1. Introduction
1. On se souviendra du 24 février
2022 comme l’une des heures les plus sombres de l’histoire européenne. Ce
jour-là, la Fédération de Russie est passée à la vitesse supérieure,
transformant son agression contre l’Ukraine, lancée en 2014, en
une invasion à grande échelle. Pour des millions d’Ukrainiennes
et d’Ukrainiens, la vie a brutalement changé. Pour l’Europe, ce
fut un point de non-retour et le projet d’espace juridique européen
unique sans lignes de clivage, auquel les États membres du Conseil
de l’Europe avaient consacré tant d’espoir, d’énergie et d’efforts,
a été mis en pause.
2. Et pourtant, comme l'a déclaré la Secrétaire Générale du Conseil
de l'Europe, Mme Marija Pejčinović Burić,
la Russie n'a pas cessé soudainement de ne plus vouloir respecter
ses engagements à l’égard du Conseil de l'Europe
.
Cela s'est produit petit à petit, au fil des ans. L'agression généralisée
lancée en 2022 est le point culminant d'un processus de rejet délibéré
des valeurs et des normes du Conseil de l'Europe par le régime de
Poutine, sur le plan tant intérieur qu’international. Les démocraties
européennes ont mené une politique d'apaisement et de dialogue avec
la Russie, dans l'illusion de pouvoir exercer une influence sur
un système qui devenait de plus en plus totalitaire. Elles ont assisté
avec complaisance à la consolidation du régime autocratique de Poutine,
ne comprenant pas à quel point il constituerait une menace pour
leur propre sécurité, malgré l'histoire qui a abondamment montré
le lien entre la répression intérieure et la volonté de recourir
à la force dans les relations internationales.
3. L’Europe a cessé d’être naïve le 24 février 2022. J'ai été
fier de voir que, lors d'une session extraordinaire organisée les
15 et 16 mars 2022, l'Assemblée parlementaire a décidé à l'unanimité
que la Fédération de Russie ne pouvait plus être membre du Conseil
de l'Europe
. Le Comité des Ministres
a exclu la Fédération de Russie de l'Organisation le 17 mars 2022.
4. Malgré le courage, la détermination et le sacrifice du peuple
ukrainien et la condamnation générale de la communauté internationale,
le régime de Poutine persiste à violer le droit international et
à commettre des crimes d’agression et de guerre en Ukraine. L'une
des principales conséquences politiques de la guerre d'agression
menée par la Fédération de Russie contre l'Ukraine est la nouvelle
unité entre les démocraties. Le 4e Sommet
des chefs d'État et de gouvernement du Conseil de l'Europe, qui
s'est tenu les 16 et 17 mai 2023 à Reykjavik, est l'expression de
cette unité autour de valeurs communes, de la détermination à soutenir l'Ukraine
aussi longtemps qu'il le faudra et de la volonté de faire en sorte
que la Fédération de Russie soit tenue pour responsable de ses multiples
crimes.
2. Portée et procédure du rapport
5. Depuis le 24 février 2022,
l'Assemblée a adopté plusieurs textes concernant l'agression de
l'Ukraine par la Fédération de Russie qui traitent des différents
aspects de cette agression et de ses conséquences ainsi que de la
réponse apportée par le Conseil de l'Europe. La plupart de ces textes
ont été adoptés à l'unanimité, ce qui montre clairement que les
parlementaires nationaux reconnaissent la gravité de cette guerre
d'agression et sont d'accord sur la manière de réagir.
6. À la suite du débat sur la
Résolution 2463 (2022) «Nouvelle escalade dans l'agression de la Fédération de
Russie contre l'Ukraine» qui s’est tenu pendant la partie de session
d’octobre 2022, j’ai été reconduit dans mes fonctions de rapporteur
pour un nouveau rapport en janvier 2023. En mai 2023, la Commission
des questions politiques et de la démocratie et le Bureau de l'Assemblée
sont convenus que ce rapport devait faire l’objet d’un débat d'urgence
pendant la partie de session de juin 2023.
7. Malgré les contraintes évidentes liées à la procédure d'urgence,
qui ne permet pas de mener des recherches et des analyses approfondies,
j'ai pu bénéficier, pour préparer ce rapport, des contributions apportées
par un certain nombre d’amis ayant d’importantes compétences spécialisées
en la matière. À cet égard, je tiens à remercier M. Sergey Davidis,
éminent défenseur des droits humains et Directeur de Memorial, M. Sergueï
Gouriev, économiste et doyen de Sciences Po Paris, et Hermitage
Foundation dirigée par M. Bill Browder; ainsi que Dossier Center
Great Britain dirigé par M. Mikhail Khodorkovski pour leur générosité
en matière de conseils, commentaires et suggestions. En outre, je
me suis appuyé sur les contributions suivantes:
- une audition de M. Hugo Acha,
chargé de recherche principal, Center for a Secure Free Society
(SFS) et directeur de la recherche et de la sensibilisation à la
Foundation for Human Rights in Cuba (FHRC), Washington, que la commission
des questions politiques et de la démocratie a tenue le 20 mars
2023;
- un débat d'actualité sur le rôle de la Russie dans la
montée des tensions en République de Moldova, organisé le 27 avril
2023 à mon initiative;
- une audition de Mme Evgenia
Kara-Murza, épouse de M. Vladimir Kara-Murza, lauréat du Prix des
Droits de l’homme Václav Havel, et de M. Vadim Prokhorov, avocat
de M. Kara-Murza, tenue pendant la partie de session d'avril 2023.
8. Le rapport tient également compte des travaux menés par la
commission des questions juridiques et des droits de l'homme en
vue de mettre en place un système complet d'établissement des responsabilités
de la Fédération de Russie, en particulier une audition conjointe
organisée avec la Commission des questions politiques et de la démocratie
pendant la partie de session d'avril 2023 et la
Résolution 2482 (2023) «Questions juridiques et violations des droits de l'homme
liées à l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine» J'ai
également eu l’occasion de me rendre à Kyiv en ma qualité de membre
du Parlement lituanien, le 16 février 2023, date anniversaire du
début de l'invasion à grande échelle, pour faire part de mon plein
soutien aux autorités et au peuple ukrainiens. Je me suis également
rendu en Ukraine à d'autres occasions, notamment à Boutcha et à
Irpin avec la sous-commission
ad hoc de
la commission des questions juridiques et des droits de l'homme
chargée d'évaluer le niveau des atrocités commises par les forces
d'occupation russes, ainsi qu'avec la délégation du Centre d'analyse
des politiques européennes (CEPA).
9. Le présent rapport se concentre sur les implications géopolitiques
de l'agression, qui est le plus grand conflit armé depuis la seconde
guerre mondiale. Il examine les risques plus larges pour la sécurité
qui résultent de l'agression, soulignant la nécessité pour l'Ukraine
et ses partisans d'intensifier leurs efforts diplomatiques en vue
de contrer les propos mensongers de la Fédération de Russie. Le
rapport développe également en détail la question des sanctions
contre la Fédération de Russie et les moyens d’améliorer leur efficacité.
Étant donné que cette question nécessiterait un débat approfondi,
ce qui n’est pas possible dans le cadre d’une procédure d’urgence,
je n’ai inclus que des recommandations générales à ce sujet dans
le projet de résolution. Je pense toutefois que l’Assemblée devrait
préparer un rapport spécifique sur ce sujet, et j’ai inclus des recommandations
détaillées dans les conclusions de ce rapport, afin de servir de
guide pour la poursuite de la réflexion et des délibérations.
10. Inspiré par le sacrifice personnel de milliers d'opposant·e·s
à Poutine et de leurs familles, le rapport montre que les Russes
qui partagent les valeurs du Conseil de l'Europe et aspirent à un
changement démocratique dans leur pays peuvent faire partie de la
solution. L'Europe ne peut être en sécurité de manière durable que
si la Fédération de Russie devient une démocratie et perd son potentiel
militaire d‘attaque contre ses pays voisins.
3. Nécessité
impérative de soutenir l’Ukraine
11. En défendant la souveraineté,
l’indépendance et l’intégrité territoriale de leur pays, les Ukrainiens
et Ukrainiennes protègent les principes essentiels inscrits dans
la charte des Nations Unies, qui sont les bases de la coexistence
pacifique entre les États. C’est pourquoi l’Ukraine nécessite et
mérite le soutien sans réserve de tous les pays qui sont attachés
à la paix et refusent le recours à la force pour atteindre leurs
objectifs.
12. Les 16 et 17 mai 2023, le 4e Sommet
des chefs d'État et de gouvernement des 46 États membres du Conseil
de l’Europe a transmis à l’Ukraine un message fort et sans équivoque
de soutien au plus haut niveau politique. Il a été réaffirmé lors
de la deuxième réunion de la Communauté politique européenne, réunie
à Chisinau le 1er juin 2023.
3.1. Mesures
en réaction aux souffrances humaines et aux destruction matérielles
13. À l’heure d’écrire ces lignes,
la guerre d’agression à grande échelle menée par la Fédération de
Russie contre l’Ukraine entre dans son 17e mois. Les mots ne suffisent
pas pour exprimer les immenses souffrances causées par cette agression.
Depuis le 24 février 2022, l’ensemble du territoire ukrainien a
été la cible de différents types d’armes qui ont provoqué de nombreuses
victimes, des déplacements massifs de population et la destruction
de très nombreuses infrastructures essentielles. Les crimes de guerre
et atrocités commis massivement par les troupes russes et leurs
acolytes ont été bien documentés et l’on peut raisonnablement craindre
qu’avec la libération de nouveaux territoires de nouvelles preuves
de crimes soient mises à jour. On estime qu’un tiers du pays est
contaminé par des mines antipersonnel et par des munitions non explosées.
14. D’après le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits
de l'homme (HCDH), depuis le début de cette invasion massive, 24
425 victimes civiles ont été recensées en Ukraine, dont 8 983 morts
et 15 442 blessés
. Le HCDH
pense que les chiffres réels sont nettement plus élevés parce que
la transmission d’informations à partir de certaines localités en
proie à d’intenses combats a été retardée, et de nombreux rapports
doivent encore être vérifiés. Cela concerne par exemple Marioupol
(région de Donetsk), Lissitchansk, Popasna et Severodonetsk (région
de Lougansk), pour lesquelles de nombreuses victimes civiles sont alléguées.
15. Le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés (HCR)
signale qu’au 23 mai 2023, environ 8,2 millions de citoyennes et
citoyens ukrainiens se sont fait enregistrer partout en Europe pour
obtenir une protection temporaire ou bénéficier d’un autre régime
similaire de protection nationale. De plus, environ 2,8 millions
d’Ukrainiens ont été déplacés de force ou sont passés en Fédération
de Russie
. Au 23 janvier 2023, l’on
estimait que 5,4 millions de personnes étaient déplacées à l’intérieur
de l’Ukraine
.
16. Les dommages causés aux habitations depuis le 24 février 2022
sont estimés à 50 milliards de dollars. 36 milliards de dollars
supplémentaires de dommages aux infrastructures ont été recensés.
Au total, les dommages directs de guerre provoqués en Ukraine sont
estimés à 135 milliards de dollars sur la même période
. Pour réparer les
dommages aux infrastructures de l’Ukraine, il faudra beaucoup de
temps et de moyens financiers. Ajoutons que l’agression a gravement
impacté le commerce international de l’Ukraine en coupant les voies
d’importation et d’exportation de marchandises, ce qui affecte son
économie.
17. La destruction du barrage de Kakhovka, sur le Dniepr, le 6
juin 2023, a eu des conséquences massives pour les collectivités
affectées et constitue un risque environnemental et sanitaire majeur.
En fait, comme pour d’autres actes d’agression russes aux conséquences
environnementales désastreuses, il s’agit non seulement d’un crime
de guerre, mais aussi d’un écocide, comme l’ont souligné les autorités
ukrainiennes.
18. Au total, 600 km² de la région de Kherson seraient inondés,
et environ 70% des localités inondées sont contrôlées par l’armée
russe. Le niveau de l’eau aurait atteint un pic de 5,6 mètres le
9 juin, et des milliers de personnes ont de toute urgence besoin
d’eau, de nourriture, de produits d’hygiène et d’autres articles essentiels.
Le Gouvernement ukrainien a appelé les organisations internationales,
dont les Nations Unies et le Comité international de la Croix-Rouge,
à porter assistance aux habitant·e·s des zones affectées, tandis
que la partie russe a déclaré avoir évacué au moins 40 000 personnes
bien que
la crédibilité de ces données reste discutable.
19. L’ampleur de la catastrophe engendrée par la destruction du
barrage de Kakhovka ne pourra pas être évaluée avant plusieurs semaines.
Il est probable que l’alimentation en eau potable et la production
agricole en soient affectées. Elle augmente aussi le risque d’accidents
provoqués par les mines car ces engins explosifs se déplacent sous
l’effet des inondations dans des secteurs fortement contaminés.
La destruction du barrage augmente également le risque d’accident
nucléaire en compromettant potentiellement l’approvisionnement en
eau de la plus grande centrale nucléaire d’Europe, à Zaporijjia.
3.2. Soutenir
le droit de l’Ukraine à se défendre
20. En juin 2023, l’Ukraine a lancé
sa contre-offensive tant attendue. La résilience du pays n’a pas
été entamée par les mois d’attaques de drones et de missiles contre
des cibles tant civiles que militaires. Malgré les pertes en vies
humaines et les efforts intenses pour tenir Bakhmout – où s’est
déroulée la plus longue bataille de cette guerre – l’armée ukrainienne
a été renforcée par les livraisons d’armes supplémentaires en provenance
de pays démocratiques qui soutiennent son droit à l’autodéfense.
21. Les États-Unis sont le principal fournisseur d’assistance
militaire à l’Ukraine: ce pays a engagé 18,3 milliards $US en assistance
à la sécurité, 23,5 milliards de dollars en armements et 4,7 milliards
de dollars en prêts et subventions pour l’achat d’armes et de matériel
militaire
.
22. Le deuxième donateur par ordre d’importance est le Royaume-Uni,
qui a déjà engagé 4,6 milliards de livres en assistance militaire
à l’Ukraine (2,3 milliards de livres en 2022 et l’engagement de
consentir un financement similaire en 2023). Le Royaume-Uni accueille
également un programme de formation (Opération Interflex) auquel
contribuent plusieurs alliés afin de former 30 000 militaires ukrainiens
(nouveaux et existants) avant la fin de l’année 2023. Le Royaume-Uni
a récemment promis de former des pilotes ukrainiens sur des avions
de chasse et fournit des missiles de précision et à longue portée
.
23. Par une décision sans précédent, les États membres ont décidé
de fournir du matériel militaire à l’Ukraine, y compris des armes
létales, par le biais de la Facilité européenne pour la paix. La
question de savoir s’il convient de fournir à l’Ukraine des armes
lourdes ou des armes légères, voire pas d’armes du tout, a suscité de
vifs débats dans les différentes capitales d’Europe. Certains pays
comme la République tchèque, la Pologne et la Slovénie ont fourni
des armes lourdes, y compris des chars T-72 tandis que d’autres,
comme l’Autriche et l’Irlande, ont décidé de fournir exclusivement
des armes non létales, dans le respect de leur politique de neutralité.
À ce jour, seuls la Hongrie, Malte et Chypre ont décidé de ne fournir
à l’Ukraine aucun matériel militaire. Outre le matériel militaire,
de nombreux États membres ont apporté une aide militaire conséquente
.
24. L’Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN), en tant
qu’alliance, a clairement démontré son soutien politique à l’Ukraine
et approuve pleinement la fourniture d’une assistance militaire
bilatérale par les divers alliés. Il aide à coordonner les demandes
d’assistance du Gouvernement ukrainien et soutient l’envoi d’aide
humanitaire et non létale.
25. Il convient également de prendre en compte un fait nouveau,
l’augmentation d’actes de sabotage contre la guerre d’agression
sur le territoire russe. Le Corps des volontaires russes, l’Armée
nationale républicaine (Russie), la Légion Liberté de la Russie
et d’autres formations de volontaires russes combattant aux côtés
de l’Ukraine, lancent des incursions transfrontalières dans la région
de Belgorod et conduisent d’autres opérations de déstabilisation
.
Ces groupes opposés au régime russe de Vladimir Poutine et à son
invasion de l’Ukraine se composent de transfuges de l’armée russe
et d’autres volontaires russes, dont certains avaient émigré en Ukraine.
26. Début 2023, l’Association des Forces de sécurité du Bélarus
(Bypol), une organisation de militant·e·s du Bélarus opposés au
régime d’Alexandre Loukachenka, a revendiqué l’attaque par drone
contre un avion militaire russe stationné dans une base militaire
située sur le territoire du Bélarus. D’autres actes de sabotage visant
à entraver le transport d’armes et de matériel militaire ont été
menés au Bélarus depuis le début de l’agression à grande échelle.
3.3. Soutenir
la gouvernance et la reprise démocratiques
27. Depuis le 24 février 2022,
l’ensemble du territoire ukrainien est soumis à la loi martiale
et certaines collectivités sont administrées par des autorités civiles-militaires.
Des efforts remarquables ont été consentis pour maintenir le fonctionnement
des institutions démocratiques ainsi que les services à la population.
La situation reste toutefois délicate dans l’ensemble du pays, avec
des particularités qui peuvent être liées à la durée de l’occupation
russe ou à la situation des localités, sur la ligne de front ou
sur un secteur bien plus éloigné. Malgré cela, l’Ukraine a continué
de respecter les normes du Conseil de l’Europe et la Verkhovna Rada
a même ratifié la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention
et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence
domestique (STCE n° 210, «Convention d’Istanbul»).
28. Une réforme majeure de décentralisation finalisée avant le
début de l’invasion massive a été déterminante pour assurer la résilience
des collectivités face à l’invasion, et elle continuera de jouer
un rôle essentiel pendant la phase de reconstruction.
29. Même si l’Ukraine continue de subir la guerre d’agression,
il convient qu’elle jette les bases d’un pays plus fort, plus résilient
et plus démocratique. Les principes de l'approche «reconstruire
en mieux» devraient s’appliquer à tous les secteurs, de l’énergie
au logement, et de l’agriculture à la santé. Ils sont également valables
pour la gouvernance démocratique, et le Conseil de l'Europe est
particulièrement bien placé pour apporter son aide dans ce domaine.
30. En décembre 2022, le Comité des Ministres a adopté le Plan
d’action pour l’Ukraine «Résilience, relance et reconstruction»
(2023-2026)
. Son principal objectif
est de contribuer à la stabilité, à la sécurité et à la prospérité
de l’Ukraine à travers une réponse aux besoins immédiats et à moyen
terme liés à la guerre, dans un effort qui se poursuivra à l’issue
du conflit, dans les domaines où le Conseil de l'Europe peut apporter
son expertise et une valeur ajoutée. Il est vital que les États
membres du Conseil de l'Europe apportent leur contribution à ce
Plan d'action et affectent les ressources nécessaires pour garantir
sur le long terme la résilience démocratique de l’Ukraine
.
31. En juin 2022, l’Ukraine a officiellement demandé à adhérer
à la Banque de développement du Conseil de l'Europe (CEB). Lors
de la réunion commune de juillet 2022, les États membres de la CEB
ont approuvé à l’unanimité la demande de l’Ukraine et ont décidé,
pour marquer de façon tangible leur soutien dans le contexte des
circonstances exceptionnelles auxquelles l’Ukraine est confrontée,
de dispenser ce pays de tout versement normalement exigé pour l’adhésion.
Suite à l’adoption unanime par la Verkhovna Rada de la loi autorisant
le pays à adhérer à la CEB, des hauts représentant·e·s du Gouvernement
ukrainien ont participé à la réunion commune de cette année, à Athènes.
32. À cette occasion, le Vice-Premier ministre de l’Ukraine, Oleksandr
Kubrakov, a insisté sur le rôle déterminant que la CEB pourra jouer
dans la restauration des conditions nécessaires au retour des Ukrainiennes
et Ukrainiens qui ont été contraints de quitter leur logement. Le
Gouverneur de la CEB, M. Carlo Monticelli, a expliqué à la Commission
permanente de l’Assemblée, à Riga le 26 mai 2023, que la Banque interviendra
en Ukraine en ciblant particulièrement les secteurs sociaux comme
la santé et le logement, et en déployant sa longue expertise en
qualité de plus ancienne banque de développement multilatérale d’Europe. C’est
d’autant plus nécessaire que les besoins ont encore augmenté dans
ces secteurs suite aux récentes attaques contre des infrastructures
vitales. Le Cadre stratégique 2023-2027 de la Banque prévoit un
volume d’opérations d’environ 200 millions € cette année, qui pourrait
graduellement passer à environ 400 millions € par an d’ici à 2027.
4. Faire
en sorte de rendre des comptes
4.1. Un
système complet d’établissement des responsabilités
33. La gravité des crimes commis
par la Fédération de Russie est telle que, très peu de temps après
le début de l'agression à grande échelle, un consensus s'est dégagé
sur la nécessité de mettre en place un système complet d’établissement
des responsabilités de l'agresseur en évitant tout vide juridictionnel.
34. Outre les tribunaux ukrainiens, un certain nombre de cours
internationales et d'organismes internationaux non judiciaires enquêtent,
documentent ou poursuivent ces crimes, et leur travail devrait être soutenu
par le Conseil de l'Europe et ses États membres. Ce sont notamment:
- la Cour européenne des droits
de l'homme, qui est compétente pour les actes commis par la Fédération de
Russie jusqu'au 16 septembre 2022;
- la Cour pénale internationale qui, en mars 2023, a émis
des mandats d'arrêt à l’encontre du Président Poutine et de Maria
Lvova-Belova, commissaire aux droits de l'enfant au sein du cabinet
du président de la Fédération de Russie, pour raisons de crime de
guerre de déportation illégale de population (enfants) et de transfert
illégal de population (enfants) à partir du territoire ukrainien
occupé ;
- la Cour internationale de Justice, en particulier en ce
qui concerne sa procédure pour «Allégations de génocide en vertu
de la Convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide» (Ukraine contre la Fédération de Russie) ;
- la Commission d'enquête internationale indépendante sur
l'Ukraine ;
- le Mécanisme de Moscou, invoqué pour la dernière fois
le 30 mars 2023 par 45 États participants de l’OSCE, face à la déportation
d’enfants dans un contexte de violations des droits de l'homme et d'impacts
humanitaires de la guerre d'agression de la Russie contre l'Ukraine .
4.2. Le
Registre des dommages
35. La création du Registre des
dommages causés par l'agression de la Fédération de Russie contre l'Ukraine
constitue le principal résultat du 4e Sommet
des États membres du Conseil de l'Europe et représente une étape
importante dans les efforts multilatéraux visant à assurer la responsabilité
de la Fédération de Russie. Le fait qu'il prenne la forme d'un accord
partiel élargi et soit ouvert à tous les pays du monde ajoute à sa
pertinence politique
.
Même si 45 États et l’Union européenne ont déjà adhéré ou fait part
de leur intention d'adhérer au Registre, l’Assemblée devrait encourager
le plus grand nombre possible de pays à les rejoindre.
36. Qualifié par la Secrétaire Générale du Conseil de l'Europe,
Marija Pejčinović Burić, d’historique et de «l'une des premières
décisions juridiquement contraignantes visant à amener la Russie
à répondre de ses actes», ce Registre aidera les victimes à consigner
les pertes subies et ouvre la voie à un futur mécanisme international
d’indemnisation.
37. L’Union européenne a versé une contribution importante au
financement des frais de démarrage. Le Registre aura son siège à
La Haye et un bureau satellite en Ukraine. Il sera établi pour une
période initiale de trois ans et servira à consigner les preuves
et informations relatives aux demandes d'indemnisation pour les dommages,
pertes ou préjudices causés par l'agression de la Fédération de
Russie contre l'Ukraine.
38. Le Registre servira à enregistrer, sous forme documentaire,
les preuves, réclamations et informations sur les dommages, pertes
ou préjudices causés, le 24 février 2022 ou après, sur le territoire
de l’Ukraine à l’intérieur de ses frontières internationalement
reconnues, s’étendant jusqu’à ses eaux territoriales, envers toutes
les personnes physiques et morales concernées, ainsi qu’envers l’État
ukrainien (y compris ses autorités régionales et locales et ses
entités détenues ou contrôlées par l’État), par les actes contraires
au droit international commis par la Fédération de Russie en Ukraine
ou contre l’Ukraine.
39. Il me semble évident que les actes illicites à enregistrer
ne sont pas seulement ceux commis stricto sensu par l’armée russe,
mais aussi ceux commis par tous ses mandataires, y compris les groupes paramilitaires
et les entreprises militaires privées impliquées dans l’agression.
Je m’attends à ce que cette question, qui n’est pas explicitement
mentionnée dans le Statut du Registre, soit clarifiée par la Conférence des
Parties lorsqu’elle établira le Règlement du Registre sur la recevabilité.
À cet égard, je voudrais également rappeler que les forces militaires
de Kadyrov se battent également en Ukraine. Le 31 mai 2023, l’Institut
pour l’étude de la guerre a rapporté que les forces de Kadyrov pourraient
remplacer le rôle du groupe Wagner en tant que principales «forces
de choc» russes dans le Donbass.
4.3. Le
Tribunal spécial pour le crime d'agression
40. Même si le Registre des dommages
est une réalisation historique, l’Assemblée devrait poursuivre ses efforts
pour s'assurer que les dirigeant·e·s politiques et militaires de
la Fédération de Russie soient tenus responsables pour leur guerre
d'agression contre l'Ukraine.
41. L’Assemblée a systématiquement appelé à la création d'un tribunal
spécial pour le crime d'agression dans tous ses textes antérieurs
concernant l'agression et, plus récemment, dans une déclaration
écrite dont j'ai été le premier signataire
. Ajoutons que le 4e Sommet
des chefs d'État et de gouvernement du Conseil de l'Europe s'est
félicité des progrès accomplis dans la réalisation de cet objectif
et a demandé au Conseil de l'Europe de participer aux consultations
et négociations pertinentes et d'apporter son soutien technique
et son expertise.
42. Dans son texte le plus complet sur la question, la
Résolution 2482 (2023), l'Assemblée a réitéré «son appel unanime aux États
membres et aux États observateurs du Conseil de l'Europe pour qu'ils
instituent un tribunal pénal international spécial pour le crime
d'agression contre l'Ukraine, qui devrait être approuvé et soutenu
par le plus grand nombre possible d'États et d'organisations internationales,
et en particulier par l'Assemblée générale des Nations Unies»
.
43. Elle a également précisé les caractéristiques de ce tribunal,
en abordant la question des immunités et en soulignant que son rôle
devait être complémentaire de la juridiction de la Cour pénale internationale
et ne devait en aucun cas limiter ou affecter l'exercice par cette
dernière de sa juridiction sur les crimes de guerre, les crimes
contre l'humanité et les éventuels génocides commis dans le cadre
de l'agression en cours, ainsi que sa juridiction en général.
44. À l'initiative de l'Ukraine, un Groupe d’Etats (Core Group)
œuvrant à la mise en place du Tribunal spécial a été formé et comprend
déjà 37 États. Le 9 mai, le Core Group a tenu un sommet, présidé
par le Président Zelensky, lors duquel les dirigeant·e·s ont réaffirmé
leur soutien politique sans réserve à la création du Tribunal spécial,
malgré des divergences de points de vue sur les modalités de sa
mise en place.
45. Il est également important que l’activité du Centre international
pour les poursuites relatives aux crimes d'agression contre l'Ukraine
(ICPA) soit lancée prochainement. Ce sera le premier effort international d’enquête
et de poursuites sur le crime d’agression en cas de perpétration
depuis la Seconde Guerre mondiale. L’Assemblée et le Conseil de
l’Europe soutiendront le lancement de l’ICPA.
4.4. L’obligation
du Groupe Wagner de rendre des comptes
46. En mars 2023, M. Markus Wiechel
et d'autres membres de l'Assemblée ont déposé une proposition de résolution
demandant que le Groupe Wagner soit qualifié d’organisation terroriste
.
Cette proposition a été renvoyée à la commission des questions juridiques
et des droits de l'homme pour prise en compte dans le cadre du rapport
sur les «Questions juridiques et violations des droits de l'homme
liées à l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine».
47. Le Groupe Wagner est une société militaire privée liée à l'État
russe, qui a participé à l'agression russe contre l'Ukraine depuis
le début. Il est à l’origine de graves violations du droit humanitaire
international et doit en répondre.
48. Après le lancement de l’invasion massive, ce Groupe a progressivement
recruté et déployé sans formation militaire de plus en plus de condamnés
russes, parmi lesquels il y a eu de très nombreuses victimes. Il
poursuit le recrutement de mercenaires à l’extérieur de la Russie
via des profils sur les réseaux sociaux Facebook et Twitter. Le
31 mai, la société de recherche sur la désinformation Logically,
basé au Royaume-Uni, a découvert des offres d’emploi du groupe Wagner
ciblant des médecins, des opérateurs de drones et des psychologues
pour participer à la guerre en Ukraine et dans d’autres pays. Ces
offres sont publiées dans des dizaines de langues dont le français
et l’espagnol
.
49. Tout porte à croire que le régime de Poutine continuera à
s'appuyer sur le groupe Wagner et les sociétés militaires privées.
Le 31 mai 2023, un projet de loi autorisant les personnes ayant
un casier judiciaire à effectuer un service militaire sous contrat
a été soumis au parlement russe. Les personnes recrutées verront
leur peine annulée ou leur casier judiciaire effacé. Les personnes
condamnées pour des délits sexuels contre des mineurs ou pour trahison,
terrorisme ou extrémisme ne seront toutefois pas autorisées à s’enrôler
dans l’armée
.
50. Le Parlement européen, la Verkhovna Rada et d’autres parlements
nationaux ont déjà exprimé l’avis selon lequel le Groupe Wagner
devrait être considéré comme une organisation terroriste, alors
que d’autres envisagent cette possibilité.
51. Le 8 décembre 2022, le Parlement de la Lettonie a adopté une
déclaration sur les crimes internationaux de la Russie commis en
Ukraine et les poursuites à l’encontre de leurs auteurs, où il appelle
l’Union européenne à inscrire le Groupe Wagner sur sa liste des
personnes, groupes et entités impliqués dans des actes de terrorisme
(Liste de l’UE en matière de terrorisme). En mars et en mai 2023,
les parlements lituanien et français ont respectivement, par des
résolutions non contraignantes, désigné le groupe Wagner comme une organisation
terroriste, appelant d'autres pays à faire de même
.
Le 11 mai M. Tobias Billström, ministre suédois des Affaires étrangères,
a déclaré que son pays, qui préside actuellement le Conseil de l'Union européenne,
est prêt à rechercher un consensus entre les États membres de l'Union
européenne sur l’inscription du groupe Wagner sur la liste de l'UE
en matière de terrorisme
.
52. En dehors de l'Union européenne, les États-Unis considèrent
le Groupe Wagner comme une organisation criminelle internationale,
et le Royaume-Uni envisage de le désigner officiellement comme une organisation
terroriste. Cela placerait Wagner sur une liste avec 78 autres groupes,
y compris ISIS, Al-Qaïda et de nouvelles organisations de suprémacistes
blancs. Le fait d'appartenir à Wagner, d'assister à ses réunions,
de promouvoir son soutien ou de porter son logo en public constituerait
une infraction pénale. Le Groupe s’exposerait à des sanctions financières
et cela affecterait la capacité de Wagner à collecter des fonds si
ceux-ci passaient par des établissements financiers britanniques
.
53. Qualifier le Groupe Wagner d’organisation terroriste enverrait
certes un message fort, mais il est nécessaire d’examiner diverses
questions juridiques. J'encourage donc le rapporteur de la commission
des questions juridiques et des droits de l'homme à se pencher très
attentivement sur cette question.
5. Implications
pour la sécurité en Europe
5.1. Un
contexte à risques
54. La guerre d'agression de la
Fédération de Russie contre l'Ukraine a plongé le monde dans un
nouvel environnement sécuritaire plein de risques. Il est vrai que
certains pays et régions sont particulièrement exposés, mais la
tension est palpable aux quatre coins de l'Europe. La Russie a non
seulement ramené une guerre dévastatrice au cœur de l'Europe, mais
également repoussé les limites de ce qui peut être utilisé comme
arme et instrument d’ingérence: migrants, énergie, leviers économiques,
capture des élites.
55. La sécurité «dure» est une grave préoccupation. Des représentant·e·s
de la Fédération de Russie ont brandi des menaces inconsidérées
de guerre nucléaire. En mai 2023, la Russie a commencé à déployer
des armes nucléaires tactiques au Bélarus et, selon certaines informations,
le déploiement d'armes stratégiques est à l’étude
. En mai 2023, la Fédération
de Russie et le Kirghizstan sont convenus de développer des installations
militaires russes sur le territoire de ce dernier, qui coopère pourtant
avec le Conseil de l'Europe, notamment via le statut de partenaire
pour la démocratie octroyé à son parlement. Dans le cadre de l'Organisation
du traité de sécurité collective, la Russie a conclu une alliance
militaire avec l'Arménie, le Bélarus, le Kazakhstan, le Kirghizistan
et le Tadjikistan, qui sont tous des États participants de l'OSCE.
56. Dans ce nouveau climat de confrontation, les mécanismes multilatéraux
impliquant la Russie et mis en place pour renforcer la sécurité
en Europe ne contribuent pas à l'objectif visé. Dans le contexte
d'une architecture de sécurité multilatérale en pleine évolution,
l'adhésion à l'Union européenne et à l'OTAN apparaît comme un rempart
pour garantir la sécurité et la stabilité tant attendues.
5.2. L'escalade
des tensions en République de Moldova
57. Personne ne peut mieux résumer
les défis auxquels est confrontée la République de Moldova que sa présidente,
Maia Sandu. S'adressant au 4e Sommet
du Conseil de l'Europe à Reykjavik, elle a déclaré: «Nous sommes
la cible de méthodes hybrides soutenues par la Russie qui visent
à déstabiliser notre démocratie. L'agression déclenchée par la Russie
contre l'Ukraine a eu un impact sur notre sécurité nationale et
a créé un environnement incertain. Nos citoyen·ne·s et nos entrepreneurs
continuent de lutter contre les répercussions économiques de la
flambée des prix de l'énergie et de la perturbation des routes commerciales.
Notre économie doit se développer pour que la démocratie ait une
chance. Nous avons tenu bon face aux efforts de déstabilisation
de la Russie et nous continuerons à le faire. Notre démocratie s'appuie
sur une forte volonté politique, mais elle ne peut faire face seule
à l'ampleur des défis auxquels nous sommes actuellement confrontés.
La Russie restera une source d'instabilité pour la région dans les
années à venir. Le meilleur moyen de consolider notre démocratie
et notre liberté est d'adhérer à l'Union européenne. Continuez à
aider l'Ukraine, continuez à aider la Moldova, afin qu'ensemble
nous puissions continuer à défendre nos démocraties et les valeurs
européennes que nous avons choisies comme notre présent et notre
avenir».
58. La République de Moldova est en première ligne pour supporter
le poids de l'agression de la Fédération de Russie contre l'Ukraine.
Depuis le début de l'invasion à grande échelle, elle a connu l'afflux
le plus important par habitant de personnes fuyant la guerre. Plus
de 780 000 personnes avaient franchi la frontière entre l'Ukraine
et la République de Moldavie en mars 2023, et plus de 107 000 personnes
sont actuellement accueillies par le pays. Cet effort d'accueil
a des implications budgétaires importantes, qui s'ajoutent aux perturbations
des chaînes d'approvisionnement et à l'augmentation des prix des
denrées alimentaires et de l'énergie, ce qui pèse sur l'économie
et provoque des tensions socio-économiques.
59. La République de Moldova est également confrontée à des défis
à long terme. L'Assemblée en a discuté en janvier 2023, lors du
débat sur «Le respect des obligations et engagements de la République
de Moldova»
. Le gouvernement s'est engagé
à mettre en œuvre des réformes clés dans les domaines de la gouvernance
démocratique et de l'État de droit, y compris la réforme du système
judiciaire, la lutte contre la corruption et l'influence des oligarques
dans la vie publique.
60. Dans ce contexte déjà compliqué, la Fédération de Russie joue
un rôle délibéré dans l'escalade des tensions et l'amplification
des fragilités internes du pays par une stratégie agressive de déstabilisation.
Les événements de ces derniers mois le confirment, à travers des:
- manifestations anti-gouvernementales
organisées par le Mouvement populaire (lié au parti Shor);
- informations faisant état de complots visant à renverser
le gouvernement et à l'empêcher d'adhérer à l'Union européenne;
- arrestations de saboteurs présumés, dont le groupe Wagner;
- expulsions de ressortissants étrangers pour espionnage.
61. Le 10 février 20232, la Fédération de Russie a tiré 71 missiles
contre l'Ukraine. Certains d'entre eux ont violé l'espace aérien
de la République de Moldova. Le même jour, le gouvernement dirigé
par Natalia Gavrilita a démissionné. Suite à un remaniement, un
nouveau gouvernement a été formé, avec Dorin Recean comme Premier
ministre.
62. Le 21 février 2023, le Président Poutine a abrogé le décret
présidentiel de 2012 sur les mesures de mise en œuvre de la politique
étrangère de la Fédération de Russie. Il s'agissait d'un geste très
important, car ce décret engageait la Fédération de Russie à rechercher
des solutions à la situation de la Transnistrie «sur la base du
respect de la souveraineté, de l'intégrité territoriale et du statut
de neutralité de la République de Moldova dans la détermination
du statut spécial de la Transnistrie».
63. Le site web du Kremlin indique que cette décision a été prise
pour «assurer les intérêts nationaux de la Russie dans le cadre
des changements profonds qui se produisent au sein des relations
internationales». Cette décision fait écho au commentaire du ministre
russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, selon lequel la Moldova
est la «prochaine Ukraine»
.
64. Ces déclarations et événements confirment pleinement l'observation
faite en janvier 2023 par l'Assemblée, puis en avril 2023 par le
Parlement européen
,
selon laquelle la Fédération de Russie mène une guerre hybride contre
la Moldova, en s'appuyant sur:
- de
vastes campagnes de désinformation, basées sur les forces politiques
pro-russes dans le pays et les médias qui véhiculent le discours
des autorités russes, sur la situation en Moldova ainsi que sur
la guerre contre l'Ukraine;
- le recours au chantage économique et énergétique;
- les cyber-attaques.
65. Les mécanismes multilatéraux visant à régler pacifiquement
la question de la Transnistrie sur la base de la souveraineté et
de l'intégrité territoriale de la République de Moldova sont également
affaiblis en raison du nouveau contexte géopolitique. La dernière
réunion en format 5+2 s'est tenue en 2019. De plus, le mandat de
la mission de l'OSCE en Moldova a été prolongé jusqu’au 30 juin
2023 seulement.
66. La Fédération de Russie maintient illégalement en Transnistrie
le Groupe opérationnel des forces russes, qui compte environ 1 500
soldats et contrôle le dépôt de Cobasna où sont stockés 22 000 tonnes
de munitions et d'équipements militaires datant de l'époque soviétique.
Le maintien de ces troupes et l'absence de démantèlement des munitions
sont deux violations graves des obligations internationales de la
Fédération de Russie et constituent une menace permanente pour la
sécurité – et, dans ce dernier cas, également pour l'environnement
– de la République de Moldova et de la région de la mer Noire.
67. Dans le contexte de ces défis majeurs en matière de sécurité,
l'approfondissement de l'intégration européenne de la République
de Moldova représente un facteur de stabilité. Le Conseil de l'Europe
devrait également, par le biais de son Plan d'action
, renforcer
son soutien à la République de Moldova en vue de la faire progresser
sur la voie de l'adhésion à l'Union européenne. De même, le soutien
des États membres du Conseil de l'Europe devrait être davantage
encouragé, par le biais d'initiatives bilatérales ou régionales
telles que l'accord de coopération tripartite entre la République
de Moldova, la Roumanie et l'Ukraine, signé à l'occasion de la Conférence
sur la sécurité de la mer Noire de 2023
,
ou la Plate-forme de soutien à la Moldova, réunissant l'Allemagne,
la France, la Roumanie et les Etats-Unis
.
68. Globalement, en vue de renforcer les capacités de la République
de Moldova dans les domaines de la sécurité nationale, de la stabilité
et de la résilience, l'Union européenne a engagé 87 millions d'euros
depuis la création de la Facilité européenne pour la paix. Le dernier
programme d'assistance a été décidé en mai 2023. D'une valeur de
40 millions d'euros sur une période de 36 mois, il financera la
formation et les équipements non létaux, notamment la surveillance
aérienne, la mobilité et le transport, la logistique, le commandement
et le contrôle, ainsi que la cyberdéfense
.
Le 24 avril 2023, à la demande des autorités moldaves, l'Union européenne
a établi une mission civile à Chisinau, dans le but de contribuer
au renforcement des structures de gestion de crise en Moldova, d'améliorer
sa résilience face aux menaces hybrides, y compris en matière de cybersécurité,
et de contrer la manipulation et l'ingérence étrangères dans le
domaine de l'information
.
5.3. La
situation en Géorgie
69. Les chefs d’État et de gouvernement
des États membres du Conseil de l’Europe, réunis à Reykjavik, ont condamné
les violations répétées du droit international par la Fédération
de Russie en Ukraine, en République de Moldova et en Géorgie
.
70. L’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine entraîne
des conséquences majeures sur la situation en Géorgie. La vulnérabilité
face aux menaces militaires russes est évidente, les forces russes stationnant
toujours illégalement sur le territoire de la Géorgie à la suite
de l’agression de 2008, en violation de la souveraineté et de l’intégrité
territoriale de la Géorgie.
71. Tbilissi a souligné à de nombreuses reprises son soutien ferme
à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Des
milliers de personnes sont descendues dans la rue pour protester
contre la Fédération de Russie et soutenir l’Ukraine. Dans son rapport
annuel soumis au Parlement géorgien le 5 juin 2023, le Gouvernement
géorgien rappelle qu’il a exprimé sa solidarité avec l’Ukraine dans
les enceintes internationales et apporté une aide humanitaire et
financière à ce pays.
72. Depuis le 24 février 2022, plus de 160 000 Ukrainiennes et
Ukrainiens sont entrés en Géorgie, qui a servi de pays de transit
et de destination; quelque 26 000 Ukrainiennes et Ukrainiens y sont
actuellement. Les citoyennes et citoyens ukrainiens peuvent rester
sur le territoire de la Géorgie pendant deux ans avant de devoir
demander un titre de résident·e ou de demander l’asile, conformément
à un décret du Gouvernement géorgien de février 2023
.
73. Dans le même temps, beaucoup de citoyennes et citoyens russes
sont entré·e·s en Géorgie depuis le début de l’agression contre
l’Ukraine. Les entrées en Géorgie ont été particulièrement importantes
après l’annonce d’une mobilisation partielle en Fédération de Russie;
le ministère de l’Intérieur a renforcé les effectifs au poste-frontière
de Dariali pendant une période de 10 jours au cours de laquelle
78 742 personnes en provenance de la Russie sont entrées en Géorgie
.
74. Malgré les différents appels internationaux et nationaux lui
demandant de s’aligner sur les sanctions occidentales, le Gouvernement
géorgien s’est montré réticent à le faire, même s’il a déclaré à
plusieurs reprises qu’il les respecte. Depuis le début de son invasion
à grande échelle de l’Ukraine, la Russie est devenue le deuxième
partenaire commercial de la Géorgie en termes d’importations et
le troisième en termes d’exportations en 2023. Certains craignent
que cette tendance soit due aux entreprises qui contournent les sanctions
occidentales
.
La reprise des vols directs entre Moscou et Tbilissi en mai 2023,
à la suite de la levée d’une interdiction vieille de quatre ans,
a également suscité l’émoi de celles et ceux qui s’opposent à tout rapprochement
avec la Russie
.
75. La dégradation de la situation en matière de sécurité a aussi
eu des répercussions sur les régions géorgiennes d’Abkhazie et d’Ossétie
du Sud. Les efforts déployés par la Russie pour intégrer les régions géorgiennes
d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud dans les sphères sociale, économique,
politique et judiciaire de la Russie se sont poursuivis, notamment
par la «reconnaissance» par les autorités de
facto des deux régions des «républiques populaires de
Donetsk et Louhansk», et leur soutien affiché de l’activité de la
Fédération de Russie en Ukraine.
76. L’interruption des travaux du forum chargé d’examiner les
conséquences du conflit de 2008 en Géorgie – les Discussions internationales
de Genève – est un autre aspect de la détérioration de la situation
sécuritaire. Les participants aux Discussions ont souligné le rôle
essentiel de ces dernières en tant que plateforme de prévisibilité
et de dialogue dans l’intérêt de la sécurité et de la stabilité
. Prévues quatre
fois par an, les Discussions ont été reportées de près d’un an à
la suite de l’agression à grande échelle contre l’Ukraine. Selon les
coprésident·e·s, cette mesure a été prise pour protéger le processus.
77. Les nouvelles réalités géopolitiques ont également un impact
sur l’évolution des relations de la Géorgie avec l’Union européenne.
À la suite du conflit de 2008, les relations ont été renforcées
avec la mise en place de l’initiative du Partenariat oriental en
2009 afin d’accélérer une plus grande intégration avec l’UE. Le
soutien manifeste de la population à l’orientation européenne du
pays est un fait bien documenté depuis ces 10 dernières années,
avec des niveaux atteignant 89 % en avril 2023
.
78. La relation a toutefois subi un certain nombre de revers,
notamment l’échec de l’accord politique négocié par le président
du Conseil européen en 2021 pour surmonter la crise politique qui
avait suivi les élections de 2020. La demande d’adhésion à l’Union
européenne introduite par la Géorgie offre aujourd’hui la possibilité
de rectifier cette situation. Les mesures continues prises dans
le but de remplir les conditions posées par l’Union européenne pour
que la Géorgie se voie accorder le statut de pays candidat, à la
suite de l’Ukraine et de la République de Moldova, sont cruciales
pour l’avenir des relations entre l’Union européenne et la Géorgie.
79. Les actions en faveur de la dépolarisation politique, du renforcement
de l’indépendance du pouvoir judiciaire, de l’accroissement du contrôle
démocratique, de la réforme du système électoral, de l’indépendance des
médias et des droits des groupes vulnérables, devraient figurer
parmi les grandes priorités politiques du gouvernement, tout comme
la poursuite de l’alignement sur la politique étrangère et de sécurité
commune de l’Union européenne, qui semble être tombé de 44 % en
2022 à seulement 31 % en 2023
.
5.4. Les
Balkans occidentaux sur une ligne de faille géopolitique
80. Dans sa
Résolution 2456 (2022), l’Assemblée reconnaît que ces dernières années ont
été marquées par une géopolitisation des Balkans occidentaux, la
Fédération de Russie étendant son influence politique à travers
un ensemble d’outils de soft power, dont les investissements économiques,
la présence médiatique, la politique énergétique et la diplomatie
vaccinale. Alors que cette influence s’accroît depuis un certain
temps, dans le nouveau contexte sécuritaire créé par son agression
contre l’Ukraine, la Russie risque encore plus d’utiliser cette
influence pour élargir les fractures existantes et conduire à une
plus grande déstabilisation, tout en renforçant son profil et en
discréditant les institutions européennes.
81. Tous les pays de la région ont exprimé leur soutien à la souveraineté,
à l’indépendance et à l’intégrité territoriale de l’Ukraine, mais
ils diffèrent dans leurs relations avec la Fédération de Russie
et l’Occident. L’Albanie, le Monténégro, la Macédoine du Nord et
le Kosovo*
, par exemple, ont adhéré aux
sanctions de l’Union européenne contre la Fédération de Russie,
contrairement à la Bosnie-Herzégovine et à la Serbie. Cela s’explique
par le fait que les candidats ou candidats potentiels à l’adhésion
à l’UE sont invités à s’aligner sur les décisions de la politique
étrangère et de sécurité commune de l’UE, dont les sanctions, sans
y être obligés.
82. En ce qui concerne l’intégration euro-atlantique, l’Albanie,
le Monténégro et la Macédoine du Nord sont membres de l’OTAN et
de la KFOR, force de maintien de la paix de l’OTAN, stationnée au
Kosovo depuis 1999. La Bosnie-Herzégovine est un partenaire de l’OTAN;
cependant, toute intégration plus poussée au sein de l’alliance
se heurte à l’opposition de la Republika Srpska. La Serbie est membre
du partenariat pour la paix de l’OTAN depuis 2009, et parallèlement,
son Assemblée nationale a le statut d’observateur auprès de l’Assemblée
parlementaire de l’Organisation du traité de sécurité collective
(OTSC) depuis 2013.
83. La Russie exerce une influence importante (soft power) sur
la Serbie, à travers la culture et la religion. Sur le plan politique,
la Russie s’est toujours rangée du côté de la Serbie sur la question
du Kosovo. Ces dernières années, la Russie a également renforcé
ses liens militaires avec la Serbie et elle est actuellement le principal
fournisseur d’armes de la Serbie. En mai 2022, la Serbie a signé
un nouveau contrat gazier de trois ans avec la Fédération de Russie.
En septembre 2022, les deux pays ont signé un accord pour des consultations
mutuelles sur les questions de politique étrangère.
84. Dans sa deuxième résolution sur «l’ingérence étrangère dans
l’ensemble des processus démocratiques de l’Union européenne», le
Parlement européen fait observer que la Russie utilise son influence
en Serbie pour déstabiliser la région et interférer dans les développements
nationaux, par exemple en Bosnie-Herzégovine via la Republika Srpska,
au Monténégro via les sentiments proserbes du pays et l’Église orthodoxe
serbe, et au Kosovo en exploitant et en attisant les différends
existants dans le nord et en bloquant les tentatives de normalisation
des relations entre Belgrade et Pristina
. Depuis le lancement de l’invasion
à grande échelle de l’Ukraine, plusieurs manifestations prorusses
ont eu lieu en Bosnie-Herzégovine, au Monténégro et en Serbie, à
l’initiative de groupes d’extrême droite.
85. Comme l’Union européenne, le Conseil de l’Europe a intérêt
à renforcer la résilience démocratique et le respect de l’État de
droit et des droits humains, à promouvoir la réconciliation et de
bonnes relations de voisinage et à créer les conditions d’un progrès
économique et social plus marqué dans les Balkans occidentaux.
86. Le Conseil de l’Europe devrait redoubler d’efforts pour permettre
à l’Albanie, à la Bosnie-Herzégovine, au Monténégro, à la Macédoine
du Nord, à la Serbie et au Kosovo de réaliser leur aspiration à
une intégration européenne plus étroite. Il devrait s’efforcer de
promouvoir un alignement plus poussé de la région avec la politique
étrangère et de sécurité de l’UE et d’améliorer sa résistance aux
menaces hybrides et à la désinformation.
6. La
perspective mondiale
6.1. Initiatives
pour la paix
87. Alors que la guerre d’agression
se poursuit, un certain nombre d’initiatives ont été proposées pour mettre
fin aux hostilités. Si nous souhaitons tous la paix, et personne
plus que l’Ukraine, je suis fermement convaincu que tout règlement
de paix qui reconnaîtrait un changement de frontières en faveur
d’un agresseur serait injuste et ne serait pas durable; au contraire,
il ouvrirait la voie à de nouvelles agressions et porterait atteinte
aux principes fondamentaux qui sont à la base de la paix et de la
sécurité internationales.
88. Permettez-moi également de rappeler que, dans sa
Résolution 2463 (2022) «Nouvelle escalade dans l’agression de la Fédération
de Russie contre l’Ukraine», pour laquelle j’étais rapporteur, l’Assemblée
a appelé les États membres du Conseil de l’Europe à «réaffirmer
leur soutien indéfectible à l’indépendance, à la souveraineté et
à l’intégrité territoriale de l’Ukraine dans ses frontières internationalement
reconnues, et à rappeler que des pourparlers de paix peuvent avoir
lieu uniquement aux conditions fixées par l’Ukraine» (paragraphe
13.1)
.
La formule de paix en 10 points
du Président Zelensky
89. En novembre 2022, le Président
Zelensky a lancé la formule de paix en 10 points
, qui appelle à:
- la sûreté nucléaire, y compris
le rétablissement des conditions de sûreté autour de la plus grande centrale
nucléaire d’Europe, Zaporijjia, actuellement sous occupation russe;
- la sécurité alimentaire, y compris la protection et la
garantie des exportations de céréales de l’Ukraine vers les nations
les plus pauvres du monde;
- la sécurité énergétique;
- la libération de tous les prisonniers et déportés, y compris
les prisonniers de guerre et les enfants déportés de force;
- le rétablissement de l’intégrité territoriale de l’Ukraine
et sa réaffirmation par la Russie, conformément à la Charte des
Nations Unies;
- le retrait des troupes russes et la cessation des hostilités,
le rétablissement des frontières étatiques de l’Ukraine avec la
Russie;
- la justice, y compris la création d’un tribunal spécial;
- la prévention de l’écocide, la nécessité de protéger l’environnement,
en mettant l’accent sur le déminage et la remise en état des installations
de traitement de l’eau;
- la mise en place d’une architecture de sécurité dans l’espace
euro-atlantique, y compris des garanties pour l’Ukraine;
- la confirmation de la fin de la guerre, y compris un document
signé par les parties concernées.
90. Il importe de souligner que, lors du Sommet de Reykjavik,
les chefs d’État et de gouvernement des États membres du Conseil
de l’Europe ont déclaré officiellement: «Il ne peut y avoir de paix
durable sans obligation de rendre des comptes et nous soutenons
les principes d’une paix juste et durable tels qu’ils sont énoncés dans
la formule de paix du Président Zelensky».
Position de la Chine sur le
«règlement politique de la crise ukrainienne»
91. À l’occasion de l’anniversaire
de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Fédération de
Russie, la Chine a publié un document sur sa position concernant
le «règlement politique de la crise ukrainienne». Loin d’être un
plan de paix, ce document donne un aperçu de la manière dont la
Chine conçoit son rôle sur la scène mondiale
. En utilisant le
langage propre à la Chine, voici quelques-uns de ses principaux
points:
- respect de la souveraineté
de tous les pays;
- abandon de la mentalité de la guerre froide, la sécurité
d’une région ne devrait pas passer par le renforcement ou l’expansion
des blocs militaires;
- cessation des hostilités et reprise des pourparlers de
paix;
- facilitation des exportations de céréales;
- suppression des sanctions unilatérales;
- maintien de la stabilité des chaînes industrielles et
d’approvisionnement;
- promotion de la reconstruction après le conflit.
92. Tout en affirmant que la Chine continuera à jouer «un rôle
constructif», le libellé et la teneur du document de position renforcent
l’opinion selon laquelle la Chine ne peut être considérée comme
un médiateur neutre. Outre les spéculations selon lesquelles la
Chine pourrait fournir des armes à la Russie
, les résultats de ses votes
au Conseil de sécurité de l’ONU et à l’Assemblée générale des Nations
Unies sont très révélateurs, tout comme les visites officielles
que ses dirigeants ont effectuées ou reçues de leurs homologues
russes et bélarussiens depuis le lancement de l’invasion à grande
échelle de l’Ukraine. Les récents exercices militaires conjoints
avec la Chine sont également un signe visible de la position du
pays et constituent un sujet de grave préoccupation pour la sécurité
mondiale.
La résolution de l’Assemblée
générale des Nations Unies du 23 février 2023
93. À ce jour, le cadre de paix
qui a reçu le plus large soutien reste celui défini par l’Assemblée
générale des Nations Unies dans sa Résolution du 23 février 2023
, qui souligne que:
- la seule paix juste, globale
et durable est celle qui est fondée sur le respect du droit international;
- la Fédération de Russie doit retirer immédiatement, complètement
et sans condition toutes ses forces militaires du territoire ukrainien
à l’intérieur des frontières internationalement reconnues du pays;
- nulle acquisition territoriale résultant de la menace
ou de l’emploi de la force ne sera reconnue comme légale.
94. Au total, 141 membres des Nations Unies ont voté en faveur
de la résolution. Sept pays s’y sont opposés (la Russie, le Bélarus,
la Corée du Nord, la Syrie, le Mali, l’Érythrée et le Nicaragua)
et 32 autres se sont abstenus (notamment l’Arménie, le Kazakhstan,
le Kirghizistan, le Tadjikistan, l’Ouzbékistan, l’Inde, l’Iran et
le Pakistan ainsi qu’un certain nombre de pays africains dont l’Afrique
du Sud). L’Azerbaïdjan et le Turkménistan n’ont pas pris part au
vote.
6.2. Des
récits et des points de vue divergents
95. Soutenir l’Ukraine ne signifie
pas seulement offrir toute l’assistance qui peut aider le pays à
reprendre le contrôle de son territoire, fournir une aide humanitaire
aux civils et veiller à ce que l’agresseur soit tenu pour responsable
de ses crimes, mais aussi apporter un soutien pour contrer les faux
récits sur la guerre diffusés par la Fédération de Russie.
96. Lors de l’audition que la commission des questions politiques
et de la démocratie a tenue le 20 mars 2023 à Paris, M. Acha a alerté
les membres sur le succès des médias russes, chinois, cubains et
iraniens à promouvoir l’idée que l’Ukraine et la Russie doivent
être considérées comme responsables de la guerre à parts égales,
ou que la responsabilité incombe entièrement aux États-Unis et à
l’expansion de l’OTAN. Ce point de vue n’est pas rare en Amérique
latine
et en Afrique
, cette dernière étant la cible
d’une influence croissante de la Fédération de Russie, notamment
à cause du rôle du groupe Wagner.
97. En Amérique latine, Cuba est l’un des alliés transatlantiques
les plus importants de la Russie dans son agression contre l’Ukraine,
si ce n’est le plus important: la Russie s’associe à Cuba pour contester
l’influence des États-Unis et de l’Europe, tant au niveau mondial
que régional. Cuba sert de plateforme à la propagande russe en diffusant
des récits qui rendent l’Ukraine responsable de la guerre et qui
décrivent l’Ukraine comme antisémite, corrompue et soumise aux États-Unis.
La Russie a aussi mis en place des plateformes financières pour
aider Cuba à «éviter une surveillance hostile» et pour créer «des
liens qui échappent aux organisations financières d’États hostiles».
Ces plateformes sont un moyen idéal, pour la Russie, de contourner
les sanctions et de participer à la triangulation des ressources
issues du blanchiment d’argent provenant d’activités illicites
.
98. Selon M. Acha, ce soutien au récit russe de la guerre explique
les nombreuses abstentions lors du vote des résolutions pertinentes
de l’Assemblée générale des Nations Unies. Les États membres du
Conseil de l’Europe devraient donc intensifier leurs efforts diplomatiques
pour obtenir un soutien encore plus grand en faveur de l’Ukraine
dans le monde entier, car la Fédération de Russie n’est pas aussi
isolée qu’elle peut le sembler d’un point de vue européen.
99. L’un des messages diffusés par la Fédération de Russie et
repris par ses partenaires dans le monde entier est le suivant:
les sanctions internationales imposées à la Russie sont responsables
de la flambée des prix des denrées alimentaires et des carburants,
en plus d’être injustes. Ces messages ont été diffusés en plusieurs
langues, en Europe, dans son voisinage et au-delà, et ont été repris
par les médias africains et chinois, ce qui a renforcé leur portée
mondiale.
100. La Fédération de Russie jouit aussi d’une certaine sympathie
pour ses positions au sein des BRICS, une plateforme qui réunit
la Fédération de Russie, le Brésil, l’Inde, la Chine et l’Afrique
du Sud. Ensemble, ces pays représentent 40 % de la population mondiale,
28 % du PIB mondial et 20 % des exportations de marchandises. Leur
coopération repose sur trois piliers: la politique et la sécurité,
l’économie et la finance ainsi que la culture et les échanges entre
les peuples
. Les BRICS ressemblent de
plus en plus à un bloc géopolitique cohérent, en concurrence avec
le G7 et avec un nombre croissant de pays souhaitant les rejoindre
.
101. Fait révélateur, bien que le Brésil soit le seul membre des
BRICS à soutenir la résolution de l’Assemblée généra le des Nations
Unies du 23 février 2023, son Président Lula, récemment réélu, a
déclaré à plusieurs reprises, notamment lors d’une visite en Chine
, que l’Ukraine
était aussi responsable de l’invasion russe et a appelé à une paix
négociée. En avril 2023, le ministre russe des Affaires étrangères,
M. Lavrov, en visite au Brésil, a remercié les autorités brésiliennes
pour «leur excellente compréhension de la situation»
.
102. Les BRICS ont exprimé avec force leur inquiétude quant aux
conséquences des sanctions imposées à la Fédération de Russie pour
l’économie mondiale. En outre, en augmentant leurs achats d’énergie,
d’engrais et d’autres produits clés en provenance de Russie, ils
aident le régime de Poutine à atténuer les effets des sanctions
occidentales
.
103. Les pays occidentaux ont activé les canaux diplomatiques et
d’information pour expliquer que les sanctions internationales imposées
à la Russie visent la capacité du Kremlin de financer son agression militaire,
qui reste la principale cause de la crise alimentaire, et ne touchent
pas les produits agricoles. Il est indéniable que les sanctions
imposées à la Russie ont des effets sur l’économie mondiale, en
particulier sur le «Sud global», mais c’est l’État agresseur qui
est responsable de cette situation. S’il ne se rendait pas coupable de
violations graves du droit international, il ne serait pas nécessaire
de prendre des sanctions.
104. L’Assemblée aura l’occasion d’examiner cette question de manière
plus approfondie lors du débat sur le thème «Mondialisation en temps
de crise et de guerre: le rôle de l’OCDE depuis l’agression de la
Fédération de Russie contre l’Ukraine» (rapporteur de la commission
des questions politiques et de la démocratie: M. George Katrougalos,
Grèce, GUE), qui aura lieu en octobre 2023. De plus, un rapport
intitulé «Faire face aux effets sociaux et économiques des sanctions»
est élaboré actuellement par la commission des questions sociales,
de la santé et du développement durable (rapporteure: Mme Sibel
Arslan, Suisse, SOC).
7. Renforcer
les sanctions et améliorer leur efficacité
7.1. Mesures
restrictives
105. Le soutien de l’Ukraine signifie
également peser sur la capacité de la Fédération de Russie de financer la
guerre d’agression et imposer des coûts économiques et politiques
clairs au régime de Poutine. À cette fin, l’Union européenne, le
Royaume-Uni, les États-Unis d’Amérique et plusieurs autres pays
ont mis en place des sanctions économiques et financières d’une
ampleur sans précédent. La Russie est actuellement le pays le plus
sanctionné au monde, et la coalition des pays qui imposent des sanctions
représente plus de la moitié de l’économie mondiale
.
106. Jusqu’à présent, l’Union européenne a adopté 10 trains de
sanctions
et un
onzième est en cours de négociation. Les restrictions touchent plus
de 1 200 personnes et 200 organisations ainsi que divers secteurs de
l’économie russe
. Elles relèvent de plusieurs catégories:
- les sanctions contre des personnes
et des entreprises;
- les sanctions sectorielles;
- les sanctions contre les exportations de technologie;
- les sanctions contre les importations de marchandises
russes;
- les sanctions financières.
107. Les sanctions ont eu de profonds effets sur les échanges commerciaux
entre la Russie et l’Europe. L’Union européenne a notamment pu réduire
la plupart de ses importations d’énergie russe, malgré des années
de dépendance. Des secteurs de l’économie russe, comme l’industrie
aéronautique, ont été isolés et traversent une grave crise. Dans
le même temps, les sanctions n’ont pas encore atteint leur principal
objectif: rendre économiquement impossible la poursuite par le Kremlin
de sa guerre d’agression contre l’Ukraine. L’économie russe s’est
à peine contractée en 2022 et, d’après certaines estimations, elle
pourrait connaître, cette année, une croissance
. En outre, la Russie continue d’importer
des produits occidentaux, dont des produits militaires et à double
usage, qu’elle utilise contre l’armée et les civils ukrainiens
.
108. Un vaste système de contournement des sanctions et d’importations
parallèles déployé par le Kremlin ces 10 dernières années explique
cette situation. Un certain nombre de grandes économies et de partenaires commerciaux
essentiels de la Fédération de Russie ne font pas partie de la coalition
qui applique les sanctions, dont le Brésil, l’Inde et la Chine (les
BRICS restants). Parmi les États membres du Conseil de l’Europe, l’Arménie,
l’Azerbaïdjan, la Bosnie-Herzégovine, la Géorgie, la République
de Moldova, la Serbie et la Türkiye n’appliquent pas de sanctions
contre la Fédération, pas plus que les pays d’Asie centrale.
109. La Russie dispose donc d’une large marge de manœuvre pour
contourner les sanctions par le biais d’importations de pays tiers,
de la réexportation directe ou indirecte et de faux transits. Le
Gouvernement et les entreprises russes font preuve d’un grand esprit
d’entreprise en inventant différents moyens de contourner les sanctions
technologiques (donc des éléments essentiels pour la production
d’équipements militaires), voire les sanctions sur le pétrole. Il
est intéressant de noter que le commerce de la Russie avec certains
des pays susmentionnés s’est considérablement développé depuis le
début de l’agression à grande échelle.
110. L’Union européenne a intensifié sa «diplomatie des sanctions»
en nommant David O’Sullivan premier envoyé spécial international
pour la mise en œuvre des sanctions de l’Union européenne et en
le chargeant d’établir des contacts avec les pays tiers pour lutter
contre le contournement des sanctions et élargir la coalition, et
d’organiser un forum des coordonnateurs des sanctions pour renforcer
l’application de ces dernières au niveau international
.
7.2. Lutte contre le contournement
111. L’application des sanctions
existantes devrait aussi devenir une priorité des autorités européennes. Dans
le 11e paquet de sanctions, proposé en mai 2023, l’UE a commencé
à traiter de cette question, mais ses efforts ont jusqu’à présent
été limités et il est difficile de trouver un consensus.
112. Les échanges commerciaux avec des pays tiers hors de l’Union
européenne sont actuellement le moyen le plus courant d’importer
des marchandises et de la technologie en Russie. D’après les calculs
effectués par Reuters sur la base des données de l’Office fédéral
allemand des statistiques, pour le premier trimestre 2023, les exportations
de l’Allemagne vers le Kirghizistan ont augmenté en volume de 949 %,
elles ont progressé de 92 % vers la Géorgie tandis que celles vers
le Kazakhstan ont augmenté de 136 %, celles vers l’Arménie de 172 %
et celles vers le Tadjikistan de 154 %. La progression des exportations
vers la Turquie a été de 37 %
.
113. Il est devenu possible de se procurer des marchandises par
le biais de pays tiers, car le Gouvernement russe a autorisé les
importations parallèles au début de l’année 2022. En outre, certains
pays du Caucase et d’Asie centrale, comme l’Arménie, le Kazakhstan
et le Kirghizistan, font partie d’une union douanière avec la Russie,
ce qui signifie que les marchandises peuvent circuler librement
entre les pays.
114. Dans le cadre du 11e paquet de sanctions proposé, l’Union
européenne pourrait, si elle soupçonne des réexportations illégales,
adresser un avertissement aux pays contrevenants. Elle aurait en
outre le droit de restreindre les exportations de certains biens
vers ces pays
. Ces mesures constitueraient une
avancée importante. Toutefois, pour les rendre plus efficaces, une
task force européenne spécialisée dans la lutte contre le contournement
pourrait être créée. Elle collaborerait étroitement avec les gouvernements
étrangers pour contrôler les certificats d’utilisation finale, surveiller
les entreprises qui réexportent des marchandises vers la Russie
et proposer au besoin des sanctions secondaires.
115. Malgré les nombreuses sanctions financières contre la Russie,
plusieurs banques occidentales continuent d’opérer dans le pays,
notamment la banque Raiffeisen (RBI, Autriche), la banque UniCredit
(Italie) et la banque OTP (Hongrie)
. D’après des chercheurs, au cours
des neuf premiers mois de 2022, RBI a tiré la moitié de son bénéfice
net du marché russe et a réalisé en 2023 1,4 milliard d’euros de
bénéfices en Russie, soit quatre fois plus qu’au cours de la même
période de 2022, tout en payant des impôts au Gouvernement russe
. La banque Raiffeisen continue en
outre de coopérer avec la banque publique russe Sberbank.
116. Le secteur privé devrait assumer la responsabilité juridique
et morale de veiller à ce que personne ne profite de la guerre et
des souffrances humaines et que personne ne soutienne l’agresseur.
Une pression accrue devrait être exercée sur les banques européennes
pour qu’elles appliquent les sanctions contre la Russie. Les banques
qui restent en Russie devraient être invitées à divulguer des données
sur les transactions potentiellement liées au complexe militaro-industriel.
117. La publicité est un outil efficace pour rappeler leur responsabilité
à ceux qui compromettent et contournent le régime de sanctions.
Je propose donc de créer un registre spécial des entreprises, des
banques et des sociétés participant au contournement des sanctions,
qui sera mis à jour régulièrement et rendu public. En outre, les
États qui contribuent à ce que les sanctions soient évitées et qui
créent des conditions particulières pour permettre de les contourner
devraient aussi être répertoriés.
118. Enfin, la question de l’achat de produits pétroliers raffinés
à base d’énergie russe devrait être examinée. Le Haut représentant
de l’UE pour la politique étrangère, Josep Borrell, a récemment
souligné le rôle de l’Inde dans la revente de produits pétroliers
russes. Selon lui, les exportations de produits pétroliers raffinés
de l’Inde vers l’Europe ont été multipliées par sept par rapport
à la période qui a précédé la guerre. L’Inde a tout à fait le droit
d’acheter du pétrole russe. La revente de produits pétroliers raffinés
d’origine russe à l’Union européenne équivaut cependant à contourner
les sanctions. Dans le même temps, M. Borrell a tenu les entreprises
importatrices européennes responsables de cette situation
.
8. Dialogue avec les forces démocratiques
et la société civile russes partageant les valeurs du Conseil de
l’Europe
119. Afin de préparer et de mener
sa guerre agressive, le régime de Poutine a détruit les organisations
non gouvernementales les plus fortes et les plus visibles parmi
celles qui avaient survécu. En 2022-2023, le Groupe Helsinki de
Moscou, le Centre d’information et d’analyse SOVA, le Centre Sakharov,
le Centre des droits de l’homme Memorial et International Memorial
ont pour ainsi dire été liquidés.
120. La liquidation des organisations Memorial et la répression
constante des structures et des personnes qui y sont associées reflètent
aussi la politique du Kremlin qui vise à détruire la mémoire historique
des crimes de l’ère soviétique et de leurs victimes. Ces efforts
ont pour but d’établir une idéologie de la toute-puissance et de
l’infaillibilité de l’État, de la privation des droits individuels,
de l’opposition entre la Russie, l’Occident et le multilatéralisme,
justifiant la guerre d’agression.
121. La répression visant à éliminer les opposant·e·s au régime,
à intimider et à contrôler la société est devenue le fondement de
la guerre d’agression. Selon les données incomplètes de Memorial,
la Russie compte aujourd’hui au moins 550 prisonnières et prisonniers
politiques, parmi lesquels figurent plusieurs de mes ami·e·s et
de ceux du Conseil de l’Europe, dont Vladimir Kara-Murza, Alexeï
Navalny et bien d’autres. D’après OVD-Info, 600 personnes au moins
ont été poursuivies au pénal pour avoir manifesté contre la guerre. L’ampleur
de la répression a atteint les niveaux de l’ère soviétique. Toutes
les nouvelles normes punitives, souvent contraires aux principes
juridiques fondamentaux, sont destinées à créer les conditions d’une répression
encore plus forte.
122. De nombreux Russes ont quitté le pays depuis le début de la
guerre d’agression à grande échelle. Il s’agit d’opposant·e·s politiques
au régime, de défenseurs des droits humains, de militant·e·s des
droits humains, de journalistes, de représentant·e·s d’ONG, de membres
de la société civile animés d’un esprit démocratique. De nombreuses
personnes sont également parties parce qu’elles désapprouvaient
la guerre ou ne voulaient pas y participer.
123. Les Russes en exil ne constituent pas un groupe uniforme et
sont divisés sur de nombreuses questions. Il convient toutefois
de mentionner que le 20 mai 2022, la deuxième conférence contre
la guerre a décidé de la création du Comité d’action russe. En signant
une déclaration sur la vision de l’avenir de la Russie, ses membres
soutiennent:
- la libération
de tous les territoires ukrainiens occupés et le rétablissement
de l’intégrité territoriale de l’Ukraine dans ses frontières internationalement
reconnues;
- l’indemnisation de l’Ukraine au titre des dommages dus
à l’agression de Poutine;
- la création d’un tribunal international chargé de juger
le crime d’agression.
124. J’estime que cette plateforme réunit les conditions fixées
par l’Assemblée dans sa
Résolution
2433 (2022) «Conséquences de l’agression persistante de la Fédération
de Russie contre l’Ukraine: rôle et réponse du Conseil de l’Europe»,
dans laquelle l’Assemblée a décidé d’«intensifier son engagement
avec la société civile, les défenseurs des droits humains, les journalistes
indépendants, les milieux universitaires et les forces démocratiques
du Bélarus et de la Fédération de Russie qui respectent les valeurs
et les principes de l’Organisation, y compris l’intégrité territoriale
des États membres souverains» (paragraphe 18.2).
125. Au vu également des échanges que le Comité présidentiel a
eus, à l’initiative du Président de l’Assemblée, avec certains représentants
clés du Comité d’action russe en mars 2023 à Paris, j’espère que l’Assemblée
poursuivra le dialogue avec ces interlocuteurs. Seule une Russie
démocratique sans potentiel militaire d’attaque contre pays ses
voisins peut garantir une paix durable en Europe, et ce jour viendra.
9. Conclusions générales
126. Le Conseil de l’Europe a été
bâti sur les cendres de la Seconde Guerre mondiale, avec la conviction
que «la consolidation de la paix fondée sur la justice et la coopération
internationale est d’un intérêt pour la préservation de la société
et de la civilisation». En 2023, 74 ans après sa création, la plus
ancienne organisation paneuropéenne fonctionne au sein d’un ordre
géopolitique multipolaire dans lequel le multilatéralisme fondé
sur des règles est affaibli, la paix et la sécurité internationales
sont ébranlées et les valeurs de la démocratie, des droits humains
et de l’État de droit sont remises en question, voire, parfois, rejetées.
127. Depuis plus de cinq cents jours, nous assistons à la guerre
d’agression illégale et non provoquée menée par la Russie contre
l’Ukraine. Malgré les immenses souffrances infligées au peuple ukrainien
et des conséquences dévastatrices à l’échelle mondiale, la Russie
et ses alliés continuent à violer le droit international humanitaire
et relatif aux droits humains, à commettre des crimes de guerre
et peut-être des crimes contre l’humanité en Ukraine, et à mettre
en péril l’ensemble de l’ordre international fondé sur des règles.
128. Lors de la reprise de la 11e session
extraordinaire d’urgence de l’Assemblée générale des Nations Unies,
son Président Csaba Kőrösi a déclaré que, dans ce «nouveau chapitre
de l’histoire, le monde est confronté à des choix difficiles quant
à notre identité en tant que communauté internationale. Ces choix
nous permettront de nous inscrire soit sur la voie de la solidarité
et de la détermination collective à défendre les principes de la
Charte des Nations Unies, soit sur celle de l’agression, de la guerre,
des violations normalisées du droit international et de l’effondrement
de l’action mondiale.»
129. Je partage entièrement son avis. La manière dont nous répondrons
à l’agression menée par la Fédération de Russie contre l’Ukraine
déterminera le cours de l’histoire européenne et impactera le système de
gouvernance mondiale dans les années à venir. La communauté internationale
doit faire preuve de détermination et d’unité en réagissant à la
guerre d’agression non provoquée, menée par la Russie, et en se tenant
aux côtés de l’Ukraine aussi longtemps qu’il le faudra.
10. Recommandations sur la manière d'améliorer
l'efficacité des sanctions
130. Les sanctions ont été déterminantes
face à l'agression de la Russie contre l’Ukraine. Elles jouent un
rôle important en limitant l'accès de Poutine à l’argent nécessaire
pour financer la guerre. La Fédération de Russie continue toutefois
d’obtenir de l’argent grâce à la vente de pétrole et de gaz. En
outre, de nombreux oligarques russes impliqués dans la corruption
et les violations des droits humains échappent aux sanctions, et
tout un système a été échafaudé pour les contourner et les éluder.
131. Désireux d’alimenter la réflexion et, le cas échéant, de contribuer
à l’élaboration d’un rapport spécifique sur la question, je suggère
les options suivantes qui permettraient d’améliorer l’efficacité
du dispositif de sanctions:
Réduire la dépendance de l’Europe
à l’égard du pétrole et du gaz russes
132. Les mécanismes visant à réduire
encore la dépendance de l’Europe à l’égard du pétrole et du gaz russes
devraient être renforcés. Il faudrait également instaurer des mesures
contre la revente à l’Europe de pétrole et de gaz russes via des
pays tiers.
Étendre les sanctions personnelles
133. Il faudrait continuer d’étendre
les sanctions afin qu’elles couvrent les personnes (et les sociétés
qu’elles contrôlent) soutenant matériellement, financièrement et
publiquement la guerre menée contre l’Ukraine par le régime du Kremlin
et/ou ne s’y opposant pas.
Contrôler le respect des sanctions
et infliger sanctions secondaires
134. Les mécanismes doivent être
renforcés pour remédier aux lacunes et au contournement des sanctions, notamment
sous la forme de prétendus transits via la Russie vers des pays
tiers, de revente de biens russes, y compris de pétrole et de gaz
via des pays tiers, de transferts de services et d'actifs bancaires
russes vers des pays tiers et d'utilisation de structures de prête-noms
pour dissimuler les propriétaires et gestionnaires effectifs d'actifs
et d'entreprises russes.
135. Le système de contrôle du respect des sanctions existantes
par les tiers (sanctions secondaires) doit être renforcé.
136. Il est vital d’identifier les principales catégories d’entités
et de personnes jouant un rôle significatif dans le contournement
des sanctions. Ces catégories devraient inclure les banques, les
compagnies d’assurances, les conseillers financiers, les établissements
financiers, les sociétés de transport et de logistique, les ports
et les sociétés de services.
137. Pour lutter efficacement contre le contournement des sanctions,
il est nécessaire de proposer des dispositifs qui infligent aux
personnes impliquées dans ces activités des dommages plus importants
que les avantages potentiels qu'elles peuvent en retirer. Cela peut
se faire par des sanctions qui ciblent spécifiquement des individus
clés dans chaque catégorie de sanction. Un message clair et dissuasif
serait ainsi envoyé aux autres personnes et entités tentées de participer
à de telles activités illicites.
138. Il est important de renforcer la coopération et d’harmoniser
les efforts en matière de sanctions entre les pays partageant les
mêmes idées. La situation actuelle, dans laquelle des personnes
peuvent être sanctionnées dans une juridiction mais pas dans une
autre engendre des failles propices au contournement des sanctions.
Créer un registre des sociétés/individus
travaillant pour des intérêts russes et un registre des personnes
aidant à éviter les sanctions
139. Il est conseillé d'exiger que
les entités et personnes des États membres du Conseil de l'Europe
déclarent tous les travaux effectués pour ou dans l’intérêt d’entités
et de personnes russes, sanctionnées ou non. Cette mesure pourrait
initialement être déployée sur une base volontaire.
140. Face aux tentatives de contournement des sanctions, la création
d’un registre des sociétés aidant les personnes et les entités russes
à éviter les sanctions pourrait être envisagée, et des mesures restrictives appropriées
pourraient être prises à leur encontre sur le territoire du Conseil
de l'Europe, afin d’assurer la transparence et la sensibilisation
de l’ensemble des membres.
Infliger des sanctions aux
alliés de Poutine et renforcer les mesures contre les manœuvres
visant à contourner les sanctions
141. Face l’agression illégale de
Poutine contre l’Ukraine, il est essentiel de mettre en place des
sanctions contre ses alliés, dont l’Iran, le Bélarus, Cuba et d’autres
acteurs clés qui soutiennent la guerre meurtrière de Poutine. L’identification
des domaines spécifiques dans lesquels ces alliés soutiennent l’agression
de Poutine permettra de mettre en œuvre des sanctions ciblées à
l’encontre des individus, institutions ou entités impliqués.
De lourdes sanctions financières
en cas de contournement des sanctions
142. Étant donné le coût élevé que
peut représenter la réglementation et l’application des mesures
de lutte contre le contournement des sanctions, il est indispensable
de prévoir un dispositif juridique assorti de lourdes sanctions
financières. De telles amendes peuvent servir à financer les efforts
pour réglementer et combattre le contournement des sanctions. Les
lourdes sanctions financières réduiront également l’attrait de telles pratiques
tout en générant les ressources nécessaires pour les combattre efficacement.
Responsabilité civile et pénale
en cas de contournement des sanctions
143. Pour dissuader davantage les
auteurs de telles pratiques il est important d’envisager que l'aide
délibérée apportée par des individus ou des groupes d'individus
pour contourner les sanctions soit érigée en infraction pénale.
L’instauration d'une responsabilité pénale pour le contournement
des sanctions serait très dissuasive et renforcerait la gravité
de ces agissements. En outre, les personnes impliquées dans l'aide
à le contournement des sanctions devraient se voir interdire l'exercice
de certaines activités professionnelles sur le territoire du Conseil
de l'Europe.
Création d’une institution
paneuropéenne habilitée à enquêter sur les personnes impliquées
dans le contournement des sanctions et à les poursuivre
144. Il est conseillé de créer une
institution juridique paneuropéenne permanente dotée d’un pouvoir d’enquête
et de poursuites à l’encontre des personnes inscrites sur la liste
des sanctions et de celles qui sont complices de leurs crimes de
guerre. Une telle institution, qui pourrait revêtir la forme d’un
tribunal ou d’un parquet spécialisé, devrait être habilitée à émettre
des mandats d'arrêt à l'encontre d'individus et à confisquer leurs
biens, ainsi qu'à demander l'extradition par des pays tiers. Les
décisions prises par cette institution devraient être contraignantes
pour tous les États membres du Conseil de l'Europe.
Incitations financières pour
les donneurs d'alerte dénonçant des faits spécifiques de contournement de
sanctions
145. Les incitations financières
en faveur des personnes détenant des informations importantes sur
le contournement de sanctions peuvent inciter ces donneurs d’alerte
à se manifester et à dénoncer l’assistance ou la complicité de personnes
ou entités dans le contournement des sanctions.