvernementaux, est
mobilisé pour faire face à ce problème. L’initiative «
Start to talk (Donnons de la voix)»
propose aux États membres trois types d’actions et leur offre un
ensemble d’outils pour les développer
. Actuellement, l’APES, dans
le cadre du projet «
Protection
des enfants dans le sport» (CSiS), prépare des projets-pilote pour développer
des réseaux d’agents de protection de l’enfance dans le sport. C’est
un module qui va sans doute s’ajouter à l’offre déjà existante.
A ce jour, une vingtaine de pays du Conseil de l’Europe utilisent
ces offres. Je considère néanmoins, que l’Assemblée devrait encourager
une plus forte mobilisation politique dans tous les États membres.
Je souhaite également rappeler le plan d'action contre la violence
sexuelle dans le sport que nous avons adopté en 2018, à Tbilissi
, et j’espère que les délégations
parlementaires auprès de l’Assemblée pourront lui donner plus de
visibilité.
4. Promouvoir
l’égalité de genre et le rôle des femmes dans le football
48. La
Résolution 2200 (2018) recommandait à la FIFA et à l’UEFA, chacune dans le
cadre de ses compétences:
- «de promouvoir l’adoption par leurs associations
membres de règles statutaires afin d’assurer, dans leurs comités
exécutifs et leurs commissions permanentes, une représentation féminine
au moins proportionnelle au nombre de licenciées, avec un nombre
minimal de places réservées aux femmes dans tous les cas» (para.
11.2.6.);
- «de renforcer le soutien financier
aux programmes de formation visant à promouvoir le leadership des femmes
au niveau national et à augmenter le nombre d’entraîneurs et d’arbitres
féminins» (para. 11.2.8.);
- «d’utiliser un pourcentage
plus élevé de leurs ressources pour promouvoir le football féminin, notamment
dans les pays dont les associations sont moins riches, en étudiant
des formes de collaboration avec les associations nationales» (para.
11.2.9.);
- «de lancer une campagne d’information
pour combattre le harcèlement sexuel et la discrimination de genre» (para.
11.2.10.).
49. Il n’a pas été possible d’aborder cette question importante
lors de l’audition du 4 décembre 2020. La FIFA et l’UEFA nous ont
toutefois communiqué des informations détaillées sur les efforts
et les programmes qu’elles ont déployés afin de promouvoir l’égalité
de genre et le rôle des femmes dans le football
. Je tiens à féliciter nos partenaires
pour leur travail et pour les résultats qu’ils obtiennent déjà,
qu’il n’est pas possible de présenter ici de manière exhaustive.
On peut citer, entre autres, les quelques exemples suivants.
50. La FIFA a lancé en 2018 sa Stratégie pour le football féminin,
qui décrit la vision à long terme de la FIFA en faveur du développement
du football féminin à tous les niveaux. L’un des piliers fondamentaux
de cette stratégie consiste à développer l’écosystème du football
féminin et à renforcer les normes à tous les niveaux du jeu féminin,
en collaboration avec les confédérations et l’ensemble des 211 associations
membres par la voie de différents projets et initiatives, notamment
le programme «Forward» de la FIFA, la Fondation FIFA et le Programme
de développement du football féminin de la FIFA. La FIFA investira
au total 1 milliard $US dans le football féminin pendant la période
2019-2022.
51. Pour donner une vision plus complète et un outil d’estimation
sur le paysage actuel du football féminin dans le monde, la FIFA
a publié en 2019 un «État des lieux sur le football féminin»; les
données y contenues permettront de concevoir et d’adapter les futures
initiatives stratégiques relatives au football féminin. En septembre 2020,
la FIFA a publié le tout premier «Manuel pour administrateurs ou
administratrices du football féminin». Ce manuel permet de mieux
saisir comment les stratégies, les pratiques et les procédures peuvent renforcer
les objectifs de développement du football féminin et favoriser
l’égalité des sexes, et il propose de bonnes pratiques tirées des
expériences passées.
52. Depuis 2020, l’UEFA a augmenté de 50 % le financement du programme
de développement du football féminin. Au titre de ce financement,
toutes les associations membres devront employer du personnel chargé de
favoriser le développement et la progression du football féminin
et se doter d’une stratégie en matière de football féminin. Durant
la saison 2019-20, l’UEFA a co-financé 92 projets de ses associations
membres pour un total de 11,5 millions d’euros (dont 5,5 millions
d’euros versés au titre du programme «HatTrick»). De plus, l’UEFA
s’est engagée à allouer 50 millions d’euros supplémentaires à la
promotion, à la visibilité et au développement du football féminin.
53. Parmi d’autres initiatives, l’UEFA Academy organise chaque
année une édition du «Programme pour la promotion des femmes aux
postes de direction du football» dans le but de promouvoir la carrière
des femmes capables d’influencer le monde du football d’aujourd’hui
et de demain. Depuis l’inauguration de ce programme, 5 associations
membres (Irlande du Nord, Irlande, Allemagne, Finlande et France)
ont élaboré leur propre programme national.
54. L’Assemblée prône une représentation équitable des femmes
dans les organes des organisations sportives à tous les niveaux.
Tant la FIFA que l’UEFA nous signalent des évolutions positives
au sein des associations nationales et donnent des exemples concrets.
Les deux organisations encouragent ces évolutions. Je souhaiterais
néanmoins que ce processus s’accélère et que la FIFA et l’UEFA demandent
à toutes les associations nationales de prévoir dans leurs statuts
un quota (d’au moins 25%) de postes réservés au sexe moins bien
représenté (en général les femmes) dans leurs organes de direction
et dans leurs commissions. Cela devrait devenir une condition pour
bénéficier des fonds de développement.
5. Repenser
le modèle économique du football
5.1. Des
disparités grandissantes entre les ligues et les clubs: le danger
de la polarisation et des déséquilibres financiers
55. Les ligues européennes ont
chargé KPMG d’élaborer un rapport intitulé «
The
financial Landscape of European Football» [Le paysage
financier du football européen], qui a été remis en novembre 2020.
L’analyse menée dans ce document présente un grand intérêt pour
notre propos. Elle part du postulat suivant: «le football est le
sport le plus populaire au monde et l’Europe en est le principal
marché». Ce marché a connu une croissance rapide, engendrant une
expansion notable des finances des clubs au cours des deux dernières décennies
grâce à trois principales sources de revenus: les recettes commerciales
des clubs (sponsoring, merchandising et partenariats commerciaux),
les recettes de la Ligue centrale (droits de retransmission et sponsoring
de la Ligue) et les recettes générées par les compétitions interclubs
de l’UEFA
.
56. De 2009 à 2018, les recettes totales du football européen
sont passées de 11 719 millions d’euros à 21 083 millions d’euros,
et ont été marquées par une progression de toutes les sources de
revenus: les recettes commerciales sont passées de 4 372 millions
d’euros à 7 965 millions d’euros (soit une croissance de 82%), celles
tirées des droits de retransmission des matchs de championnat ont
progressé de 4 076 millions d’euros à 7 890 millions d’euros (soit
une croissance de 94%) et les recettes des compétitions interclubs
de l’UEFA ont bondi, passant de 692 millions d’euros à 2 092 millions
d’euros (soit une croissance de 202%). Les recettes des journées
de match
restent une source de revenus
importante, bien que l’évolution soit moins prononcée (de 2 081 millions
d’euros à 3 138 millions d’euros, soit une croissance de 51%).
57. Cette expansion commerciale rapide n’a cependant pas été homogène
et ne l’est toujours pas, provoquant des disparités grandissantes
entre les ligues et les clubs. Selon l’analyse typologique menée
dans le cadre du rapport KPMG, en 2018, l’écart entre le total des
recettes d’exploitation du «Groupe A», c’est-à-dire des 5 grandes
ligues européennes (dans l’ordre alphabétique: Allemagne, Angleterre,
Espagne, France et Italie), et du «Groupe B» (Belgique, Pays-Bas,
Portugal, Russie, Suisse et Turquie) s’élevait à 12 697 millions
d’euros (contre 6 202 millions d’euros en 2009.). Les recettes d’exploitation
moyennes par club étaient en 2018 de 160,1 millions d’euros pour
le «Groupe A» (contre 82,1 millions d’euros en 2009), de 31,7 millions
d’euros pour le «Groupe B» (contre 19,2 millions d’euros en 2009),
et nettement inférieures pour les autres clubs. Sur la période 2009-2018,
les revenus des dix premiers clubs du «Groupe A» ont enregistré une
hausse de 212 %, tandis que ceux des autres clubs du même groupe
ont progressé de 187 % et ceux des clubs des autres groupes de 150 %
seulement. Sur le plan positif, le football européen s’est développé
un peu partout; en revanche, sur le plan négatif, force est de reconnaître
une polarisation croissante.
58. Les disparités financières d’une ligue à l’autre sont, dans
une certaine mesure, inévitables et dépendent en partie des différentiels
entre les marchés nationaux et des situations socio-économiques,
mais elles se sont accrues. Cependant, la polarisation et le creusement
des écarts sont également dus aux différences d’échelle des marchés
médiatiques selon les pays et au système de distribution des recettes
des compétitions interclubs de l’UEFA. Les grandes ligues – et les
clubs de premier plan qui les composent – ont davantage profité
de l’augmentation de la valeur des droits de retransmission que
les autres. La part des recettes tirées des droits de retransmission
s’élève à 44 % pour le «Groupe A», mais seulement à 21 % pour le
«Groupe B» et à peine entre 2 et 12 % pour les Groupes C, D et E.
59. La redistribution des recettes des compétitions interclubs
de l’UEFA aux clubs a encore amplifié les écarts financiers entre
les grands clubs de chaque ligue et les autres. En effet, le rapport
KPMG souligne la domination accrue d’un nombre réduit de clubs dans
de nombreux championnats nationaux et l’avantage sportif que ces
grands clubs tirent de leur participation régulière aux compétitions
interclubs de l’UEFA. En d’autres termes, la répartition des revenus
de ces compétitions est source de déséquilibre en raison de son importance
croissante et de sa concentration sur un petit nombre de clubs de
premier plan dans chaque ligue.
60. L’expansion du marché des transferts, avec des dépenses dans
ce domaine de plus de 8 milliards d’euros en 2018 à mettre en regard
de recettes s’élevant à 6 milliards d’euros (soit un solde négatif
de 2 milliards d’euros) est une autre caractéristique de cet écosystème
de plus en plus polarisé. L’augmentation des dépenses de transfert
par les grands clubs renforce à certains égards l’écosystème du
football, car les ligues de premier plan – à l’exception remarquable
de la Ligue 1 française
–
sont des «acheteurs nets», les clubs des autres ligues étant des
«vendeurs nets».
61. Une question essentielle pour toutes les parties prenantes
est de savoir comment remédier à cette polarisation. Je crois savoir
qu'il n'y a pas de solution miracle et que les parties prenantes
rencontrent des difficultés à se mettre d'accord sur les moyens
d'avancer.
62. L’UEFA a récemment modifié la structure de ses compétitions
interclubs: à compter de la saison 2021/2022, la Ligue Europa (UEL)
passera de 48 à 32 clubs et une troisième compétition à 32 équipes,
la Ligue Europa Conférence de l’UEFA (UECL) sera introduite. Les
recettes correspondantes sont estimées à 3,5 milliards d’euros par
an pour le cycle 2021-2024, dont 85 % environ provenant des droits
audiovisuels et 15 % du sponsoring et des licences. Sur cette base,
les 32 clubs engagés dans la Ligue des champions (UCL) se partageront
2,032 milliards d’euros (soit 74 % des primes allouées aux clubs),
les 32 clubs qui participent à la UEL ou à la UECL se partageront
465 millions d’euros (17 %) et 235 millions d’euros respectivement (9 %)
. Outre
les subventions croisées de la UCL vers la UEL et la UECL (estimées
à plus de 400 millions d’euros), à compter de la saison 2021/2022,
quelque 245 à 280 millions d’euros seront directement versés aux clubs
au titre de la solidarité (105 millions d’euros pour les versements
liés aux phases de qualification et 140 à 175 millions d’euros aux
clubs non participants à des fins d’investissement en faveur des
jeunes).
63. Bien que le nouveau système UCC offre davantage d'opportunités
sportives à un plus grand nombre de clubs et que son mécanisme de
distribution des recettes comprenne une composante de solidarité significative,
je doute que cette dernière soit suffisante pour éviter que le système
ne continue à provoquer des écarts croissants. Je suis conscient
que l'UEFA doit prêter attention aux attentes de différentes parties prenantes
aux intérêts divergents; je suis également convaincu qu'il n'est
pas correct de prétendre que l’UEFA doit résoudre seule le problème
de la polarisation. Cependant, les critères retenus pour la distribution
des primes de l'UCL et le niveau de solidarité que le système assure
ne permettent pas d'éviter une nouvelle augmentation de l'écart
financier entre les meilleurs clubs de chaque ligue et les autres.
À cet égard, il est assez difficile pour notre Assemblée de prendre
position et je crois qu'il appartient aux parties prenantes de continuer
à discuter des moyens qui permettraient de modifier progressivement
les systèmes. Je souhaite toutefois faire deux propositions.
64. Tout d’abord, je considère que le coefficient établi sur la
base des performances des clubs sur une période de dix ans n'est
pas un bon critère d'attribution, car il augmente les distorsions;
ainsi, la part de 30 % des recettes distribuées selon ce critère
pourrait être progressivement réduite et finir par disparaître.
L'UEFA pourrait allouer le montant correspondant à la solidarité,
en augmentant par exemple les fonds à investir dans la formation
et l'éducation des jeunes et dans le développement du football féminin.
65. Ensuite, les ligues européennes devraient envisager de créer
un fonds de solidarité, qui pourrait être alimenté par un petit
pourcentage des droits de télévision perçus au niveau national par
les ligues les plus riches. Je suis conscient qu'il ne s'agit pas
d'une proposition facile; mais si nous savons que la polarisation
est principalement déclenchée par l'augmentation de la valeur des
droits de diffusion perçus par les grandes ligues, la conséquence
logique est qu'ils sont la source de recettes qui pourraient soutenir
un mécanisme de solidarité. L'idée ne consisterait toutefois pas
à distribuer de l'argent gratuitement: un tel fonds de solidarité devrait
être conçu pour soutenir des projets solides (y compris, le cas
échéant, des projets conjoints impliquant différentes ligues) conformes
aux objectifs stratégiques. L'aide financière pourrait aussi prendre
la forme de «subventions de contrepartie», complétant ainsi les
efforts financiers ciblés des clubs ou ligues bénéficiaires. Je
pense que, dans le contexte actuel de reprise après la pandémie
de covid-19, un tel fonds pourrait également viser à promouvoir
le développement de projets en collaboration avec les associations
de supporters. J'ajouterai que le dialogue avec l'UEFA et la FIFA,
ainsi qu'une bonne coordination des actions mises en œuvre, devraient
permettre d'éviter que les ressources disponibles pour la solidarité
ne soient mal utilisées en raison de chevauchements d'initiatives
et de duplications d'efforts.
5.2. Démesure
financière: les salaires et les opérations de transfert
66. La démesure financière dans
le milieu footballistique est peut-être la plus criante dans les
profils des joueurs les mieux payés. En regardant les chiffres juste
avant la pandémie de covid-19: selon l’édition 2019 du classement
annuel des sportifs les mieux payés au monde établi par Forbes,
les huit premiers joueurs de football évoluent dans quatre des cinq
ligues européennes les plus performantes. Trois d’entre eux – Lionel Andres
Messi, Cristiano Ronaldo et Santo Júnior Neymar da Silva – figuraient
en tête de la liste Forbes, devançant les superstars du football
américain, du golf, du basketball et du baseball.
67. En 2020, malgré les baisses de salaire, Ronaldo a gagné 105 millions
$US, Messi 104 millions $US et Neymar plus de 95 millions $US. L’année
suivante, en 2021, Messi a empoché 130 millions $US et Ronaldo 120 millions
$US, suivis par Neymar, quelque peu à la traîne (si l’on peut dire)
avec 95 millions $US. Certes, il s’agit là de joueurs d’exception
et une partie de leurs revenus provient de leurs sponsors. Il est
d’ailleurs incontestable que ces champions apportent une vraie valeur
ajoutée à leur club. Pour le comprendre, il suffit de rappeler qu’ils
sont des superstars sur les réseaux sociaux: Ronaldo comptabilise
près de 500 millions d’abonnés sur Facebook, Instagram et Twitter,
Messi plus de 330 millions et Neymar plus de 280 millions, avec pour
corollaire une énorme visibilité sur les réseaux sociaux pour leurs
équipes respectives. Cela étant, les salaires de ces joueurs et
d’autres joueurs de haut niveau posent question, sachant que les
clubs de football sont par ailleurs très endettés.
68. Tous les joueurs professionnels de haut niveau ne perçoivent
pas des rémunérations et avantages aussi exorbitants et vertigineux.
Les joueurs qui gagnent des millions ne constituent que le sommet
d’une pyramide mondiale de footballeurs professionnels bien plus
large
.
Un peu moins de 2 % des joueurs au plan mondial gagnent plus de
720 000 $US par an; en dehors de l’élite mondiale, les salaires
sont nettement plus modestes, avec 74 % gagnant moins de 4 000 $US
par mois et plus de 45 % des joueurs touchant un salaire mensuel inférieur
à 1 000 $US
.
Plus bas dans la pyramide, un nombre conséquent de joueurs gagnent
leur vie en évoluant dans les championnats plus pauvres ou moins
prestigieux des Amériques et d’Asie, d’Europe centrale et de l’Est,
et d’Afrique.
69. Il serait naïf de penser ou de proposer que les meilleurs
joueurs au monde ne puissent tirer profit de leur talent, de leur
génie, de leur implication et de leur travail acharné au cours d’une
carrière inévitablement concentrée et parfois cruellement brève.
Cependant, les salaires versés par les meilleures ligues mais aussi par
les divisions de niveau inférieur qui ont l’ambition d’être promues
et de se hisser au sommet, ont montré une tendance inflationniste
et contribuent aux problèmes d’instabilité économique qui découlent
de l’engagement incertain de fonds pour récupérer, quels que soient
le prix du transfert et les salaires, la nouvelle jeune star ou
la pièce manquante du puzzle.
70. Au cœur des opérations de transfert se trouvent les agents
qui, travaillant sur tous les fronts, mais surtout pour le cartel
des grands clubs, s’octroient des centaines de millions d’euros,
dollars ou livres, dans la mesure où les meilleurs clubs s’efforcent
de préserver leur image de marque en monopolisant le marché aussi bien
des petites stars que des superstars avérées. La nature du système
de transfert revêt une importance fondamentale pour l’économie du
sport et l’incohérence de ce mécanisme de répartition des richesses
dans le milieu footballistique a créé un marché florissant où d’énormes
sommes circulent entre les clubs d’élite, dans une économie solipsiste
caractérisée par des échanges limités de ressources. Ce système
peut, en principe, récompenser et encourager les clubs qui recrutent
des joueurs et s’engagent à assurer leur développement. Le problème
réside dans la possibilité qu’ont les agents de prendre un pourcentage
bien trop élevé du montant des transactions, étant donné qu’ils
interviennent dans le processus tant pour le compte des clubs que
pour celui des joueurs.
71. Il est surprenant de constater qu’en 2018, malgré les flux
financiers impressionnants (et le fait que le football européen
dans son ensemble soit devenu rentable), près de la moitié des clubs
de première division ont enregistré des déficits. Les coûts d’exploitation
ont atteint 20 387 millions d’euros en 2018 (soit environ 70 % de
plus qu’en 2009), et se sont accompagnés d’une augmentation significative
des salaires des joueurs (passant de 7 488 millions d’euros à 13 472 millions
d’euros), qui constituent le principal élément de coût pour les
clubs.
72. Les règles financières nationales et le fair-play financier
de l’UEFA ont eu un impact positif, en imposant des dépenses plus
responsables et des modèles financiers plus durables
. Cependant, au sein de l’UEFA, seules
17 ligues (sur 55) ont dégagé une marge bénéficiaire nette moyenne
sur cinq ans (2014-2018). En raison des dépenses excessives liées
aux salaires des joueurs, les clubs et l’écosystème du football
sont particulièrement vulnérables sur le plan de la gestion financière,
les revenus annuels pouvant faire l’objet de fluctuations importantes.
C’est d’ailleurs ce qui s’est passé avec la pandémie de covid-19.
73. Les conséquences et l’incidence considérable de cette pandémie
sur les flux de revenus des clubs, des ligues et même des associations
nationales
, ont
amplifié les risques systémiques engendrés par la polarisation et
les déséquilibres financiers d’une part, et les excès financiers
d’autre part. Et si la coopération accrue entre les parties prenantes
et les efforts conjoints pour répondre à la crise peuvent être source
d’espoir pour l’avenir (comme le note le rapport KPMG), je ne peux
qu’exprimer ma profonde désapprobation à l’égard de la position
adoptée par 12 des clubs européens les plus puissants et de leur
tentative de création d’une Super Ligue européenne distincte.
74. L’ensemble des organisations footballistiques, ainsi que les
supporters – auxquels nous devons rendre hommage – et de nombreux
décideurs politiques, ont vivement réagi, poussant la plupart de
ces clubs à faire part de leur intention de ne pas poursuivre le
projet de Super Ligue européenne. Mais ne soyons pas naïfs: le mal
est fait et l’idée continuera à faire son chemin. Les intérêts financiers
considérables restent une proposition attrayante pour ceux qui estiment
qu’un tournoi fermé est le meilleur moyen de récolter de l’argent
frais, même si ce n’est plus le jeu auquel le public aspire et si
un tel projet est susceptible de tuer le football tel que nous le concevons.
75. Le modèle de promotion et de relégation du football permet
à tous la possibilité de rêver d’un jour de gloire. Les propriétaires,
les joueurs et les joueuses, le personnel, les supporters, les communautés,
les sponsors et autres parties intéressées peuvent rêver qu’un jour
leur club figurera dans le peloton de tête du championnat professionnel
national. Le récit de la renaissance, du retour, de la progression
et de la montée, la perspective d’affrontements épiques entre de
petites localités inconnues et de grands centres métropolitains,
sont autant d’occasions d’alimenter les passions des supporters
et des spectateurs, mais aussi des joueurs et joueuses qui aspirent
à exercer leur métier au plus haut niveau.
76. Le modèle économique dominant du football permet encore l’éclosion
de tels rêves et aspirations, encouragée par une structure pyramidale
d’implication et de participation adaptable à tous les niveaux,
de la simple aire de jeu au stade professionnel. Dans la pratique,
les plus riches sont, pour la plupart, devenus inattaquables; mais
les espoirs nourris par la base restent une réalité. La situation
diffère aux États-Unis, où un modèle de franchise du sport professionnel,
incarné par la National Football League, repose sur une compétition
contrôlée et des parcours établis – dans le cadre en particulier
du sport universitaire – pour les futurs sportifs d’élite.
5.3. Contrôles
financiers laxistes
77. Depuis longtemps, la situation
économique et financière d’organisations sportives comme les clubs
de football est considérée comme un cas unique et spécifique. Elle
s’explique en grande partie, comme on l’a vu dans le cas de la Ligue
française, par la volonté des clubs d’engager des dépenses supérieures
à leur budget pour attirer les meilleurs joueurs et les meilleures
joueuses, avant d’implorer les mécènes et les magnats de les renflouer
. D’autres parties peuvent
également être désireuses de participer et de contribuer à de telles opérations
de renflouement, notamment les groupes de supporters, ainsi que
les municipalités et d’autres entités politiques pour lesquelles
la présence d’un club de football constitue un symbole appréciable
de communauté et de patrimoine et un outil potentiel de marketing
territorial dans les temps présents et à venir. Six types de laxisme
ont été identifiés dans l’analyse et la théorie de la contrainte
budgétaire lâche, et il a été démontré qu’ils sont tous profondément
ancrés dans le football européen et les pratiques opérationnelles
des clubs
.
78. Les six types sont les suivants:
- une tarification administrative souple, comme dans le
cas de la fourniture aux clubs de stades ou structures d’entraînement
à des prix inférieurs à ceux du marché;
- une fiscalité douce, par exemple des exonérations fiscales,
et l’amnistie ou le non-recouvrement de la dette fiscale;
- des subventions souples, accordées ouvertement, comme
l’annulation de déficits ou de dettes par des mécènes ou des gouvernements
afin de maintenir les clubs en activité, ou sous une forme plus
cachée, comme des contrats de sponsoring gonflés artificiellement;
- des conditions de crédit souples, notamment des factures
impayées, des autorisations de découverts et des reports et/ou rééchelonnements
des dettes;
- des investissements souples, lorsque des sponsors ou un
gouvernement financent des infrastructures génératrices de revenus
telles que la construction de nouveaux stades;
- une comptabilité douce, dans laquelle les angles sont
arrondis, les règles contournées et les conditions légales satisfaites
d’une manière créative.
79. Nous avons là les ingrédients de la recette du manque de transparence
dans la formation et l’administration des clubs de football qui
expose ces derniers aux crises financières dans tous les domaines professionnels.
Nous avons mentionné ci-dessus l’impact positif des règles de fair-play
financier (FPF) de l’UEFA. D’aucuns ont fait valoir, néanmoins,
qu’après l’introduction par l’UEFA des règles de FPF, la qualité des
rapports et états financiers des clubs de football européens s’était
dégradée; et que des formes explicites de maquillage des comptes
financiers avaient été adoptées afin d’éviter les sanctions prévues
en cas de non-respect du principe de fair-play financier, permettant
ainsi aux clubs de continuer d’agir comme auparavant
. La
question que l’on peut se poser ici est de savoir dans quelle mesure
les principes bien intentionnés du FPF ont été contournés dans la
pratique ou appliqués de manière déloyale.
80. L’UEFA et les parties prenantes considèrent que les règles
de FPF devraient être révisées
. Actuellement,
les pistes suivantes sont étudiées parmi d’autres:
- le système devrait passer d’une
approche ex-post à une approche ex-ante et devrait porter sur le contrôle
des montants des transferts et des salaires des joueurs et des joueuses
(qui pourraient être plafonnés, par exemple), au lieu de s’intéresser
uniquement au résultat financier net;
- il faudrait mettre en place des incitations à régler les
problèmes dus à la variabilité des revenus et à la rigidité des
structures de coûts;
- il faudrait revoir la grille des sanctions (et la manière
de les imposer), pour faire en sorte qu’elles soient proportionnées
et dissuasives et qu’elles tiennent compte des cas de récidive;
les sanctions financières doivent s’accompagner de sanctions sportives.
81. Certaines parties prenantes craignent toutefois que la réforme
ne donne plus de marge de manœuvre du côté des dépenses, dans la
mesure où de nouvelles liquidités seraient disponibles, ce qui pourrait avantager
les clubs d’élite et contribuer ainsi à accroître la polarisation.
C'est un problème que l'UEFA devrait garder à l'esprit.
82. Il n’y a pas eu suffisamment de temps pour approfondir cette
question avec les partenaires et, par conséquent, je ne pense pas
qu'il soit approprié d'exprimer des points de vue directs, mais
je souhaiterais encourager un véritable débat sur les avantages
(et les inconvénients potentiels) du plafonnement des salaires ou
des contrats des équipes pour les clubs à différents niveaux de
l’échelle ou de la pyramide footballistique, en gardant à l’esprit
qu’il faut protéger les plus petits clubs, en particulier des dérives
financières, et garantir la pérennité à moyen et long terme des
structures des ligues et le modèle de promotion-relégation.
83. Concernant les évènements majeurs, les processus d’appel d’offres
ont incité les pays et les associations nationales à «voir grand»
lorsqu’ils se portent candidats pour accueillir la phase finale
d’une Coupe du monde ou d’un championnat d’Europe de football masculin.
Par ailleurs, les vestiges infrastructurels délaissés du Portugal
en 2004, de l’Afrique du Sud en 2010, du Brésil en 2014 et même
de la Russie en 2018 témoignent du caractère non responsable de
certaines des décisions majeures prises par les instances dirigeantes
du football.
84. De nettes améliorations ont toutefois été apportées aux principes
et procédures d’appel d’offres ces dernières années, notamment en
ce qui concerne la transparence de la procédure de vote pour les
droits d’organisation de la Coupe du monde masculine de la FIFA
2026 et, au niveau européen, la décision de répartir, pour la première
fois dans l’histoire du Championnat d’Europe de l’UEFA (Euro 2020),
les matchs entre 12 villes dans 12 pays européens. Il convient de
tenir compte des préoccupations en matière d’impact sur l’environnement
et d’intégrer dans tous ces processus des buts et objectifs évaluables
en termes de patrimoine afin d’éviter les dérives budgétaires, les
flambées des prix et la multiplication d’installations et de sites
voués à devenir des «éléphants blancs».
6. La
réforme du système des transferts
85. Depuis mars 2017, la Commission
des acteurs du football de la FIFA s’occupe de la réforme du système des
transferts. J’ai fait état du processus de réforme dans un document
d’information
auquel je me réfère. Je ne reprends
ici que quelques éléments et mon analyse.
86. La FIFA a constitué en octobre 2017 un groupe de travail qui
réunit ses représentants ainsi que ceux de la FIFPRO, des clubs,
des ligues, des associations nationales, de l’UEFA et des autres
confédérations, pour s’accorder sur les moyens d’améliorer le système
des transferts. La nécessité d’un examen approfondi du système a
été clairement perçue et ses points faibles ont été bien identifiés:
- un marché des transferts qui
obéit à la spéculation et non à la solidarité;
- des frais de transfert excessifs qui détournent de l’argent
du développement du football;
- une influence croissante des agents du football, avec
un risque accru de conflits d’intérêts;
- une instabilité contractuelle accrue;
- une inflation massive des frais de transfert et des salaires
des joueurs et des joueuses;
- un déséquilibre concurrentiel croissant.
87. Afin de corriger les ratés du système actuel, les aspects
suivants ont été examinés: chambre de compensation, intermédiaires
et agents, primes de formation, prêts, procédure de paiement des
indemnités de transfert, transfert des jeunes joueurs et joueuses,
taille des équipes et joueurs et joueuses formés sur place, fenêtres
de transfert (enregistrement) et règles fiscales concernant les
frais de transfert et les salaires des joueurs et des joueuses.
88. D’une manière générale, tous les partenaires associés aux
travaux considèrent que la création de la chambre de compensation,
le système de licence obligatoire des intermédiaires au niveau international
et les nouvelles réglementations sur ces intermédiaires, la modernisation
du mécanisme de solidarité et du système des indemnités de formation
et la réforme du système de prêts constituent des améliorations
qui auront des retombées favorables à long terme
.
89. C’est aussi mon avis. Les éléments de réforme qui ont déjà
fait l’objet d’un accord sont positifs; ils préservent les intérêts
légitimes des joueurs et des joueuses, des clubs et d’autres acteurs
du secteur du football. J’apprécie également le fait que le processus
de réforme vise à dégager un consensus aussi large que possible
sur les solutions, également en vue d’en accélérer leur application
effective. Toutefois, on peut se demander dans quelle mesure ces
avancées répondent à toutes les attentes et si les problèmes existants, bien
que moindres, mais qui restent en partie non réglés, appelleront
donc à un examen plus approfondi
.
90. Vu son ampleur et sa complexité, la réforme ne pourra se faire
que progressivement. Parvenir à un consensus aussi large que possible
est tout aussi important et cela demande bien sûr de disposer d’un
laps de temps suffisant pour « négocier ». Compte tenu des intérêts
financiers considérables en présence et parfois des divergences
importantes de vues et d’attentes, il n’est pas surprenant que les
résultats obtenus ne soient parfois que provisoires, même pour ce
qui est des principaux éléments de la réforme. Par ailleurs, le
rôle de médiateur que la FIFA doit jouer entre les attentes et les
intérêts divergents susmentionnés est très délicat. Nos propositions
visent à soutenir les efforts de la FIFA (mais aussi d’autres partenaires)
– et non à formuler des critiques – dans l’espoir de contribuer
à lever les fortes résistances à une réforme qui touche à des intérêts particuliers
très importants.
91. La FIFA a demandé au GRECO du Conseil de l’Europe d’analyser
le nouveau système de transfert et de rendre un avis à ce sujet.
Je n’ai pas l’intention de reproduire l’excellente et très détaillée
analyse du GRECO ni les nombreuses recommandations qu’elle contient.
Mon propos est de mettre en évidence certains aspects (essentiels)
qui me préoccupent, et ma position est cohérente avec l’approche
et les conseils du GRECO.
6.1. La
chambre de compensation
92. La chambre de compensation
de la FIFA est une entité, distincte de la FIFA, qui agira en tant
que prestataire de services de paiement. En résumé, la chambre de
compensation devrait garantir un enregistrement en bonne et due
forme de tous les joueurs et de toutes les joueuses, une totale
traçabilité de leurs transferts ainsi qu’un calcul correct des primes
de formation et leur paiement. Elle devrait également s’assurer,
via une procédure d’évaluation de la conformité, que toutes les
parties impliquées dans les transactions financières réalisées par
son intermédiaire respectent les obligations légales nationales
et internationales en matière de sanctions financières internationales,
de lutte contre le blanchiment d’argent et de financement du terrorisme.
93. Néanmoins, dans un premier temps, seules les primes de formation
seront payées par l’intermédiaire de la chambre de compensation
et ce n’est que dans une étape ultérieure que les frais et honoraires
des agents pour leurs services et pour les transferts seront payées
via ce système. On peut comprendre que le nouveau système soit mis
en œuvre progressivement. Toutefois, compte tenu du fait qu’il est
important de veiller à la transparence de tous les flux financiers
liés aux transferts, il est capital que tous les frais et honoraires
des agents pour leurs services et pour les transferts soient traités
dès que possible par le système de la chambre de compensation et
que les agents et leur activité soient soumis aux procédures d’évaluation de
la conformité, tout en garantissant une protection solide des données
à caractère personnel.
94. En outre, les règlements de la FIFA devraient prévoir l’obligation
exécutoire de fournir des données exactes (et les pouvoirs correspondants
pour enquêter et sanctionner toute violation de cette obligation).
Le système de la chambre de compensation de la FIFA s’appliquera
aux transferts internationaux, mais la transparence doit être assurée
aussi dans le cas des transferts nationaux; cela pourrait être poursuivi
par la création de chambres de compensation nationales, qui devraient
toutes fonctionner selon les mêmes normes (afin d'assurer une collecte
et une analyse uniformes des données).
6.2. La
règlementation sur les agents du football et leur statut
95. La réglementation relative
aux agents/intermédiaires est un point sensible et complexe. Le
Règlement des Agents de Joueurs de 2008 de la FIFA subordonnait
l’accès à la profession à l’obtention d’une licence soumise à une
procédure d’examen et interdisait la représentation multiple. En
2015, le Règlement de la FIFA sur la collaboration avec les intermédiaires
a introduit un système beaucoup plus souple, avec seulement quelques
exigences de base minimales: le système de licence était abandonné,
les intermédiaires étaient autorisés à représenter plusieurs parties
dans une même transaction (sous réserve d’une information appropriée)
et la FIFA renonçait à sa compétence pour traiter les conflits entre
intermédiaires et l’octroi des licences. L’application de ce règlement
a été déléguée aux associations nationales, créant des différences voire
des incohérences entre pays.
96. De l’avis quasi général, ce règlement était une erreur (ce
que la FIFA reconnaît aussi). Une consultation sur un processus
de réforme est en cours depuis avril 2018 et cette question a été
incluse dans le deuxième train de réformes approuvé par le Conseil
de la FIFA en octobre 2019 à Shanghai.
97. Le nouveau règlement, qui devrait entrer en vigueur en 2022,
vise, d’une part, à renforcer les normes professionnelles et éthiques
des agents et, d’autre part, à renforcer la protection des joueurs
et des joueuses et leur stabilité contractuelle, avec notamment:
le rétablissement d’un système de licence obligatoire; l’interdiction
de la représentation multiple pour éviter les conflits d’intérêts;
le plafonnement des commissions pour éviter les pratiques excessives
et abusives, et prévenir leur inflation; la mise en place d’un système
de règlement des litiges exclusif, simple et rapide au sein de la
FIFA pour traiter les litiges relatifs aux agents qui présentent
une dimension internationale. Deux questions méritent une attention
particulière.
98. Premièrement, en ce qui concerne la question de la représentation multiple, le règlement
prévoit une interdiction générale de représenter deux ou plusieurs
parties à une même transaction; toutefois, un même agent serait
autorisé à représenter le joueur ou la joueuse et le club qui l’engage
dans la même transaction, sous réserve d’obtenir l’accord écrit
préalable et explicite des deux clients. Il s’agit d’une sorte de
compromis. Il peut arriver que les intérêts du joueur ou de la joueuse
et du club qui l’engage divergent; il existe donc bel et bien un
risque de conflit d’intérêts et il sera essentiel d’y remédier.
Toutefois, si l’on considère la question du point de vue des joueurs
et des joueuses, nombreux sont ceux et celles qui seraient bien
incapables de supporter à eux seuls et à elles seules le coût des
services des agents si cette option n’existait pas.
99. Deuxièmement, en ce qui concerne les commissions,
sur la base des données du système électronique des transferts de
la FIFA, la somme totale des commissions versées aux intermédiaires
dans le cadre des transferts internationaux était de 655 millions $US
environ en 2019; en 2020 (malgré l’impact perceptible de la pandémie
de covid-19), elle a atteint 496 millions de $US. En réalité, les
commissions versées aux agents sont nettement plus élevées, car
seuls les transferts internationaux (mais pas les transferts nationaux),
les commissions versées par les clubs (mais pas celles versées par
les joueurs et les joueuses) et les sommes (correctement) déclarées
par les utilisateurs sont enregistrés dans le système électronique
de transfert de la FIFA. La plupart des commissions des agents sont
payées par des clubs des pays de l’UEFA.
100. Les sommes réinvesties via les mécanismes des indemnités de
formation sont beaucoup moins importantes. En 2018, par exemple,
le montant total des contributions de solidarité et des primes de
formation s’est élevé à un peu plus de 90 millions $US, soit six
fois moins que les commissions sur les transferts internationaux.
En 2019, les paiements aux clubs formateurs se sont élevés à 75,5 millions USD,
selon la FIFA. Il semble que la spéculation du marché détourne des
ressources du développement du football, sans compter qu’elle incite
à la mobilité des joueurs et des joueuses, au détriment de la stabilité
contractuelle qui se trouve ainsi menacée, et qu’elle est susceptible
d’avoir un impact négatif sur les salaires des joueurs et des joueuses.
101. Pour toutes ces raisons, la FIFA envisage de
plafonner les commissions:
- pour l’agent qui représente
le joueur ou la joueuse, la commission maximale serait de 3 % de
la rémunération effectivement versée au joueur ou à la joueuse en
vertu du nouveau contrat de travail;
- pour l’agent qui représente le club qui engage un joueur
ou une joueuse, la commission maximale serait de 3 % de la rémunération
effectivement versée au joueur ou à la joueuse en vertu du nouveau
contrat de travail;
- pour l’agent qui représente le club d’origine, le plafond
des commissions totales versées pour l’ensemble de la transaction
serait de 10 % de l’indemnité brute de transfert.
102. Il s’agit d’un progrès: les mesures proposées pour les agents
vont dans la bonne direction car elles réalignent la réglementation
relative aux agents sur les objectifs du système de transfert du
football. Néanmoins:
- de façon
générale, la commission sur l’indemnité brute de transfert sera
(beaucoup) plus intéressante que la commission sur la rémunération
du joueur ou de la joueuse; du fait de ce déséquilibre, les agents auront
tout intérêt à multiplier les transferts, ce qui pourrait favoriser
l’instabilité contractuelle;
- les plafonds concernent uniquement les commissions versées
aux agents, et non les autres formes de frais pour leurs services;
ce qui pourrait favoriser les ententes parallèles (secrètes) pour
déplacer les revenus des agents des commissions vers les frais fixes
(en les gonflant) en laissant une marge de manœuvre pour contourner
les plafonds proposés;
- même plafonnés, les montants versés aux agents resteront
bien supérieurs aux sommes distribuées au titre de la formation
et de la solidarité.
103. Trouver une solution qui permette à la fois de rétribuer les
agents équitablement et raisonnablement, d’éviter les conflits d’intérêts,
de protéger les joueurs et les joueuses, d’éviter les pressions
qui favorisent l’instabilité contractuelle et de prévenir les pratiques
abusives, excessives et spéculatives n’est pas chose aisée. Je suis
convaincu que la transparence peut aider à atténuer les problèmes;
par conséquent, je pense que nous devons insister pour demander
que toutes les commissions et tous les frais versés aux agents soient plafonnés,
enregistrés, divulgués et contrôlés. Je pense également qu’il pourrait
être judicieux de plafonner (en plus du pourcentage maximal de 10 %
du montant brut du transfert) les sommes totales pouvant être versées
à l’agent des clubs d’origine pour une transaction (par exemple
10 millions USD).
6.3. Contributions de solidarité et indemnités
de formation
104. Des
contributions
de solidarité sont dues (depuis 2001) à tout club ayant
formé un joueur ou une joueuse entre sa 12e et
sa 23e année en cas de transfert international
ou
(depuis le 1er juillet 2020) de transfert
national à dimension internationale
.
La contribution est égale à 5 % des frais, ou de toutes autres compensations,
convenus dans le cadre d’un transfert et est répartie proportionnellement
entre l’ensemble des clubs formateurs. Avant le 1er juillet
2020, seuls les transferts internationaux étaient concernés, ce
qui desservait les intérêts des clubs formateurs et pouvait créer
des distorsions sur le marché des transferts, car les clubs ayant
libéré des joueurs et des joueuses pouvaient avoir tendance à préférer
un transfert national à un transfert international pour éviter une
baisse de 5 % des indemnités de transfert ou de prêt convenues.
105. L’indemnité de formation est
redevable aux anciens clubs lorsqu’un joueur ou une joueuse signe
son premier contrat en tant que professionnel·le avec un club affilié
à une autre association que le club formateur, puis lors de chaque
transfert international jusqu’à la fin de l’année de son 23e anniversaire.
L’indemnité est versée à l’ensemble des clubs ayant contribué à
sa formation dans les années entre son 12e et
son 21e anniversaire. Le montant de l’indemnité
dépend des coûts de la formation, établis par les confédérations, et
chaque association membre doit classer ses clubs dans quatre catégories
au maximum, en fonction des investissements consentis pour la formation.
106. Pour que le système des indemnités de formation soit plus
prévisible, efficace et cohérent, la FIFA prévoit de créer un « fonds
centralisé », qui sera financé par un prélèvement supplémentaire
de 1 % sur les frais de transfert payés par le club acheteur et
qui servira à financer le paiement des futures indemnités de formation.
Les critères de répartition seront également revus pour que les
clubs des catégories inférieures reçoivent du fonds relativement
plus que ceux des catégories supérieures.
107. Cette proposition de modification va dans le bon sens, mais
selon moi, le système devrait tendre vers une répartition plus équilibrée
entre les commissions versées aux agents et les indemnités de formation.
La réforme devrait entraîner une augmentation des versements au
titre de la solidarité et des indemnités de formation, d’une part,
parce qu’elle évitera l’évasion et d’autre part, en raison du prélèvement
supplémentaire de 1 % envisagé pour financer un fonds d’indemnisation
de la formation, ce qui est certainement à saluer. Toutefois, les
agents des clubs vendeurs seraient autorisés à percevoir jusqu’à
10 % du montant du transfert. Je considère que la formation devrait
être davantage valorisée (donc rémunérée) que les agents. Je propose donc
que, si le club ayant libéré le joueur ou la joueuse verse à l’agent
une commission supérieure à 6 %, l’indemnité de formation doit être
égale au montant total versé à l’agent
; le montant supplémentaire de l’indemnité
de formation serait versé au «fonds centralisé» par le club ayant
libéré le joueur ou la joueuse.
6.4. Transferts internationaux des mineurs
108. Les règles de la FIFA interdisent
les transferts internationaux de mineurs, hormis quelques exceptions raisonnables
. J’estime que cette approche restrictive
est correcte. Toutefois, la FIFPRO fait valoir qu’une stricte application
des règles interdisant les transferts internationaux peut être contreproductive
pour certains jeunes joueurs et joueuses, en ce qu’elles limitent
leurs perspectives de carrière.
109. Parmi ces exceptions, la plus importante – à savoir la possibilité
d’opérer des transferts internationaux entre 16 et 18 ans au sein
de l’Union européenne/Espace économique européen (UE/EEE) – est
réservée aux clubs des associations nationales des pays de l’UE/EEE.
Selon la jurisprudence du Tribunal arbitral du sport, cette exception
s’applique aussi aux transferts de joueurs et des joueuses ayant
un passeport de l’UE de clubs basés dans des pays non membres de
l’UE/EEE vers des clubs basés dans des pays de l’UE/EEE. Ainsi,
des joueurs et des joueuses sud-américains et africains ayant la
double nationalité (dont l’une d’un pays de l’UE) peuvent bénéficier
de cette exception. Vu le nombre relativement élevé de joueurs et
de joueuses dans cette situation, le système ouvre davantage de
possibilités pour les mineurs en Europe et pour les mineurs ressortissants
des pays de l’UE et de l’EEE que pour les mineurs dans d’autres
régions. Il a donc été envisagé d’étendre au monde entier l’exception
actuellement limitée à l’UE/EEE (reformulée sur la base de la jurisprudence
du Tribunal arbitral du sport), tout en ajoutant des critères obligatoires
supplémentaires en cas de transferts internationaux de joueurs et
de joueuses âgés de 16 à 18 ans.
110. L’idée de créer un cadre juridique uniforme, applicable à
tous les transferts internationaux, peut paraître attractive; mais
si l’interdiction générale de l’article 19 du Règlement du Statut
et du Transfert des Joueurs est supprimée, cela favorisera les risques
d’exploitation, avec le risque aussi de créer une forte concentration
des plus jeunes joueurs et joueuses de talent dans les clubs les
plus riches et les plus attractifs (dont beaucoup sont en Europe)
et donc d’aggraver encore le déséquilibre.
111. Dans tous les cas, le transfert d’un mineur ou d’une mineure
doit être soumis à des conditions très strictes, dont le respect
par les associations nationales et les clubs doit être vérifié avant
d’autoriser le transfert. En particulier (en s’appuyant également
sur les propositions du groupe de travail), les associations nationales et
les clubs doivent assurer, au minimum:
- une protection efficace de tous les joueurs et joueuses
mineurs contre toute forme d’exploitation et d’abus;
- la garantie aux joueurs et joueuses mineurs qu’ils enregistrent
d’un environnement stable, non seulement pour leur développement
professionnel (football), mais aussi pour leur éducation et/ou formation
professionnelle, ainsi que des prestations adéquates en matière
de santé et de sécurité sociale;
- la stabilité de la relation contractuelle avec le joueur
ou la joueuse mineur.e au moins jusqu’à la fin de la saison de son
18e anniversaire;
- des conditions générales de travail non moins favorables
que celles des autres joueurs ou joueuses du club et non inférieures
aux normes internationales de l’OIT;
- l’aide dont le joueur ou la joueuse mineur·e peut avoir
besoin pour trouver sa place au sein de la population locale d’accueil.
112. Il convient également de prendre en considération l’importance
pour un·e mineur·e de rester en contact avec sa famille, lorsqu’il
est impossible de maintenir l’unité familiale.
113. Par ailleurs, la FIFA devrait élaborer, en collaboration avec
ses associations membres, la FIFPro et d’autres partenaires pertinents,
ainsi qu’avec d’autres partenaires et experts, si nécessaire:
- des dispositions types, à insérer
dans les règlements des confédérations et/ou des associations nationales,
sur les mécanismes de contrôle, les recours effectifs et le système
de sanctions, pour garantir la protection des joueurs et joueuses
mineurs;
- un guide sur les transferts de joueurs et joueuses mineurs
et leur protection, incluant toutes les informations pertinentes,
notamment sur les risques de trafic par de faux agents et leurs pratiques d’hameçonnage
et d’escroquerie sur internet (ainsi que sur les moyens de les détecter
et de les éviter), les procédures officielles concernant les transferts
internationaux, les droits et obligations de base des joueurs et
joueuses mineurs et des clubs, les points de contact au niveau de
la FIFA et des confédérations/pays, etc.; ce guide devrait être
publié sur les sites internet de la FIFA et des confédérations,
dans les langues les plus courantes, et les associations nationales
devraient le traduire et le publier dans leurs langues respectives.
114. Enfin, dans le nouveau cadre réglementaire sur les agents
et les intermédiaires, des qualifications spécifiques doivent être
exigées de quiconque souhaite représenter un mineur ou une mineure,
en plus de celles nécessaires pour obtenir une licence professionnelle.
Il faut également prévoir un registre des agents public, centralisé
et international, recensant tous les agents autorisés à représenter
des mineur·e·s, qui serait disponible sur le site internet de la
FIFA.
7. Remarques
finales
115. Le rayonnement du football
dans la culture mondiale n’a jamais été aussi important. Aucun autre
sport ni aucune autre forme d’expression culturelle populaire n’a
fait l’objet d’un tel degré d’adulation. Le football est le phénomène
culturel le plus universel et populaire du XXIe siècle
.
Pour autant, aujourd’hui le football doit faire face à des défis
difficiles et doit évoluer.
116. Mon rapport s'est principalement concentré sur deux grandes
questions: le rôle du football dans la promotion des droits humains
et la nécessité de repenser le fonctionnement du système financier
du football. C'est une bonne chose que le football continue d'être
une entreprise prospère; cependant, elle doit rester fondée sur
des valeurs.
117. Le football n’est pas seulement un produit de marché, une
marchandise mondiale lucrative: il s’agit d’une pratique culturelle
commune qui a su captiver l’imagination du monde entier. La bonne
gouvernance du football requiert un changement culturel et l’adoption
d’une posture éthique qui tienne compte des devoirs et obligations
de chaque partie prenante vis-à-vis de ses partenaires. Dans cette
optique, toute réforme visant à endiguer les dérives financières
des instances du football doit reposer sur une éthique qui protège
et promeuve les aspects les plus précieux de la culture footballistique.
118. La Daniels Fund Ethics Initiative de la Business School de
l’Université du Colorado (Denver) propose les huit principes éthiques
suivants qui devraient éclairer les philosophies et pratiques institutionnelles
et organisationnelles dans le monde contemporain, applicables aussi
bien aux secteurs public, privé et associatif: intégrité, confiance,
responsabilité, transparence, équité, respect, primauté du droit
et durabilité. J’ajouterai à ces principes l’attention pour la dignité
humaine et les droits humains.
119. Sans aucun doute, ces points d’action sont essentiels pour
que le football conserve son importance en tant que forme culturelle
vivante plutôt que de devenir une simple marchandise mondiale à
but lucratif, et pour qu’il préserve sa place à tous les niveaux
de la société, dans toutes les régions du monde, en tant que symbole de
compétition empreinte de respect mutuel et de réussite fondée sur
le mérite, et source de compréhension et de coopération interculturelles.
120. Dans les sections précédentes, j'ai présenté de nombreuses
propositions concrètes, que j'ai également détaillées dans le projet
de résolution. Je n'ai donc pas l'intention de les répéter dans
mes conclusions. Toutefois, je crois qu'il est utile de mettre en
évidence certaines idées clés qui sous-tendent ces propositions.
121. La gouvernance du football doit être conçue de manière à garantir
le respect des droits fondamentaux et à protéger les personnes les
plus vulnérables, à commencer par les enfants; à rejeter toute forme d'exploitation,
de violence, de ségrégation et de discrimination et à favoriser
la compréhension et le respect mutuels entre toutes les personnes;
à promouvoir l'égalité des genres et le développement du football
féminin; à encourager et à soutenir le développement humain de tous
les joueurs et de toutes les joueuses.
122. A cet égard, le rapport fait état de nombreux programmes et
projets que les partenaires ont mis au point pour renforcer la protection
des jeunes joueurs et joueuses notamment contre les risques d’exploitation
et d’abus sexuels dans le milieu du sport. Ces efforts sont louables.
Il est nécessaire d’améliorer aussi les programmes nationaux et
locaux d’éducation des jeunes joueurs et joueuses en tant que personnes
et citoyen·ne·s; la crise actuelle devrait sensibiliser toutes les
parties prenantes à l’importance d’aider les footballeurs et footballeuses
à acquérir les compétences dont ils et elles ont besoin pour trouver
leur place dans la société, également à l’issue de leur carrière
sportive.
123. La gouvernance du football doit lutter contre les excès et
chercher à réduire la polarisation par une solidarité accrue. Les
écarts entre les grandes équipes et les autres, ainsi qu’entre les
meilleurs joueurs et les meilleures joueuses et les autres, sont
inévitables et, dans une certaine mesure, naturels. Nous ne saurons les
gommer entièrement et il serait selon moi une erreur de se fixer
un tel objectif: dans la compétition sportive comme dans la compétition
économique, il est parfaitement normal que les meilleurs, les plus
habiles, les plus talentueux, soient reconnus pour leur excellence
et récompensés en conséquence. Cependant, ce dont il est question
est le caractère raisonnable des écarts qui se sont produits et
qui continuent de s’accroître.
124. Il conviendrait d’adopter des principes de redistribution
financière plus généreux afin que les fonds qui circulent au sein
d’une élite de plus en plus restreinte et entre les clubs les plus
riches ne continuent pas à fragmenter encore davantage la pyramide
du football. Il faudrait développer des nouveaux mécanismes de redistribution
susceptibles de consolider la base économique du football et de
renforcer la viabilité de toutes les parties prenantes. Il faudrait
renforcer la transparence financière à tous les niveaux de la gouvernance
et des institutions du football: cela aiderait à mettre en exergue
les excès de certains acteurs sur le marché du football et, pour
les clubs les plus pauvres, la nature et l’ampleur de leurs crises
financières.
125. Par ailleurs, nous avons le devoir, me semble-t-il, d’assurer
que les avantages économiques liés à l’économie du football profitent
plus largement à la société dans son ensemble. Dès lors, au-delà
d'une plus grande solidarité (et d'une répartition plus équilibrée
des ressources) au sein du système du football, la gouvernance du
football devrait viser à développer le rayonnement communautaire,
qui devrait faire partie des activités de tous les clubs et de toutes
les ligues. Le monde du football devrait être appelé à consacrer
une part (significativement) plus élevée des flux financiers qu'il
génère (et notamment le montant d'argent dérivé des droits TV et
du sponsoring) à des actions de responsabilité sociale, c'est-à-dire
à des actions qui devraient bénéficier à la société dans son ensemble.
Compte tenu du contexte actuel, les parties prenantes devraient mettre
à niveau leurs programmes de responsabilité sociale respectifs et
concevoir des stratégies de responsabilité sociale plus ambitieuses,
afin que le football puisse favoriser la cohésion au sein de nos communautés
et de nos sociétés.
126. Dans ce contexte, il conviendrait de renforcer le dialogue
avec les supporters. Il faudrait les consulter plus souvent et avec
plus de détermination. Les clubs et les associations pourraient
envisager de transférer les budgets et les services de marketing
à des agents de liaison avec la communauté, qui auraient pour principale
mission d’encourager la mise en place de groupes et d’organisations
de supporters là où ils font défaut pour l’heure et/ou de travailler
avec ceux déjà établis dans la communauté. Pour que les clubs entretiennent
des liens avec les communautés et les groupes de supporters et puissent
prétendre avoir une relation crédible avec le patrimoine culturel
légué par le football, il conviendrait de mettre en place un véritable moyen
d’intégrer ces groupes dans le réseau des partenaires.
127. La prise de décision devrait être plus inclusive et le dialogue
entre les parties prenantes devrait être renforcé. Les intérêts
sont parfois divergents, et il est important que les décisions soient
prises en tenant compte des différentes positions. Le consensus
ne sera pas toujours possible, mais toutes les parties prenantes
devraient agir de bonne foi, être disposées à collaborer et être
ouvertes à des solutions qui tiennent compte des besoins des autres
partenaires.
128. Des questions épineuses restent sur la table, comme celle
qui porte sur l’étendue des pouvoirs règlementaires de la FIFA lorsqu’il
s’agit de réguler l’exercice de l’activité économique des agents
ou intermédiaires, ou celle concernant la possibilité pour certains
clubs d’élite d’organiser une compétition autonome (la Super ligue
européenne) par rapport aux compétitions interclub officielles de
l’UEFA, ou encore celle de l’opportunité (ou non) d’avoir une Coupe
du Monde de football tous les deux ans. J'estime que l'Assemblée
devrait prendre position sur ces questions, même s'il n'a pas été
possible d'en débattre en profondeur; cela est reflété dans le projet
de résolution.
129. Avant de conclure, je tiens à souligner que, si le présent
rapport a traité plusieurs questions d'actualité, il n'a pas été
possible d'examiner toutes celles qui méritent d’être analysées.
Entre autres, je mentionnerai le thème des liaisons complexes (et
parfois dangereuses) entre les mondes du sport, des affaires, de
la politique et de la communication, y compris, par exemple: le
cumul des charges politiques et dans les institutions sportives ou
dans les sociétés qui ont des intérêts financiers significatifs
dans le football; ou les conditions d’octroi de fonds publics aux
sociétés et associations sportives.
130. J’ajouterai que les joueurs et les joueuses – et plus généralement
les athlètes dans tous les sports – s’attendent à ce que leurs droits
en tant que travailleurs et travailleuses soient reconnus et protégés
et demandent aux législateurs d’y veiller. La cadence infernale
des compétitions et la pression médiatique mettent en péril leur
santé physique et mentale, sans parler des dangers liés à la violence
des chocs (dont les coups de têtes) auxquels les joueurs et les
joueuses sont exposés, et ce à partir du plus jeune âge. Des questions
complexes apparaissent en ce qui concerne l’exercice de leur liberté
d’expression et des limites qu’il est justifié d’imposer à cette
liberté au nom de la neutralité du sport.
131. Enfin, nous devons avoir conscience du rôle que le Conseil
de l’Europe et l’Assemblée ont et doivent jouer pleinement lorsqu’il
s’agit d’appuyer et de faire avancer les bonnes initiatives – comme
le projet d’établir une entité pour un sport sûr, par exemple –
et d’orienter les évolutions de la gouvernance sportive et de l’écosystème
du sport en général, afin de promouvoir nos valeurs partagées.