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Rapport | Doc. 16004 | 10 juin 2024

Appel à la restitution de Varosha à ses habitants légitimes

Commission des questions politiques et de la démocratie

Rapporteur : M. Piero FASSINO, Italie, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 15333, Renvoi 4602 du 27 septembre 2021. 2024 - Troisième partie de session

Résumé

La ville fantôme de Varosha, zone clôturée de la ville de Famagouste, est l’une des traces les plus choquantes de l’intervention militaire turque de 1974 dans le nord de Chypre. Cela fait presque 50 ans que le problème chypriote n’est toujours pas résolu, et que l’île reste divisée.

Le rapport appelle toutes les parties concernées à contribuer à la reprise rapide du processus politique en vue d'un règlement global du problème chypriote, et à s’abstenir de toute mesure unilatérale ou de toute déclaration publique susceptible de le compromettre. Dans ce contexte, le rapport rappelle que, conformément aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies, Varosha doit être transférée à l'administration de l'ONU.

La commission des questions politiques et de la démocratie estime que les déclarations des dirigeants de la Türkiye et de la communauté chypriote turque en faveur d’une «solution à deux États» pour Chypre contredisent les paramètres déterminés d’un commun accord figurant dans les documents pertinents des Nations Unies. De même, les dispositions prises depuis octobre 2020 pour rouvrir l’accès à la zone clôturée de Varosha compromettent les perspectives de parvenir à un règlement global de la question chypriote.

Étant donné que Varosha revêt une importance hautement symbolique pour les Chypriotes grecs, le projet de résolution souligne que le retour de Varosha à ses habitants légitimes constituerait une contribution positive importante à la réalisation d'un règlement global. Il suggère donc d'appeler toutes les parties concernées à élaborer et à mettre en œuvre un ensemble de mesures de confiance réciproques visant à surmonter l'isolement et à promouvoir la coopération dans l'intérêt des deux communautés.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté par la commission le 31 mai 2024.

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1. L’été 2024 marque le triste 50e anniversaire de l’épisode le plus dramatique de l’histoire moderne de Chypre: le coup d’État promu par la dictature militaire en Grèce visant à réaliser l’«Énosis» de Chypre avec la Grèce et la réaction de la Türkiye, qui occupait la partie nord de l’île avec ses troupes. Cette crise faisait suite au premier conflit, en 1963, à l’issue duquel l’ONU décidait de déployer une force chargée du maintien de la paix (UNFICYP), qui est encore présente sur l’île aujourd’hui. Les événements survenus en 1963-1964 et en juillet et août 1974 ont fait des milliers de victimes et poussé des centaines de milliers de Chypriotes turcs et de Chypriotes grecs à fuir leurs habitations, laissant tout derrière eux. Ces faits tragiques sont encore très présents dans les mémoires et ont profondément marqué la conscience collective des Chypriotes. L’une des traces les plus choquantes de ces événements est la ville fantôme de Varosha, zone de la ville de Famagouste clôturée et inhabitée depuis 50 ans.
2. L’Assemblée parlementaire rappelle que Chypre, qui faisait partie de l’Empire britannique, a été créée en 1960 en tant qu’État indépendant garantissant des droits égaux et une responsabilité égale à tous ses citoyens, tant Chypriotes grecs que Chypriotes turcs, et avec les garanties de la Grèce, de la Türkiye et du Royaume-Uni.
3. L’Assemblée déplore que, près de 50 ans plus tard, le problème chypriote ne soit toujours pas résolu et que l’île reste divisée. La persistance du conflit gelé nuit aux intérêts vitaux de tous les Chypriotes et risque de conduire à une escalade dangereuse, en plus d’être potentiellement déstabilisante pour la région de la Méditerranée orientale.
4. L’Assemblée renvoie à ses précédentes résolutions sur la question chypriote, en particulier la Résolution 1362 (2004), la Résolution 1376 (2004) et la Résolution 1628 (2008), et réaffirme son ferme engagement en faveur d’une solution équitable, durable et globale pour une Chypre pacifique et unie, qui garantirait les droits légitimes des Chypriotes grecs comme des Chypriotes turcs, dans le plein respect des valeurs et des principes du Conseil de l’Europe.
5. L’Assemblée soutient pleinement les efforts que le Secrétaire général des Nations Unies ne cesse de déployer pour relancer le processus politique en vue de parvenir à un règlement négocié de la question chypriote et salue la nomination de María Angela Holguin Cuéllar au poste d’Envoyée personnelle du Secrétaire général pour Chypre, afin de déterminer s’il existe un terrain d’entente entre les deux parties et espère que ses efforts pourront favoriser la réouverture des négociations entre les deux communautés chypriotes.
6. L’Assemblée appelle toutes les parties concernées à contribuer à la reprise rapide du processus politique et à s’abstenir de prendre toute mesure unilatérale ou de faire toute déclaration publique susceptible de le compromettre. À cet égard, elle estime que les déclarations des dirigeants de la Türkiye et de la communauté chypriote turque en faveur d’une «solution à deux États» pour Chypre, qui font dès lors la promotion d’une partition effective de l’île, ignorent et contredisent l’établissement d’une Chypre unie dans une fédération bizonale et bicommunautaire conformément aux paramètres déterminés d’un commun accord figurant dans les documents des Nations Unies sur le sujet.
7. De la même manière, l’Assemblée déplore les annonces faites par le Président de la Türkiye et les dispositions pratiques prises par le chef de la communauté chypriote turque depuis octobre 2020 en vue de rouvrir l’accès à la zone clôturée de Varosha. Elle considère l’ouverture progressive de la zone clôturée comme une modification inacceptable du statut de Varosha tel que défini par les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité des Nations Unies, donc comme une grave violation de ces résolutions, qui sape les chances de parvenir à un règlement global de la question chypriote.
8. Compte tenu de l’importance hautement symbolique de Varosha pour la communauté chypriote grecque, l’Assemblée estime que la restitution du lieu à ses habitants légitimes, soit dans le cadre de la mise en œuvre des Résolutions 550 et 789 du Conseil de sécurité des Nations Unies la plaçant sous le contrôle des Nations Unies, soit au titre d’un ensemble de mesures de confiance réciproque, contribuerait grandement à un règlement global.
9. L’Assemblée salue et se tient prête à soutenir toutes les initiatives visant à instaurer la confiance entre les communautés chypriote grecque et chypriote turque, telles que le dialogue direct et les projets concrets de coopération bicommunautaire au niveau des municipalités, des partis politiques, des chefs religieux, des universités, des organisations de la société civile, de la jeunesse, etc.
10. L’Assemblée félicite en particulier les deux municipalités de Famagouste/Gazimağusa d’avoir établi un dialogue constructif et tourné vers l’avenir et les encourage à élaborer des projets communs bicommunautaires visant à préparer Famagouste, y compris Varosha, à un avenir commun après la résolution ultérieure de la question chypriote. Elle demande aux dirigeants politiques des deux communautés de faciliter et de soutenir de tels projets.
11. Elle se félicite également du dialogue direct entre les représentants des partis politiques chypriotes grecs et chypriotes turcs sous les auspices de l’ambassade de la République slovaque et encourage toutes les forces politiques des deux parties à saisir activement cette occasion pour renforcer la compréhension mutuelle et dissiper la méfiance.
12. L’Assemblée note que la Cour européenne des droits de l’homme reconnaît la Commission des biens immobiliers (CBI) mise en place par la Türkiye dans le nord de Chypre à la suite de l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire Xenides-Arestis c. Turquie comme un recours interne effectif pour les réclamations relatives aux biens laissés par les Chypriotes grecs dans le nord de l’île lorsqu’ils ont fui vers le sud en 1974. Elle souligne cette possibilité offerte aux Chypriotes grecs qui le souhaitent de demander l’indemnisation, l’échange ou la restitution de leurs biens abandonnés en 1974.
13. Dans le même temps, l’Assemblée note que, dans la plupart des cas traités jusqu’à présent, la CBI s’est prononcée en faveur de l’indemnisation conformément aux demandes des requérants. De plus, elle note qu’à ce jour, aucune procédure concernant Varosha n’a encore abouti.
14. Par ailleurs, l’Assemblée comprend que, pour la plupart des Chypriotes grecs habitants légitimes de Varosha, le fait de s’adresser à la CBI et même d’obtenir par ce biais le droit de retourner dans leurs habitations, qui resteraient sous le contrôle de facto des autorités chypriotes turques, n’est politiquement ni acceptable ni réalisable.
15. L’Assemblée appelle toutes les parties concernées à reprendre de bonne foi le processus politique conduisant au règlement du problème chypriote sur la base d’une fédération bizonale bicommunautaire avec une personnalité juridique internationale unique, une souveraineté unique et une citoyenneté unique composée des deux États constitutifs politiquement égaux, comme indiqué dans les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité des Nations Unies, et dotés de pleins pouvoirs en matière de compétences assignées.
16. L’Assemblée invite instamment la Türkiye et les dirigeants de la communauté chypriote turque à abandonner leur position en faveur d’une solution à «deux États» pour Chypre et à s’engager à nouveau dans le processus politique visant un règlement global de la question chypriote sur la base de paramètres convenus au niveau international.
17. L’Assemblée invite par ailleurs instamment les dirigeants de la communauté chypriote turque à annuler toutes les mesures prises depuis octobre 2020 concernant Varosha, à s’abstenir de mener toute nouvelle action unilatérale en lien avec Varosha qui ne serait pas conforme aux résolutions pertinentes du Conseil de sécurité des Nations Unies et à mettre en œuvre en priorité les Résolutions 550 et 789 du Conseil de sécurité des Nations Unies en plaçant la zone clôturée de Varosha sous le contrôle des Nations Unies.
18. De plus, l’Assemblée appelle toutes les parties concernées à élaborer et à mettre en œuvre un ensemble de mesures de confiance réciproques visant à surmonter l’isolement et à promouvoir la coopération dans l’intérêt des deux communautés et la réunification de l’île.
19. L’Assemblée invite les dirigeants des deux communautés à reprendre leurs réunions et leur dialogue sur des questions pratiques dans l’intérêt de tous les Chypriotes et à s’engager à nouveau dans un processus politique sous les auspices et avec les bons offices du Secrétaire général de l’ONU.
20. L’Assemblée apprécie que des représentants de la communauté chypriote turque participent à ses débats et aux travaux de ses commissions et s’engage à donner plein effet à la Résolution 1376 (2004). Elle les encourage à profiter plus activement de cette occasion de contribuer au débat politique européen et à établir un dialogue constructif avec leurs homologues compatriotes chypriotes grecs en vue d’instaurer une confiance mutuelle et de préparer le terrain pour la reprise des négociations directes entre les deux communautés, sous les auspices des Nations Unies, dans le but de parvenir à une solution équitable, durable et globale qui rétablisse la paix et l’unité de Chypre.
21. L’Assemblée reconnaît le rôle joué par la Force des Nations Unies chargée du maintien de la paix à Chypre et rend hommage aux soldats et aux civils qui ont perdu la vie en service, pour assurer la paix et la sécurité aux Chypriotes.
22. L’Assemblée appelle la Grèce, la Türkiye et le Royaume-Uni, en tant que puissances garantes, ainsi que tous les membres du Conseil de sécurité des Nations Unies, à coopérer pour trouver une solution au problème chypriote conformément aux résolutions pertinentes du Conseil de sécurité des Nations Unies.
23. L’Assemblée réitère son attachement à une Chypre unie et décide de continuer, à travers les activités de ses commissions compétentes, à contribuer à l’établissement d’une solution au problème chypriote partagée à la fois par les Chypriotes grecs et par les Chypriotes turcs et conformément aux résolutions pertinentes du Conseil de sécurité des Nations Unies.

B. Rapport explicatif de M. Piero Fassino, rapporteur

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1. Introduction

1.1. Origine du rapport et procédure

1. La proposition de résolution intitulée «Appel à la restitution de Famagouste à ses habitants légitimes» 
			(2) 
			Doc. 15333; le rapporteur a proposé de modifier le titre du rapport;
le titre de la proposition de résolution originale était: «Appel
à la restitution de Famagouste à ses habitants légitimes»., déposée par M. Geraint Davies et d’autres membres de l’Assemblée le 25 juin 2021, faisait suite aux annonces faites par le Président de la Türkiye et le dirigeant chypriote turc et aux dispositions pratiques prises en octobre 2020 pour rouvrir l’accès à la zone clôturée de Famagouste (Varosha).
2. La proposition rappelle que la zone de Varosha avait été bouclée lors de l’invasion turque de 1974 à Chypre et que, depuis, elle reste inhabitée, sous le contrôle direct de l’armée turque. Elle suggère que l’Assemblée parlementaire se joigne au Parlement européen, qui a condamné les activités illégales de la Türkiye à Varosha et qui a averti que l’«ouverture» partielle de la ville saperait la perspective d’une résolution du problème, en exacerbant les divisions et en ancrant la partition permanente de l’île.
3. En outre, il est indiqué dans la proposition que l’Assemblée devrait: appeler la Türkiye à se conformer aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies et à restituer Famagouste à ses habitants légitimes; réaffirmer le droit souverain de la République de Chypre d’exploiter ses ressources naturelles au profit de tous les Chypriotes; et exhorter les États membres du Conseil de l’Europe à faire pression sur la Türkiye pour qu’elle coopère et s’abstienne de prendre des mesures incompatibles avec le droit international et les résolutions des Nations Unies sur cette question.
4. J’ai été désigné rapporteur lors de la réunion de la commission des questions politiques et de la démocratie, le 28 septembre 2021. Le 4 novembre 2021, la commission m’a autorisé à effectuer une visite d’information à Chypre. Celle-ci s’est déroulée du 6 au 8 juin 2022, et j’ai eu l’occasion de m’entretenir avec les hauts responsables de la République de Chypre et de la Communauté chypriote turque, ainsi qu’avec différents représentants des partis politiques et de la société civile des deux côtés de la «ligne verte», des Nations Unies et de l’Union européenne. Je me suis rendu dans la ville de Famagouste, y compris dans une partie de la zone clôturée de Varosha
5. Le travail sur le rapport a ensuite pris quelques retards en raison des cycles électoraux respectivement à Chypre, en Grèce et en Türkiye.
6. Une fois ces échéances passées, je me suis également rendu à Athènes le 29 novembre 2023 et à Ankara le 15 février 2024 pour des entretiens avec des représentants des gouvernements et des partis parlementaires de la Grèce et de la Türkiye. De plus, j’ai rencontré, en marge de la session de janvier 2024 de l’Assemblée, le Président de la République de Chypre, M. Nikos Christodoulides.
7. J’ai effectué une deuxième visite d’information à Chypre les 14-16 mai 2024. Cela a été l’occasion de m’entretenir à nouveau avec le Président Christodoulides et le dirigeant chypriote turc M. Tatar, ainsi qu’avec d’autres interlocuteurs des deux côtés de la «ligne verte», et de revoir la situation sur le terrain à Varosha.
8. Je tiens à remercier très cordialement tous mes interlocuteurs à Chypre, à Athènes et à Ankara pour l’accueil qui m’a été réservé et la franchise des échanges sur ce dossier épineux qui ont très souvent dépassé le cadre formel de ma mission.

1.2. Portée et objectif du rapport

9. La proposition de résolution à l’origine du rapport est assez concrète et m’invite à me concentrer sur le cas spécifique de Famagouste (Varosha) et son retour à ses habitants légitimes. Il est vrai que la zone de Varosha, à Famagouste, constitue un cas assez unique dans le cadre du droit international comme cela est mis en exergue dans plusieurs résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies. En même temps, il est indéniable que le cas de Varosha fait partie d’un problème plus global, à savoir le règlement de la question de Chypre. Il est difficile d’aborder le cas de Varosha en ignorant complètement ce contexte.
10. Par ailleurs, cette difficulté s’est confirmée dans mes contacts avec les parties impliquées en ce qui concerne la portée du rapport. Ainsi, la partie chypriote grecque et des représentants de la Grèce m’ont suggéré de traiter uniquement de Varosha sans entrer dans tous les détails de la question de règlement global du problème chypriote. En revanche, la partie chypriote turque et des représentants de la Türkiye m’ont présenté des arguments d’ordre historique et juridique qui, à leur avis, ne permettent pas d’isoler Varosha du contexte global du problème de Chypre.
11. Compte tenu de cette ambiguïté, mon objectif est d’informer l’Assemblée sur la nature du problème de Varosha dans le contexte plus large du processus de règlement global du problème chypriote, de présenter les positions des parties impliquées (qui semblent diamétralement opposées), d’envisager les possibilités de les voir se rapprocher, et plus globalement, d’envisager les voies et moyens pour l’Assemblée et le Conseil de l‘Europe de contribuer au processus politique mené par les Nations Unies.

2. Contexte

2.1. Contexte historique du conflit chypriote (1960-1974)

12. La République de Chypre a accédé à l’indépendance en tant qu’État souverain en 1960. Sa population était composée, du point de vue de l’origine ethnique, d’environ 77 % de Chypriotes grecs et 18 % de Chypriotes turcs. Dans les années qui ont précédé l’indépendance, le mouvement politique en faveur de l’«Énosis», c'est-à-dire l’unification avec la Grèce, bénéficiait d’un soutien considérable parmi les Chypriotes grecs. La plupart des Chypriotes turcs étaient opposés à l’«Énosis» et beaucoup soutenaient le «Taksim», c'est-à-dire la partition de l’île.
13. La Türkiye, la Grèce et le Royaume-Uni ont conclu un Traité de garantie (1960) et un Traité d’alliance (1960), en vue d’assurer l’indépendance, l’intégrité territoriale et la sécurité de la République de Chypre et de prévenir son unification avec tout autre État ou la partition de l’île.
14. À la suite des affrontements intercommunautaires des années 1960, le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté la Résolution 186 (1964), qui établissait une Force des Nations Unies chargée du maintien de la paix à Chypre pour prévenir la reprise des affrontements.
15. En 1967, une junte militaire a pris le pouvoir en Grèce. Le 15 juillet 1974, la junte militaire grecque et une faction de la Garde nationale de Chypre ont fomenté un coup d’État à Chypre contre le gouvernement légitime de l’Archevêque Makarios pour tenter d’accomplir l’«Énosis». En réaction, le 20 juillet 1974, l’armée turque a envahi le nord de Chypre. La Türkiye invoquait alors le droit d’intervenir, en tant que garante du statu quo dans l’île, pour empêcher l’unification avec la Grèce.
16. Le 23 juillet 1974, la junte militaire au pouvoir en Grèce et le gouvernement militaire de facto de Chypre mis en place 8 jours auparavant se sont simultanément effondrés.
17. Le 14 août 1974, en violation du cessez-le-feu convenu par l'armée turque, la deuxième phase de l’invasion de l’armée turque a commencé, aboutissant à l’occupation de 37 % du territoire de l’île et au déplacement interne de plus de 200 000 personnes. La majorité d’entre elles étaient des Chypriotes grecs ayant trouvé refuge dans le sud de l’île pour fuir l’invasion turque. À la suite de l’accord de cessez-le-feu (16 août 1974), la zone tampon de l’ONU a été étendue pour tenir compte de la nouvelle ligne de cessez-le-feu, ce qui a provoqué la partition effective de l’île le long de la «ligne verte». Presque 50 ans plus tard, l’île de Chypre est toujours divisée et sous occupation turque.

2.2. Famagouste/Varosha

18. Famagouste est l’exemple de site abandonné par sa population grecque suite à l’invasion. Avant 1974, Famagouste était une ville très dynamique, et notamment la principale destination touristique de l’île, réputée pour son histoire, son architecture médiévale et ses plages de sable, qui attirait une clientèle internationale. Selon la municipalité de Famagouste, la population de la ville comptait, en 1974, 43 000 Chypriotes grecs et 5 000 Chypriotes turcs.
19. Varosha (Maraş en turc) est une partie de la ville de Famagouste qui s’étend sur plusieurs kilomètres le long des plages et compte plus de 6 000 maisons et terrains, dont des dizaines d’hôtels de luxe.
20. Au cours de l’intervention turque d’août 1974 où la ville de Famagouste a été bombardée et occupée par l’armée turque, sa population chypriote grecque a fui en abandonnant tout derrière elle. L’armée turque a clôturé une partie de Varosha et l’a déclarée zone militaire interdite d’accès. Elle est restée ainsi dans cet état pendant plus de 45 ans. Le site fermé est situé à proximité immédiate de la zone tampon de l’ONU.
21. Conformément aux résolutions pertinentes du Conseil de sécurité des Nations Unies, la communauté internationale (à l’exception de la Türkiye) considère que Varosha est occupée illégalement et a systématiquement appelé au retrait des installations militaires turques et chypriotes turques dans la ville fermée. En ce qui concerne l’occupation de Varosha, il est régulièrement fait référence à des résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies, notamment aux suivantes:
  • la Résolution 550 (1984) 
			(3) 
			<a href='https://digitallibrary.un.org/record/67600?ln=en'>Résolution
550 (1984)</a>., aux termes de laquelle le Conseil de sécurité «considère inadmissibles les tentatives d’installation, dans une partie quelconque de Varosha, de personnes autres que les habitants de ce secteur et demande que ledit secteur soit placé sous l’administration de l’Organisation des Nations Unies;»
  • la Résolution 789 (1992) 
			(4) 
			<a href='https://digitallibrary.un.org/record/154294?ln=en'>Résolution
789 (1992)</a>., dans laquelle il demande que Varosha soit placée sous le contrôle direct de la Force des Nations Unies chargée du maintien de la paix à Chypre.
22. L’appel à la restitution de Varosha à ses habitants légitimes concerne donc les Chypriotes grecs qui habitaient dans la ville ou y possédaient des biens. La communauté chypriote grecque qui a été contrainte à partir en 1974 s’est vu refuser, dans une large mesure, l’accès aux habitations et aux terrains dont elle est légalement propriétaire. De nombreux Chypriotes grecs ont saisi la justice pour tenter de récupérer leurs biens. Entre 1974 et 2020, la zone clôturée a été entièrement fermée et est devenue «ville fantôme». Son statut unique de ville sans habitants civils était source d’espoir pour les Chypriotes grecs qui souhaitaient y retourner.

3. Efforts visant à parvenir à un règlement politique du conflit chypriote (2004-2020)

3.1. Plan Annan (2004)

23. Le plan de réunification de Chypre élaboré sous les auspices de l’ancien Secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, a été la tentative la plus complète qui ait été initiée pour régler la question chypriote. Il visait à résoudre la question chypriote en réunifiant Chypre en une «République unie de Chypre»: cette «République» comprenait un État constituant chypriote grec et un État chypriote turc, sous un gouvernement fédéral central. La «République Unie de Chypre» devait être un État fédéral bicommunautaire et bizonal composé d’États constitutifs politiquement égaux, mais avec «une souveraineté unique, une personnalité internationale unique et une citoyenneté unique».
24. Le plan Annan était largement soutenu par la communauté internationale, qui le considérait comme une occasion historique de parvenir à un accord de paix et de régler la question du statut de Chypre. Le plan a aussi été porté par une dynamique politique favorable, créée en partie par les négociations d’adhésion de la Türkiye à l’Union européenne. Mettre fin à l’occupation turque sur plus d’un tiers du territoire de Chypre et trouver une solution à la question chypriote, dans le cadre de l’ONU, était considéré crucial pour la poursuite de l’intégration politique de la Türkiye avec l’Europe.
25. En avril 2004, le plan Annan a fait l’objet de référendums simultanés dans la communauté chypriote grecque et dans la communauté chypriote turque. La Communauté chypriote grecque a rejeté la proposition à une large majorité lors du référendum, essentiellement à cause des préoccupations de sécurité: il y a eu 76 % de voix contre le plan Annan. En revanche, la Communauté chypriote turque a voté à 65 % pour le plan Annan.
26. Dans sa Résolution 1376 (2004), l’Assemblée s’est déclarée «profondément déçue par l’échec, à la suite d’un rejet massif par la communauté chypriote grecque, des efforts de la communauté internationale visant à mettre fin à la division de Chypre», mais elle s’est aussi engagée à aider la communauté chypriote turque à concrétiser ses aspirations européennes et a appelé à mettre fin à l’isolement politique de la partie nord.

3.2. Développements politiques (2008-2014)

27. De nouvelles négociations ont eu lieu en mars 2008 sous l’égide de l’ONU. En réponse à cette initiative, l’Assemblée a adopté la Résolution 1628 (2008), dans laquelle elle se félicitait de la reprise des pourparlers sur la réunification. La résolution contient le passage suivant:
L’Assemblée a bon espoir que, malgré de profondes différences entre les parties sur un certain nombre de questions essentielles qui feront l’objet de négociations, et en dépit des compromis difficiles auxquels il faudra parvenir en garantissant l’adhésion de l’opinion publique à ces derniers, la situation actuelle offre la meilleure occasion qui se soit présentée depuis des années d’aboutir à un règlement. Le Président Christofias et M. Talat sont conscients qu’ils ne peuvent se permettre d’échouer. Tous les acteurs internes et externes concernés se doivent de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour optimiser les chances de succès de ce processus.
28. L’ancien rapporteur, Joachim Hörster, notait dans son rapport d’information intitulé «La situation à Chypre» (2014) que ces attentes s’étaient révélées «trop optimistes» 
			(5) 
			Doc. 13501.. Les pourparlers engagés en 2008 se sont soldés par un échec en 2012 et les négociations en vue d’un règlement sont retombées au point mort.

3.3. Déclaration conjointe (2014)

29. En février 2014, les dirigeants chypriotes grec et turc ont publié une déclaration conjointe qui précisait davantage le cadre de négociations déjà convenu par l'ONU, appelant à un règlement négocié sur la base d'une fédération bicommunautaire et bizonale. Entre autres, la déclaration conjointe réaffirmait que:
  • le règlement serait basé sur une fédération bicommunautaire et bizonale avec égalité politique, comme indiqué dans les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité et les accords de haut niveau;
  • une Chypre unie, en tant que membre des Nations Unies et de l'Union européenne, aurait une personnalité juridique internationale unique et une souveraineté unique, définie comme la souveraineté dont jouissent tous les États membres de l'ONU en vertu de la Charte des Nations Unies et qui émane à parts égales des Chypriotes grecs et des Chypriotes turcs;
  • il y aurait une seule citoyenneté d’une Chypre unie, régie par la loi fédérale.
30. La déclaration conjointe 
			(6) 
			Aussi appelée «déclaration
commune». a été considérée comme un pas en avant par une grande partie de la communauté internationale, y compris par la Grèce et la Türkiye. L’Union européenne a salué la reprise des négociations et a réaffirmé qu’elle était favorable à un plan de paix fondé sur des principes reconnus au niveau international.
31. La découverte de ressources en hydrocarbures près de Chypre en 2014 a ajouté un nouvel élément aux enjeux géopolitiques dans la région de la Méditerranée orientale. La République de Chypre a autorisé des multinationales à mener des opérations d’exploration et d’exploitation dans sa zone économique exclusive (ZEE). Cette décision a été condamnée par la Türkiye, qui a riposté en envoyant un navire de guerre surveiller les activités de recherche d’hydrocarbures en cours dans la ZEE de Chypre. Le Président Anastasiadis a déclaré que la remise en question de tout développement offshore pourrait entraîner la fin des pourparlers de paix. En octobre 2014, le Président Anastasiadis a rompu les pourparlers en refusant de participer à la suite des négociations à cause des activités illégales turques dans la ZEE de Chypre.

3.4. Changement de position de la Türkiye: «Solution à deux États» (2014)

32. L’élection de Recep Tayyip Erdoğan, devenu Président de la République de Türkiye en 2014, a été un événement déterminant pour le processus politique sur la question de Chypre.
33. Le Président Erdoğan a appelé les deux parties à travailler à la mise en place d’un nouveau partenariat fondé sur une solution à deux États, qu’il considérait comme le seul moyen d’avancer 
			(7) 
			<a href='https://www.dailysabah.com/politics/2014/09/03/president-erdogan-insists-on-twostate-solution-during-cyprus-visit'>www.dailysabah.com/politics/2014/09/03/president-erdogan-insists-on-twostate-solution-during-cyprus-visit</a>.. Une solution à deux États pérenniserait la partition de l’île en légitimant l’indépendance de la partie nord de Chypre. Depuis l’élection de M. Erdoğan, les responsables turcs s’attachent de plus en plus à promouvoir la solution à deux États.

3.5. Développements politiques (2015-2017)

34. En avril 2015, la communauté chypriote turque a élu un nouveau dirigeant, M. Mustafa Akıncı. Ce dernier a cherché à s’affranchir de l’indépendance par rapport à la Türkiye et a été largement considéré comme favorable à la réunification de l’île.
35. Les dirigeants chypriotes grec et turc se sont engagés dans une série de mesures de confiance préalables à de nouveaux pourparlers de paix.
36. En juin 2017, le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a annoncé un «cadre en six points» inspiré des modèles de réunification précédents. Les pourparlers de paix menés sous l’égide de l’ONU à Crans-Montana se sont soldés par un échec en 2017 car les deux parties n’ont pas réussi à faire converger leurs points de vue sur les questions essentielles.

3.6. Tentative de l’ONU de faire reprendre les pourparlers (2018-2020)

37. En juin 2018, le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a tenté de faire redémarrer le processus de paix en nommant une nouvelle conseillère spéciale sur Chypre, Mme Jane Holl Lute, une diplomate américaine. En janvier 2019, Mme Lute constatait une divergence globale entre les deux parties. En janvier 2020, les consultations étaient de nouveau au point mort 
			(8) 
			<a href='https://www.crisisgroup.org/crisiswatch/february-alerts-and-january-trends-2020'>Crisis
Group February alerts and January trends 2020 (Cyprus)</a>..
38. Le 18 octobre 2020, M. Ersin Tatar était élu à la tête de la communauté chypriote turque.

4. Réouverture de Varosha (2020-) et réactions internationales

39. La réouverture de Varosha au public a été annoncée au cours d’une visite de M. Tatar au Président Erdoğan, le 6 octobre 2020. Le 9 octobre, des visiteurs civils ont été autorisés à entrer à Varosha.
40. Le Conseil de sécurité des Nations Unies s’est déclaré «profondément préoccupé par l’annonce faite à Ankara, le 6 octobre, de l’ouverture de la côte de Varosha» et a demandé «que l’on revienne sur cette mesure et que l’on évite toute action unilatérale qui pourrait accroître les tensions sur l’île» 
			(9) 
			<a href='https://undocs.org/fr/s/prst/2020/9'>Déclaration
du Président du Conseil de sécurité</a>..
41. Le 13 octobre 2020, la délégation chypriote à l’Assemblée a adressé une lettre à la présidente de la commission des questions politiques et de la démocratie, Dame Cheryl Gillan, pour l’avertir des derniers développements relatifs à Famagouste. Dans sa lettre, la délégation regrettait l’«ouverture» unilatérale et demandait à la commission d’examiner la question. À la suite d’un débat tenu le 15 octobre 2020 au sein de la commission, Dame Cheryl Gillan a publié une déclaration dans laquelle elle appelait à la reprise des négociations en conformité avec les résolutions de l’ONU. Elle précisait que la décision unilatérale d’ouvrir les parties fermées de Varosha était manifestement contraire aux dispositions des résolutions internationales sur la question de Chypre.
42. Le 15 novembre 2020, Josep Borrell, Haut Représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, a diffusé une déclaration dans laquelle il réaffirmait que l’Union est attachée à un règlement fondé sur le principe, accepté au niveau international, d’une fédération bizonale et bicommunautaire et d’une égalité politique 
			(10) 
			<a href='https://eeas.europa.eu/headquarters/headquarters-homepage/89067/node/89067_fr'>Varosha:
déclaration du haut représentant, Josep Borrell</a>, 15 novembre 2020..
43. Du 27 au 29 avril 2021, les dirigeants chypriotes grec et turc ont participé à une réunion informelle «5+1» à l'ONU à Genève sous les auspices du Secrétaire général de l'ONU, visant à relancer les pourparlers selon le «Cadre en six points» introduit en 2017. Lors de cette réunion, la Türkiye et le dirigeant chypriote turc auraient rejeté l’ensemble du cadre de négociation de l’ONU visant à un règlement fédéral bicommunautaire et bizonal à Chypre. Au lieu de cela, ils ont exigé la reconnaissance de «l’égalité souveraine» et du «statut politique international égal» pour les Chypriotes turcs, comme condition de la reprise des négociations pour une «solution à deux États». Chypre et la Grèce, qui ont également participé à la réunion de Genève, aux côtés du Royaume-Uni, ont réitéré que le seul cadre acceptable pour les négociations était celui des résolutions pertinentes du Conseil de sécurité de l'ONU, tout en appelant également à un rôle actif de l'Union européenne à toutes les étapes du processus de négociation dirigé par l’ONU. Mme Lute a démissionné de son poste d'envoyée de l'ONU. Le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a déclaré qu'il poursuivrait ses efforts pour la reprise des négociations.
44. Le 20 juillet 2021, le Président de la République de Türkiye et le dirigeant de la communauté chypriote turque ont, dans une annonce conjointe, présenté de nouveaux projets visant à poursuivre la réouverture de Varosha à la population de la partie nord de l’île 
			(11) 
			<a href='https://www.al-monitor.com/originals/2021/07/erdogan-tatar-announce-controversial-plan-further-reopen-cypriot-ghost-town'>«Erdogan,
Tatar announce controversial plan to further reopen Cyrpiot ghost-town</a>», Al-Monitor,
20 juillet 2021..
45. Le 23 juillet 2021, le Président du Conseil de sécurité des Nations Unies a fait une déclaration pour condamner l’annonce conjointe. Dans cette déclaration, le Conseil de sécurité demandait que l’on revienne immédiatement sur les mesures prises et répétait que toute tentative d’installation à Varosha de personnes autres que ses habitants légitimes restait «inadmissible» 
			(12) 
			<a href='https://undocs.org/fr/S/PRST/2021/13'>Déclaration du
Président du Conseil de sécurité</a>, 23 juillet 2021..
46. L’annonce faite par le Président turc et par le dirigeant chypriote turc a aussi provoqué une réaction de la part de la Secrétaire Générale du Conseil de l'Europe, Marija Pejčinović Burić (le 28 juillet 2021). Dans une déclaration, la Secrétaire Générale a jugé la réouverture unilatérale très préoccupante et a répété que le Conseil de l'Europe soutenait les efforts déployés sous l’égide de l’ONU pour faire avancer les discussions sur un règlement de la question chypriote. Elle a notamment souligné que les droits humains de tous les Chypriotes devaient être pleinement respectés sur la base des résolutions pertinentes de l’ONU et conformément aux garanties prévues par la Convention européenne des droits de l'homme (STE n° 5).
47. Le 29 juillet 2021, le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté la Résolution 2587 (2021) en réponse aux faits nouveaux et a rappelé, entre autres, le statut de Varosha tel que défini par les résolutions pertinentes des Nations Unies. Cette résolution réaffirmait le rôle de premier plan revenant à l’ONU pour ce qui est d’aider les parties à parvenir à un règlement global et durable.
48. Lorsqu’il s’est adressé à l’Assemblée générale des Nations Unies en septembre 2021, le Président Erdoğan a fait la déclaration suivante au sujet de Chypre 
			(13) 
			<a href='https://www.tccb.gov.tr/assets/dosya/2021/2021-09-21-bm.pdf'>Address
to the 76th session of the United Nations General Assembly</a>, 21 septembre 2021. (traduction non officielle):
Il n’est possible de trouver une solution juste et durable à la question de Chypre que si l’on adopte une approche réaliste et axée sur les résultats.
Le dirigeant de l’une des communautés de l’île, que les Nations Unies considèrent comme égales, peut s’adresser à vous, tandis que l’autre dirigeant ne peut pas faire entendre sa voix à cette tribune, ce qui est injuste.
Pour parvenir à une solution, il est nécessaire de réaffirmer l’égalité souveraine et l’égal statut international des Chypriotes turcs, qui sont copropriétaires de l’île.
Nous soutenons la nouvelle vision proposée par les Chypriotes turcs dans la perspective d’une solution.
J’appelle la communauté internationale à évaluer la proposition des Chypriotes turcs avec un esprit ouvert et sans préjugés.
49. Le 27 septembre 2021, le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a invité les dirigeants des deux communautés chypriotes à participer à une réunion à New York. Dans des commentaires publics faits après la réunion, le Président Anastasiadis et le ministre chypriote des Affaires étrangères, Nikos Christodoulides, ont déclaré espérer la reprise du processus de négociation d’un règlement, sous l’égide de l’ONU 
			(14) 
			<a href='https://www.usnews.com/news/world/articles/2021-09-27/with-lunch-invite-un-chief-tries-to-restart-cyprus-talks'>«With
Lunch Invite, UN Chief Tries to Restart Cyprus Talks</a>», Associated Press,
27 septembre 2021., tandis que M. Tatar a de nouveau plaidé pour une solution à deux États 
			(15) 
			<a href='https://www.aa.com.tr/en/turkey/turkish-cypriot-leader-discusses-trnc-s-position-on-cyprus-with-un-chief/2377556'>«Turkish
Cypriot leader discusses TRNC’s position on Cyprus with UN chief</a>», 29 septembre 2021..
50. Depuis la réunion informelle d'avril 2021 à Genève, la Türkiye et le dirigeant chypriote turc ont insisté à plusieurs reprises sur une «solution à deux États» en dehors du cadre de l'ONU et, selon la partie chypriote grecque, ont tenté d'imposer de nouveaux faits accomplis à Varosha et dans la zone tampon.
51. Le 19 mai 2022, il a été annoncé que les travaux d'ouverture de deux fronts de mer supplémentaires de la plage de Varosha étaient en cours. La partie chypriote turque a publié un communiqué le 21 mai 2022, affirmant que la zone clôturée fait partie de son «territoire», sous la «juridiction» exclusive du «gouvernement de la RTCN». En contradiction avec les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité de l'ONU, l'annonce a souligné que la partie chypriote turque ne demanderait l'autorisation d'aucune autre autorité, en particulier pas de la partie chypriote grecque, concernant les activités à venir à Varosha.
52. Selon les déclarations faites par le dirigeant chypriote turc en octobre 2022, la partie chypriote turque a entamé les préparatifs dans le centre de Varosha pour l'ouverture des bâtiments de l'Autorité chypriote de l'électricité (AHK), de l'Autorité chypriote des télécommunications (ATHK/CYTA) et une «épicerie», tout en annonçant également qu'une partie du quartier Varosha d'«Agios Memnon» allait être remise à l'usage public.
53. L’adoption de la Résolution 2674 (2023) du Conseil de sécurité des Nations Unies le 30 janvier 2023, qui, au paragraphe 3, souligne que «toute nouvelle action unilatérale pourrait entraîner une réponse de la part du Conseil de sécurité» constitute une étape importante. Cette position a été réitérée dans la Résolution 2723 (2024).
54. Le 5 janvier 2024, le Secrétaire général de l'ONU, António Guterres, a annoncé la nomination de María Angela Holguín Cuéllar, ancienne ministre des Affaires étrangères de Colombie, au poste d'envoyée personnelle à Chypre, et l'a chargée d'assumer un rôle de bons offices en son nom pour rechercher des solutions communes sur la voie à suivre et de le conseiller sur la question chypriote.

5. Résumé des visites et positions des parties

5.1. Visites sur place (juin 2022 et mai 2024)

55. Comme indiqué auparavant, en octobre 2020, la Türkiye et le dirigeant chypriote turc ont annoncé l’ouverture d’une partie de la zone fermée de Varosha. Le statut de zone militaire a été révoqué pour cette partie et l’accès autorisé, y compris pour les touristes.
56. Au cours de ma première visite d’information à Chypre en juin 2022, j’ai pu me rendre sur la partie de Varosha ouverte au public. J’ai pu constater que les autorités chypriotes turques ont remis en état l’asphalte sur une petite partie des rues de la zone, et aménagé deux parties de plage, avec l’installation de chaises longues et parasols, et de quelques petits commerces. Des travaux de réfection étaient en cours sur quelques bâtiments municipaux, ainsi que sur un édifice appartenant à une fondation musulmane. Néanmoins, la totalité des maisons privées reste dans un état de délabrement total, ruinées par la guerre, le temps et la nature, et totalement inhabitables. C’est vraiment un paysage de désolation difficile à voir. J’ai également pu observer une quantité assez importante de touristes se déplaçant à l’intérieur de la zone.
57. Lors de ma deuxième visite à Varosha en mai 2024, nous avons été conduits au-delà de la zone ouverte au public, plus au sud de la partie visitée en 2022. J’ai constaté qu’il n’y avait pas de travaux en cours, ni sur les routes ni sur les bâtiments privés et les hôtels situés dans cette zone; nous avons également constaté que les édifices hôteliers étaient sous le contrôle permanent des vigiles, et les portes d’entrée mises sous scellés. Selon les informations qui nous ont été fournies, les équipes des forces des Nations Unies à Chypre vérifient ces scellés chaque semaine. Il y avait également de nombreux touristes en visite dans la zone ouverte de Varosha, en groupe et individuels.
58. Il faut dire que les anciens habitants chypriotes grecs de la ville refusent d’abandonner l’espoir de retrouver un jour leurs maisons et terrains. Ils sont regroupés autour d’une «municipalité en exil» et votent régulièrement pour élire leur maire et le conseil municipal que j’ai pu rencontrer à la veille de la visite à Varosha. Selon leurs informations, quelque 35 000 personnes participent à cette élection, y compris, de plus en plus, les descendants de ceux qui ont dû fuir en 1974. C’est à ces personnes que le titre de mon rapport fait référence. Car au-delà du problème politique de fond, c’est-à-dire la division de Chypre que la communauté internationale cherche en vain à résoudre depuis bientôt 50 ans, il y a également, en termes pratiques, les problèmes personnels des Chypriotes chassés de leurs maisons et incapables de jouir de l’usage de leurs propriétés.
59. En avril 2024, j’ai rencontré le Maire en exil de la municipalité de Famagouste, M. Simos Ioannou, en marge de la session de l’Assemblée à Strasbourg. Suite à cette rencontre, j’ai décidé d’organiser, lors de ma visite à Chypre en mai 2024, une réunion jointe en présence de M. Ioannou et de M. Süleyman Uluçay, Maire de la municipalite chypriote turque de Gazimağusa (nom turc de Famagouste). Cette réunion a eu lieu le 15 mai 2024 sous les auspices de l’Ambassade italienne à Nicosie et a été très productive. Messieurs Ioannou et Uluçay ont discuté des projets communs à mettre en œuvre, par exemple pour faire une étude de faisabilité concernant la rénovation des infrastructures de Varosha en attendant une éventuelle réunification de la ville. J’appelle les autorités politiques des deux communautés chypriotes à soutenir et encourager de tels projets qui favorisent la confiance mutuelle et servent à faire avancer la cause de la réunification de Chypre.
60. La Cour européenne des droits de l’homme a été saisie par plusieurs Chypriotes et a condamné à plusieurs reprises la Türkiye pour violation, entre autres, de l’Article 1 du Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme (STE n° 9) relatif à la propriété privée.
61. Depuis, suite notamment à l’arrêt de la Cour dans l’affaire Xenides-Arestis c. Turquie, les autorités turques ont mis en place, dans la partie nord de Chypre, la Commission des biens immobiliers (CBI) comme un recours interne pour les réclamations relatives à des propriétés abandonnées dans le nord de Chypre. La CBI est censée examiner les demandes de restitution, d'indemnisation et/ou d'échange au titre des propriétés appartenant aux Chypriotes grecs et situés dans l’ensemble de la partie nord de l’île.
62. D’après les informations qui m’ont été fournies par sa Présidente en juin 2022, la CBI avait reçu à cette date plus de 7 120 demandes dont quelque 460 cas relatifs à Varosha. Quelques 1 370 cas étaient clos dont la plupart via un accord à l’amiable avec paiement d’une indemnisation.
63. Selon les informations qui m’ont été communiquées au cours de ma deuxième visite et disponibles sur le site de la CBI 
			(16) 
			<a href='https://tamk.gov.ct.tr/en-us/'>https://tamk.gov.ct.tr/en-us/.</a>, au 13 mai 2024, 7 591 demandes avaient été déposées auprès de la CBI et 1 766 d'entre elles avaient été conclues. La CBI a alloué 444 884 746 GBP aux requérants à titre de compensation. En outre, elle a statué sur l'échange et l'indemnisation dans 2 cas, sur la restitution dans 5 cas et sur la restitution et l'indemnisation dans 8 cas. Dans un cas, elle a rendu une décision de restitution après le règlement de la question chypriote, et dans un cas, elle a statué sur une restitution partielle. Il est à noter que 513 cas concernent Varosha, dont 41 relatifs aux propriétés situées dans la zone ouverte. Cependant, aucun cas de Varosha n’a été conclu à ce jour.
64. La grande majorité de Chypriotes grecs semblent réticents à recourir à ce mécanisme – bien qu’il soit reconnu par la Cour européenne des droits de l’homme – car ils y voient là, une reconnaissance de l’autorité chypriote turque sur les parties occupées de Chypre. Ils estiment que seule la solution politique, globale ou partielle, du problème de Chypre peut leur donner satisfaction, et créer les conditions pour le retour dans les villes et villages qu’ils ont dû abandonner en 1974, y compris à Famagouste/Varosha.
65. Cependant, le temps qui passe éloigne de plus en plus la perspective d’un règlement négocié, et ne fait que cimenter la partition de facto de Chypre. C’est pourquoi j’ai beaucoup insisté, auprès de mes interlocuteurs de part et d’autre de la «ligne verte», sur la nécessité absolue d’intensifier le processus politique et, en même temps, de chercher à construire des liens de confiance entre les deux communautés.

5.2. Position chypriote grecque

66. Tout au long de mes entretiens avec les autorités et représentants politiques chypriotes grecs, tous mes interlocuteurs ont fait valoir leur ferme attachement à voir le problème de Varosha réglé en conformité avec les résolutions pertinentes des Nations Unies sur ce sujet, notamment les résolutions 550 (1984) et 789 (1992) du Conseil de sécurité. En même temps, ils ont exprimé la crainte que le refus de leurs compatriotes chypriotes turcs et de la Türkiye de mettre en œuvre ces résolutions de base, ainsi que la tactique de «faits accomplis» sur le terrain, tels que l’ouverture de la zone clôturée de Varosha, ne soient des démarches pour accélérer la partition définitive de l’île – ce qui est, il faut le reconnaitre, l’objectif déclaré de la Türkiye et du dirigeant chypriote turc, M. Ersin Tatar avec le concept de «deux États».
67. La mise en œuvre des résolutions 550 et 789 et le placement de Varosha sous l’administration des Nations Unies pourrait, selon la partie chypriote grecque, jouer le rôle de «game changer» capable de déclencher une dynamique positive dans le processus politique de règlement global sur Chypre. Plusieurs propositions de mesure de confiance ont été avancées de leur côté à cet effet.
68. En revanche, la poursuite de la tactique de «faits accomplis» à Varosha risque d’anéantir toutes les chances d’une solution négociée sur Chypre.
69. Par souci de précision, je citerai ci-après l’extrait d’une lettre relative à la question de propriété à Varosha qui m’a été adressée par M. Nicos Tornaritis, président de la délégation de Chypre à l’Assemblée, le 5 mai 2023:
Je voudrais exprimer ma préoccupation face aux récentes déclarations de représentants du régime d'occupation illégale de Chypre concernant la prétendue vente de propriétés chypriotes grecques à Famagouste, affirmant qu'après les travaux de rénovation nécessaires, celles-ci seront opérationnelles et ouvertes aux réservations touristiques d'ici 2025.
Comme vous le savez déjà, la «ville fantôme» de Famagouste reste inhabitée depuis l’invasion turque de Chypre en 1974. Les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité de l'ONU considèrent comme inadmissibles les tentatives de colonisation d'une partie quelconque de Varosha par des personnes autres que ses habitants et appellent au transfert de la zone sous administration de l'ONU. Cependant, jusqu’à présent, la Türkiye viole le droit international, défiant les appels répétés de la communauté internationale à respecter ses obligations juridiques internationales. Au lieu de cela, la Türkiye, à travers son régime subordonné illégal dans les territoires occupés, procède désormais à l’ouverture progressive de la zone côtière au tourisme et aux investissements étrangers. En fait, la Türkiye profite de la «Commission des biens immobiliers» (CBI) pour usurper les propriétés chypriotes grecques à Famagouste et ailleurs, conformément à ses revendications expansionnistes et partitionnistes. Cependant, l'efficacité de l’«CBI» est contestée pour plusieurs motifs, notamment la nature du recours qu'elle offre, son manque d'indépendance et d'impartialité et l'insuffisance des niveaux d'indemnisation offerts par rapport à la valeur marchande des propriétés.
La communauté internationale ne peut rester inactive face à ces évolutions, car la question immobilière constitue un aspect crucial du problème chypriote. Les tentatives de la Türkiye visant à créer de nouveaux faits accomplis sur le terrain doivent être abordées avec plus de détermination de la part de la communauté internationale, au-delà des condamnations verbales. La Türkiye doit être tenue responsable et supporter les conséquences de ses actes illégaux et de son intransigeance qui compromettent gravement les perspectives de réunification de l’île. Je suis convaincu que votre rapport sur Famagouste enverra ce message clair à la Türkiye.
70. Par ailleurs, je tiens à citer également la lettre qui m’a été envoyée par la Municipalité de Famagouste le 15 mars 2024 présentant les positions de celle-ci, à la fois sur Varosha et sur le règlement global du problème chypriote, qui sont en ligne avec le Gouvernement de Chypre:
La municipalité de Famagouste réitère son appel pour:
- La cessation immédiate de toutes les activités unilatérales déplorables qui modifient le statu quo temporaire de Varosha en violation des résolutions pertinentes du Conseil de sécurité des Nations Unies 550 (1984) et 789 (1992) et cherchent à préparer la zone à sa colonisation illégale.
- Le retour à Varosha de ses habitants légitimes suite au transfert sans équivoque de la zone clôturée sous le contrôle de la Force de maintien de la paix des Nations Unies à Chypre, comme prescrit dans les résolutions susmentionnées.
- La fin de toutes les activités illégales turques qui accroissent les tensions sur et autour de l'île, créent un nouveau fait accompli partitionniste, modifient l'équilibre démographique sur l'île et compromettent les perspectives de reprise de négociations directes significatives, qui constituent la seule voie disponible pour la réunification de Chypre et de son peuple.
- La reprise immédiate de négociations substantielles sur la base de la solution convenue d'une fédération bicommunautaire bizonale avec une personnalité juridique internationale unique, une souveraineté et une citoyenneté uniques, ainsi que sur l'égalité politique entre les deux communautés, telle que définie par les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité des Nations Unies, et à partir du moment où elles se sont arrêtées à Crans Montana en 2017; donc, sur la base de la Déclaration commune des deux dirigeants de 2014, de son Cadre en Six Points du 30 juin 2017 et des convergences atteintes à la fin de la Conférence.
L'occupation militaire illégale de Chypre par la Türkiye depuis cinquante ans est inacceptable et doit immédiatement prendre fin. Les événements négatifs récents et croissants à Varosha, la partie clôturée de Famagouste, sont extrêmement alarmants et prouvent une fois de plus que le statu quo actuel n’est pas durable.
La municipalité de Famagouste souhaite souligner la grande valeur du soutien de la communauté internationale pour persuader la Türkiye d'abandonner et de mettre fin à ses activités illégales et de s'engager à reprendre des négociations significatives visant à un règlement global du problème chypriote décrit ci-dessus. C’est la seule manière d’avancer pour garantir la paix et la stabilité à Chypre et dans la région environnante.
71. Au cours de ma deuxième visite à Chypre, j’ai eu le privilège de rencontrer le Président Nikos Christodoulides à deux reprises et il m’a expliqué en détail sa position sur le problème global de règlement chypriote, y compris la question de Varosha qui revêt une importance symbolique pour les Chypriotes grecs. Les autorités de Chypre font preuve d’ouverture pour recommencer le processus politique de règlement et ont proposé tout un paquet de mesures de confiance envers les Chypriotes turcs. Elles sont prêtes à aller plus loin, en particulier pour ouvrir des passages supplémentaires entre les deux communautés, dont un spécifiquement réservé au commerce.

5.3. Position chypriote turque

72. Lors de mes entretiens avec des représentants chypriotes turcs au cours de la visite et ultérieurement, j’ai constaté qu’il y avait quelques divergences de vues au sujet de la solution globale du problème chypriote. L’actuel dirigeant chypriote turc, M. Ersin Tatar, s’est prononcé résolument en faveur de «deux États» et était opposé à la reprise des efforts pour trouver la solution dans le cadre des paramètres précédemment convenus, c’est à dire les résolutions des Nations Unies, le Plan Annan, la Déclaration commune des deux dirigeants de 2014 et du Cadre en Six Points de 2017. Il a insisté sur la reconnaissance de «l’égalité souveraine» et du «statut politique international égal» pour les Chypriotes turcs, comme condition de la reprise des négociations pour une «solution à deux États».
73. Les représentants des partis de la majorité étaient sur la même ligne; l’opposition avait une position plus nuancée et voyait la possibilité de reprendre le processus politique sur la base des paramètres convenus précédemment.
74. Cependant, sur la question spécifique de Varosha, le fait que cette question ne pourrait être réglée préalablement et en dehors de la solution globale fait un large consensus. Mes interlocuteurs ont souligné que le transfert de Varosha aux Chypriotes grecs avait été prévu dans le cadre de tous les projets précédents de règlement global du problème chypriote élaborés par les Nations Unies et mis en échec par la partie chypriote grecque.
75. Par ailleurs, mes interlocuteurs ont également mis l’accent sur les deux points suivants:
  • La grande partie des terrains à Varosha, comme ailleurs à Chypre, avait fait partie de la propriété des «fondations ottomanes», le transfert de propriété aux Chypriotes grecs par les Britanniques n’avait pas été légitime.
  • La Commission des biens immobiliers est la voie à suivre pour les Chypriotes grecs qui souhaitent récupérer leurs biens ou obtenir compensation.
76. Comme dans la section ci-dessus, je citerai les extraits de la lettre que M. Özdemir Berova, ancien représentant de la communauté chypriote turque auprès de notre Assemblée, m’a envoyée le 10 novembre 2022:
Maraş est une zone située sous la pleine souveraineté de la RTCN et les mesures prises par la RTCN dans la zone clôturée de Maraş ne portent pas atteinte aux droits de propriété individuels … la zone clôturée de Maraş est devenue un symbole majeur du statu quo sur l’île. Le rejet par la partie chypriote grecque de tous les projets de l'ONU visant à un accord global, ainsi que de toutes les mesures de confiance concernant, entre autres, la zone clôturée de Maraş, a laissé la zone sans surveillance pendant de nombreuses années. Il est indéniable que laisser la zone clôturée de Maraş fermée dans son état actuel n’est dans l’intérêt de personne.
Par conséquent, en juillet 2021, le gouvernement de la RTCN a levé le statut de zone militaire d’une zone pilote, qui correspond à 3,4 % de la zone clôturée de Maraş. Le but de cette décision était de permettre à la Commission des biens immobiliers (CBI) de traiter les demandes de propriété, ce qui n'était auparavant pas possible en raison du statut de zone militaire de la zone …
Comme on le sait, la CBI a été créée en 2005 par nos autorités pour évaluer les revendications immobilières du peuple chypriote grec, et a été acceptée comme recours interne effectif par la CEDH dans l'affaire Demopoulos en 2010, suivie de ses arrêts ultérieurs. Le 22 septembre 2022, le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe … a clôturé la supervision de l'exécution de l'arrêt dans l'affaire Loizidou et a, une fois de plus, réaffirmé l'efficacité de la CBI. Selon cette décision, les recours d'indemnisation et d'échange conformément à la loi CBI sont aussi valables et efficaces que le recours en restitution. Ainsi, l'efficacité des recours d'indemnisation et d'échange pour les réclamations de propriété a été une fois de plus réaffirmée …
Comme troisième point, qui concerne la «solution globale», je voudrais faire référence à une citation célèbre: «faire la même chose encore et encore et espérer le même résultat». En 2017, le conflit chypriote vieux de plusieurs décennies et les négociations de 50 ans pour le résoudre ont atteint une fin historique à Crans Montana. Cela est dû à l'incapacité de la partie chypriote grecque à démontrer la volonté politique nécessaire pour résoudre le problème sur la base d'une fédération bicommunautaire, bizonale, avec égalité politique et un nouveau partenariat …
Après l’échec des efforts déployés pour y parvenir au moyen d’un partenariat fédéral, nous devons maintenant orienter nos efforts vers la recherche de moyens nouveaux et réalistes de promouvoir le respect mutuel et la coexistence pacifique en tant que bons voisins. C’est à la fois notre vision et notre responsabilité envers les générations futures …
Au lendemain de la conférence de Crans Montana, le Secrétaire général de l'ONU a pris une nouvelle initiative pour lancer un exercice avec le mandat visant à rapprocher les deux parties, et un nouveau chapitre dans le problème chypriote a été ouvert. Conformément aux appels des secrétaires généraux de l'ONU aux deux côtés, à «sortir des sentiers battus» et à faire en sorte que «ce moment [soit] différent», la partie chypriote turque a présenté sa nouvelle vision lors de la réunion informelle des 5+ONU en 2021 … M. Ersin Tatar a expliqué en détail pourquoi le modèle fédéral n'avait pas réussi à apporter une solution à la question chypriote au cours des 50 dernières années, et a souligné que l'égalité souveraine et le statut international égal du peuple chypriote turc devaient d'abord être réaffirmés, puis les deux États pourraient lancer des négociations pour établir une relation de coopération.
77. Lors de ma deuxième visite à Chypre en mai 2024, j’ai eu le privilège de rencontrer à nouveau M. Tatar qui a réitéré son attitude sur le dossier de Varosha, qui consiste à affirmer que cette question ne peut être résolue que dans le cadre d’un règlement global du problème chypriote. Par ailleurs, M. Tatar a de nouveau insisté sur les conditions préalables nécessaires pour la reprise des négociations sur le problème de Chypre, à savoir la souveraineté égale des deux parties et la levée des blocages dont fait l’objet la partie chypriote turque, y compris en matière de commerce direct, des voyages internationaux directs et des contacts au niveau international. Enfin, M. Tatar a qualifié les mesures de confiance proposées par les autorités de la République de Chypre comme insuffisantes et n’ayant aucun impact positif sur la situation des Chypriotes turcs.
78. J’ai également reçu des commentaires écrits de la partie chypriote turque à la version précédente de l’avant-projet de mon rapport distribué au cours de la réunion de la commission des questions politiques et de la démocratie en avril 2024, et j’en suis reconnaissant à nos collègues chypriotes turcs. J’ai repris quelques-uns de ces commentaires dans la présente version. Cependant, j’ai décidé de ne pas citer ces commentaires en entier pour garder l’équilibre général du rapport.

5.4. Position de la Grèce

79. La Grèce soutient pleinement les efforts menés par l'ONU pour parvenir à un règlement mutuellement convenu sur la base des résolutions pertinentes du Conseil de sécurité de l'ONU. Elle estime que les négociations doivent reprendre le plus tôt possible, là où elles ont été interrompues à Crans Montana, dans le cadre de l'ONU et conformément aux résolutions pertinentes du Conseil de sécurité de l'ONU, qui appellent à une fédération bizonale et bicommunautaire, avec égalité politique mais une souveraineté, une personnalité internationale et une citoyenneté uniques.
80. Les représentants grecs ont fait valoir que la restitution de la ville clôturée de Varosha à ses habitants légitimes a été considérée comme une priorité par la communauté internationale, sans être liée au règlement de la question chypriote. Selon eux, la restitution de Varosha est considéré depuis des décennies par les Chypriotes grecs et la communauté internationale comme une condition sine qua non absolue pour un règlement mutuellement acceptable du problème chypriote. Ils ont rappelé que cette restitution a été convenue pour la première fois lors de l'accord de haut niveau de 1979 entre les dirigeants des deux communautés (Kyprianou – Denktas) et prévue par les résolutions 550 (1984) et 789 (1992) du Conseil de sécurité de l'ONU. Les gouvernements chypriotes successifs (2004, 2010, 2013, 2020, 2022) ont soumis des propositions concrètes, comme mesures de confiance, pour le retour de Varosha, offrant en échange des concessions concernant le fonctionnement du port de Famagouste et de l'aéroport de Tymbou dans les zones occupées.
81. Selon Athènes, la Türkiye et les dirigeants chypriotes turcs se sont activement engagés, ces dernières années, dans une campagne promotionnelle visant à modifier le cadre convenu des négociations pour une solution à la question chypriote. Un élément clé de cet effort est la tentative de changer le statut de Varosha, avec l'ouverture progressive de la «zone clôturée». Il s’agit d’une stratégie planifiée de longue date, initiée en 2020 et progressivement mise en œuvre depuis lors. En ouvrant progressivement Varosha, la Türkiye et les dirigeants chypriotes turcs testent les réactions internationales. À moins qu’il ne soit effectivement inversé, le même scénario pourrait être reproduit dans d’autres parties de la zone clôturée. Si la Türkiye installe illégalement une population autre que les habitants légaux dans la ville clôturée, aucune solution convenue à la question chypriote ne sera plus possible, en raison du profond poids matériel et émotionnel de Varosha pour les Chypriotes grecs.

5.5. Position de la Türkiye

82. La plupart des interlocuteurs que j’ai rencontrés à Ankara sont d’avis que le problème de Varosha ne peut être résolu en l’absence d’une solution globale de la question chypriote. S’agissant de cette dernière, ils maintiennent qu’elle a commencé au début des années 1960 avec des problèmes juridiques et administratifs, l'expulsion des Chypriotes turcs des organes et institutions de l'État partenaire ainsi que de leurs foyers, et les violations flagrantes de la Constitution de la République partenaire et des droits inhérents du peuple chypriote turc. Selon eux, de 1963 à 1974, les Chypriotes grecs ont mené une campagne armée de nettoyage ethnique contre les Chypriotes turcs. Des centaines de Chypriotes turcs auraient été victimes de ces attaques commises par les Chypriotes grecs.
83. Dans ce contexte, ils se réfèrent à la Résolution 573 (1974) 
			(17) 
			Résolution 573 (1974)
«Situation à Chypre et dans la région de la Méditerranée orientale»,
adoptée par la Commission permanente le 29 juillet 1974. de l’Assemblée, condamnant le coup d'État chypriote grec et reconnaissant explicitement que la Türkiye avait exercé son droit d'intervention conformément à l'article 4 du traité de garantie de 1960.
84. La Türkiye affirme que, tout au long de l’histoire, ce sont toujours les Chypriotes grecs qui ont rejeté toutes les solutions proposées à la question chypriote. Pour cette raison, la partie chypriote turque, consciente du fait qu'une fédération qui a échoué en 1963 ou une confédération n'est plus une option viable, prône une solution à deux États coexistant côte à côte, sur la base des principes d’égalité souveraine et favorisant la coopération entre eux.
85. Plus généralement, les interlocuteurs turcs affirment ne plus avoir confiance dans les Nations Unies et les efforts entrepris par plusieurs de leurs émissaires. Le récent incident à Pyla est cité comme le plus récent exemple du parti pris de l’ONU. Les propositions de faire passer Varosha sous contrôle des Nations Unies comme demandé par les résolutions 550 et 789 du Conseil de sécurité sont rejetées.
86. L’Union européenne n’inspire pas non plus confiance. L’épisode de 2004 est particulièrement marquant et est considéré comme une injustice: la communauté chypriote turque a été pénalisée malgré son vote en faveur du Plan Annan, alors que la partie chypriote grecque qui l’a rejeté a été gratifiée par l’adhésion à l’Union.
87. S’agissant de Varosha, la Türkiye maintient qu’il n'y a eu aucune violation des droits de propriété individuels avec la levée du statut de zone militaire à Varosha et son ouverture au public. Ces droits restent protégés et toutes les mesures sont prises avec un engagement à les respecter. De plus, la CBI, reconnue par la Cour européenne des droits de l'homme comme un recours interne efficace, traite activement les questions liées à la propriété. A ce propos, la Türkiye se réfère aux arrêts de la Cour 
			(18) 
			Décision Demopoulos et autres c. Turquie,
1er mars 2010. et aux documents du Comité des ministres pertinents 
			(19) 
			Résolution CM/ResDH(2022)255,
Exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, Loizidou c. Türkiye, 22 septembre
2022.. En conséquence, toutes les questions relatives à la propriété devraient être résolues par le recours à la CBI.
88. Finalement, il a été évoqué, à plusieurs reprises, que presque tous les terrains de la région de Varosha appartiennent à des fondations ottomanes. Cependant, ces propriétés ont été attribuées aux Grecs et aux Britanniques pendant la domination britannique de courte durée sur l'île, en violation des dispositions légales régissant les propriétés des fondations.

5.6. Position des Nations Unies

89. Les Nations Unies rappellent régulièrement la position sur Varosha contenue dans les résolutions pertinentes. Ainsi, dans son dernier rapport 
			(20) 
			Conseil de sécurité
– Rapport du Secrétaire général sur sa mission de bons offices à
Chypre; S/2024/13, 3 janvier 2024, para. 46. au Conseil de sécurité présenté en janvier 2024, le Secrétaire général a de nouveau exprimé sa préoccupation face à l’évolution de la situation dans la zone clôturée de Varosha et a noté que la position de l’ONU reste inchangée à cet égard. Il a rappelé les décisions du Conseil de sécurité sur la question, notamment les résolutions 550 (1984) et 789 (1992), et a insisté sur l’importance de respecter pleinement les dispositions de ces résolutions.
90. Dans la Résolution 2723 adoptée le 30 janvier 2024, le Conseil de sécurité «rappelle le statut de Varosha, tel que défini dans les résolutions pertinentes, dont les résolutions 550 (1984) et 789 (1992), ainsi que la déclaration de son Président (S/PRST/2021/13), qui condamne l’annonce faite le 20 juillet 2021 par les dirigeants turcs et les dirigeants chypriotes turcs de la réouverture d’une partie de la zone clôturée de Varosha; déplore vivement que des mesures unilatérales contraires à ses résolutions et déclarations précédentes sur Varosha continuent d’être prises et demande que l’on revienne immédiatement sur ces mesures et sur toutes celles qui ont été prises concernant Varosha depuis octobre 2020; regrette profondément qu’il ne soit toujours pas tenu compte de cette demande; met en garde contre tout nouvel acte contraire à ces résolutions concernant Varosha; insiste sur le fait que toute nouvelle mesure unilatérale pourrait entraîner une réponse de sa part; et souligne une fois de plus qu’il importe d’éviter tout acte unilatéral susceptible d’accroître les tensions sur l’île et de compromettre les perspectives d’un règlement pacifique.»
91. Ma deuxième visite à Chypre en mai 2024 a coïncidé avec la visite sur l’île de Mme María Angela Holguin Cuéllar, envoyée personnelle du Secrétaire général des Nations Unies désignée à cette fonction le 5 janvier 2024. Malheureusement, il n’a pas été possible d’organiser une réunion avec Mme Holguin à cause de nos agendas respectifs très chargés. Cependant, les échos de sa visite dont j’ai été informé ne sont pas optimistes et le blocage dans le processus politique semble toujours persister.

5.7. Position de l’Union européenne

92. L’Union européenne se prononce à différents niveaux, constamment et sans ambiguïté en faveur du règlement de la question chypriote en conformité avec les paramètres de base définis par les résolutions et autres documents pertinents des Nations Unies. Elle a la même approche en ce qui concerne le cas spécifique de Varosha.
93. La dernière Communication conjointe 
			(21) 
			Communication conjointe
au Conseil européen. État des relations entre l’UE et la Türkiye
dans les domaines politique, économique et commercial; JOIN(2023)
50 final, 29 novembre 2023. sur l’état des relations entre l’Union européenne et la Türkiye comporte une partie sur la question chypriote. En voici un extrait:
L’UE reste fermement attachée à un règlement global de la question chypriote, dans le cadre des Nations unies et conformément à l’acquis de l’UE ainsi qu’aux principes sur lesquels elle est fondée. L’UE a appelé de ses vœux, en dernier lieu dans les conclusions du Conseil européen de juin 2023, la reprise rapide des négociations et s’est déclarée prête à jouer un rôle actif de soutien à toutes les étapes du processus mené sous l’égide des Nations unies ainsi qu’à intensifier son aide sur le plan pratique pour faciliter un règlement global, en utilisant tous les moyens appropriés à sa disposition. La mobilisation et le soutien de l’UE en faveur du règlement de la question chypriote sont indispensables pour réduire les tensions dans la région. En outre, l’UE n’a cessé d’exprimer son soutien à l’Organisation des Nations unies dans les nouveaux efforts qu’elle déploie pour inciter les parties à s’asseoir à la table des négociations et, à cet égard, à l’appel à nommer un envoyé des Nations unies. L’UE est prête à appuyer le processus des Nations unies.
94. Répondant à une question de l'Agence de presse chypriote sur la position de l'Union européenne concernant Varosha, en mai 2022, le porte-parole de la Commission européenne, Stefan De Keersmaecker, a déclaré 
			(22) 
			«<a href='https://knews.kathimerini.com.cy/en/news/ec-actions-in-varosha-a-step-in-the-wrong-direction'>EC:
Actions in Varosha a step in the wrong direction</a>», Kathimerini Cyprus,
24 mai 2022<a href='https://knews.kathimerini.com.cy/en/news/ec-actions-in-varosha-a-step-in-the-wrong-direction'>.</a>: «Nous continuons à nous laisser guider par les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité de l'ONU concernant Varosha, qui considèrent les tentatives de d’installer dans une partie quelconque de la ville des personnes autres que ses habitants comme inadmissibles, et demandent le transfert de cette zone à l'administration des Nations Unies. Aucune action ne doit être menée en relation avec Varosha qui ne soit conforme à ces résolutions.»
95. Pour sa part, le Parlement européen a adopté en novembre 2020 la résolution «Escalade des tensions à Varosia à la suite des mesures illégales prises par la Türkiye et nécessité de rouvrir les pourparlers de toute urgence» 
			(23) 
			P9_TA(2020)0332; Escalade
des tensions à Varosia à la suite des mesures illégales prises par
la Türkiye et nécessité de rouvrir les pourparlers de toute urgence;
26 novembre 2020. dans laquelle il a condamné «les activités illégales de la Türkiye à Varosia, notamment sa «réouverture» partielle». Le Parlement européen souligne que la création d’un nouveau fait accompli sape la confiance mutuelle et la perspective d’une résolution globale du problème de Chypre, en altérant de façon négative la situation sur le terrain, en exacerbant les divisions et en ancrant la partition permanente de Chypre, et met en garde contre toute modification du statu quo à Varosia en contravention des résolutions susmentionnées du Conseil de sécurité de l’ONU. De plus, le Parlement s’inquiète de la possibilité que l’«ouverture» illégale de Varosia vise à modifier le statut de la propriété immobilière dans cette région, ce qui compromettrait les perspectives de retour de Varosia tel que prescrit par les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité de l’ONU ou dans le cadre d’une résolution globale du problème de Chypre. Il prie instamment la Türkiye de s’abstenir d’installer illégalement des personnes autres que les résidents légitimes à Varosha ou de demander à ces derniers de réinvestir leur foyer sous occupation militaire.

6. Conclusions

96. La question spécifique de Varosha est un aspect de la question générale de Chypre, qui, au bout de presque 50 ans, n’est toujours pas réglée, malgré les efforts importants et répétés de la communauté internationale.
97. L’ouverture partielle de la zone clôturée de Varosha qui constitue une violation grave des résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies est le signe d’un changement majeur de la position de la Türkiye sur Chypre et sape les chances de parvenir à un règlement global de la question chypriote, fondé sur les principes reconnus qui sont énoncés dans les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité des Nations Unies.
98. Dans le même temps, le cas spécifique de Varosha affecte directement les droits de ses habitants légitimes, ainsi que cela est souligné à juste titre dans la proposition à l’origine de ce rapport.
99. Pour résumer, pour la restitution de Varosha à ses habitants légitimes, il faut:
  • soit une solution négociée globale du problème de Chypre conforme aux documents pertinents des Nations Unies;
  • soit une solution partielle, par exemple la mise en œuvre des résolutions 550 et 789 du Conseil de sécurité qui placerait Varosha sous l’administration des Nations Unies;
  • soit une solution dans le cadre de la mise en œuvre d’un ensemble de mesures de confiance réciproques au bénéfice des deux communautés chypriotes et des autres acteurs impliqués, qui comprendraient, entre autres, la mise en œuvre des résolutions 550 et 789 du Conseil de sécurité des Nations Unies et la mise en œuvre effective du retour de Varosha à ses habitants légitimes.
100. Dans tous les cas, le rôle de la Türkiye est essentiel. Or, pour l’heure, la Türkiye ne montre aucune volonté de se conformer à ces résolutions, voire prend des démarches dans le sens opposé en insistant sur la solution à deux États.
101. J’appelle toutes les parties concernées à contribuer à la reprise rapide du processus politique et à s'abstenir de toute mesure unilatérale ou déclaration publique qui pourrait en compromettre les perspectives.
102. J’appelle également toutes les parties concernées à concevoir et mettre en œuvre un ensemble de mesures de confiance réciproques au bénéfice des deux communautés chypriotes et des autres acteurs impliqués, qui comprendraient, entre autres, la mise en œuvre des résolutions 550 et 789 du Conseil de sécurité des Nations Unies et la mise en œuvre effective du retour de Varosha à ses habitants légitimes.
103. Je salue toutes les initiatives visant à instaurer la confiance entre les communautés chypriote grecque et chypriote turque, telles que le dialogue direct et les projets pratiques de coopération bicommunautaire au niveau des municipalités, des partis politiques, des chefs religieux, du monde universitaire, des organisations de la société civile, de la jeunesse, etc.
104. Je félicite particulièrement les deux municipalités de Famagouste/Gazimağusa pour avoir établi un dialogue constructif et tourné vers l'avenir et les encourage à développer des projets bicommunautaires communs visant à préparer Famagouste, y compris Varosha, à un avenir commun après l'éventuelle solution de la question chypriote. J’appelle les dirigeants politiques des deux communautés à faciliter et à soutenir de tels projets.
105. Je salue également le dialogue direct entre les représentants des partis politiques chypriotes grecs et chypriotes turcs sous les auspices de l'ambassade de la République slovaque et j’encourage toutes les forces politiques des deux côtés à utiliser activement cette opportunité pour construire une compréhension mutuelle et dissiper la méfiance.
106. Enfin, j’appelle les dirigeants des deux communautés à reprendre leurs réunions et leur dialogue sur des questions pratiques dans l'intérêt de tous les Chypriotes, et à se réengager dans un processus politique sous les auspices et avec les bons services du Secrétaire général des Nations Unies.

Annexe – Avis divergent présenté par M. Yıldırım Tuğrul Türkeş, M. Namık Tan, Mme Sena Nur Çelik Kanat et M. Konur Alp Koçak, membres de la commission des questions politiques et de la démocratie, conformément à l’article 50.4 du Règlement de l’Assemblée

(open)

Il est regrettable que le rapport ne parvienne pas à retracer correctement les faits historiques et qu’il se concentre principalement sur les événements de 1974, en omettant d’évoquer les souffrances du peuple chypriote turc durant la période de 1963-1964 à 1974, qui a été décrite comme un véritable siège par le Secrétaire général des Nations Unies de l’époque (S/5950).

Le rapport perd également de vue qu’un règlement doit être négocié librement tout en étant mutuellement acceptable et que la communauté internationale est censée respecter la volonté du peuple chypriote turc et honorer les efforts qu’il déploie pour que ses droits inhérents, à savoir l’égalité souveraine et le statut international égal, soient garantis. Par ailleurs, après plus d’un demi-siècle de longues négociations, l’échec de la conférence qui s’est tenue à Crans‑Montana en 2017, malgré tout le travail constructif réalisé par la Türkiye et la partie chypriote turque, a marqué l’épuisement de la fédération bizonale et bicommunautaire.

Dans ce contexte, le rapport contient des déclarations et des commentaires totalement inexacts concernant le Président Erdoğan, qui a fermement soutenu le plan Annan en dépit d’une forte opposition politique dans son pays.

Pour ce qui concerne les droits de propriété dans la zone clôturée de Maraş/Varosha, l’approche constructive de la RTCN, qui envisage une ouverture progressive de la zone, est conforme au droit international et respecte les droits de propriété individuels protégés par la Convention européenne des droits de l’homme.

Il est important de rappeler qu’en 2005, la RTCN a créé la Commission des biens immobiliers (CBI) conformément à l’arrêt Xenides-Arestis de la Cour européenne des droits de l’homme, afin de répondre aux demandes des Chypriotes grecs désireux d’exercer leurs droits de propriété dès maintenant, plutôt que d’attendre une «solution politique».

Dans son arrêt Demopoulos de 2010, la Cour européenne des droits de l’homme a conclu que la CBI, qui examine les demandes de Chypriotes grecs concernant la restitution, l’échange et l’indemnisation de biens immobiliers, constituait un recours effectif. La Cour européenne des droits de l’homme a également constaté que le rôle de la CBI était effectif pour les biens situés dans la zone clôturée de Maraş/Varosha et que les propositions de la CBI concernant la perte d’utilisation de biens situés dans cette zone étaient conformes à la Convention européenne des droits de l’homme.

En juillet 2021, le statut de zone militaire d’un secteur pilote, correspondant à 3,4 % de la zone clôturée de Maraş/Varosha, a été levé, ce qui permet à la CBI d’accorder la restitution ainsi que l’indemnisation et l’échange de biens. Alors qu’actuellement plus de 513 demandes sur les 7 569 qui ont été déposées à la CBI sont liées à la zone clôturée de Maraş/Varosha, plus d’une quarantaine de ces demandes concernent des biens situés dans le secteur pilote.

Il convient en outre de souligner que cette approche est conforme à l’orientation générale des résolutions pertinentes du Conseil de sécurité des Nations Unies, qui, contrairement aux décisions et aux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, ont plutôt un caractère non contraignant. Il convient également de noter qu’au moment de l’adoption des résolutions pertinentes du CSNU, il n’existait pas de recours interne effectif pour les demandes concernant des biens en RTCN.

Il est en fait contraire à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme d’insister sur le règlement de la question de la zone clôturée de Maraş/Varosha en se fondant sur des résolutions obsolètes du CSNU, d’autant plus que cela nuit à l’effectivité du dispositif de la Cour européenne des droits de l’homme et à la crédibilité de l’Assemblée parlementaire.