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Proposition de résolution | Doc. 27 | 08 août 1950

Création d'une organisation européenne des marchés agricoles

Signataires : M. François de MENTHON, France

Exposé des motifs

Mesdames, Messieurs,

Un des fondements essentiels de l'unité économique de l'Europe serait l'organisation dans le cadre de l'Europe des marchés des principaux produits agricoles.

Les travaux do l'Organisation Européenne de Coopération Économique (O. E. C. E.) font apparaître la gravité et l'urgence du problème. Il ressort en elîet d'un rapport établi par les experts de l'O. E. C. E. en novembre 1949 que, même dans l'hypothèse où les programmes de production établis par les pays participants auraient été entièrement réalisés, le déficit alimentaire de l'Europe occidentale représenterait encore en 1952, terme du Plan Marshall, compte tenu de l'accroissement de la population, environ 5 milliards de dollars (dont 2,5 milliards en provenance do la zone dollar), chiffre sensiblement égal à celui de 1947.

Si ce déficit n'était pas réduit, l'Europe se trouverait à la fin de l'aide Marshall contrainte à un abaissement do son niveau de vie alimentaire. La hausse des prix agricoles déclancherait à nouveau le cycle de l'inflation avec ses conséquences économiques, sociales et politiques. Tout espoir de relèvement et d'union de l'Europe devrait alors être abandonné.

Le Conseil de l'O. E. C. E. a, en conséquence, invité les pays participants à envisager un effort supplémentaire afin de développer la production agricole au delà des prévisions des programmes nationaux antérieurement élaborés, l'objectif proposé étant de réduire de 2,5 milliards à 1.250 millions de dollars les importations payables en dollars.

Ces objectifs ne pourront être atteints qu'au prix d'un effort considérable accompli par les agriculteurs européens. Il appartient à chaque pays de mettre à leur disposition les moyens matériels dont ils auront besoin pour accroître leur production. Encore faudra-t-il qu'ils aient la volonté de produire davantage. Or, les experts de l'O. E. C. E. notaient eux-mêmes clans leur rapport de novembre 1949 que l'expansion de la production agricole risquait d'être compromise par la « méfiance paralysante des agriculteurs ».

Depuis 1948, année au cours de laquelle prit fin dans la plupart des pays d'Europe la pénurie alimentaire, il a suffi qu'apparaissent momentanément sur certains marchés des excédents de denrées pour que se produisent des baisses parfois excessives qui ont fait renaître dans l'esprit de nombreux agriculteurs la conviction ancienne, nourrie par le souvenir des crises d'autrefois, qu'il n'est pas pour l'agriculteur de pire danger que la surproduction. Ainsi, paradoxalement, au moment même où l'O. E. C. E. souligne la nécessité de pousser la production agricole européenne jusqu'à des niveaux qu'elle n'a jamais atteints, une inquiétude, que justifient les récentes crises de mévente, menace d'arrêter l'expansion agricole, voire même de rétrécir la production.

Pour résoudre cette contradiction, il n'est qu'un remède vraiment efficace : rendre confiance aux agriculteurs en leur donnant la certitude que l'effort de production supplémentaire qui leur est demandé ne tournera pas à leur ruine, Le progrès de la production agricole n'est possible que dans la sécurité. Cependant, l'expérience enseigne que les garanties de prix et les garanties d'écoulement d'ores et déjà accordées aux agriculteurs de certains pays donnent lieu à des difficultés. Parfois insolubles clans le cadre national, ces difficultés peuvent être résolues dans le cadre d'un marché plus vaste tel que le marché européen, où ressources et besoins s'équilibrent plus aisément.

Une organisation efficace et rationnelle des grands marchés agricoles européens implique nécessairement la création d'institutions appropriées qui seront chargées d'assurer l'écoulement régulier des produits et la stabilité des cours en procédant, s'il y a lieu, à des opérations de stockage et de report, de réaliser pour le compte commun des pays participants l'exportation des excédents et l'invportation des compléments, enfin de coordonner, le cas échéant, les plans de production établis par les divers pays.

Ces institutions devraient être conçues et dirigées dans l'intérêt commun des producteurs et des consommateurs. Aux producteurs elles assureront la sécurité sans laquelle l'expansion de la production s'avère impossible. Les consommateurs seront par elles protégés contre la pénurie et contre les fluctuations excessives des cours.

En principe leur action devra s'exercer non seulement en Europe mais aussi dans les territoires d'outre-mer unis aux pays participants. Ainsi tout en accroissant les possibilités de compensation et les chances d'équilibre, l'Europe accomplira sa mission à l'égard des populations d'outre-mer dont il lui incombe de relever le niveau de vie.

La nécessité de doter l'Europe d'une organisation institutionnelle des principaux marchés agricoles a été affirmée par le Mouvement européen à la Conférence de Westminster en avril 1949.

Elle a été reconnue par la Commission des Questions économiques du Conseil de l'Europe qui, en décembre 1949, a recommandé l'institution des comités des produits ayant pour but :

l'organisation des marchés,
la résorption des stocks anormaux,
l'analyse conjoncturalc des marchés et de la production mise à la portée des agriculteurs.

Le moment est venu d'entrer dans la phase des réalisations et c'est au Conseil de l'Europe qu'il appartient de convier tous les pays engagés dans la coopération économique européenne à entreprendre ce nouvel effort de création.

En premier lieu, il convient de créer un office européen du blé. Cette initiative apparaît en effet comme particulièrement nécessaire et urgente; la consommation de blé des pays participants à l'O. E. C. E. est évaluée (non compris leurs territoires d'outre-mer) à 47 millions de tonnes par an pour 1949-1950. Sur ce total, 15 millions de tonnes en moyenne doivent être achetées à des pays non participants, ce qui représente pour l'Europe occidentale une charge de 1.100 millions de dollars. Pour 1952, le déficit en blé est évalué à 13 millions de tonnes, représentant 950 millions de dollars.

Ces chiffres font apparaître à l'évidence la nécessité de développer la production européenne du blé. Or, l'existence dans certains pays d'un stock de report important apparaît déjà comme un péril qui, aux yeux de certains, justifie des mesures tendant à restreindre la production. Si nous nous engagions dans cette voie, nous trahirions notre devoir de solidarité européenne.

La création d'un office européen qui prendrait en charge la totalité de la production et donnerait aux producteurs une garantie d'écoulement totale, serait pour la production un encouragement puissant. Il apporterait ainsi une contribution décisive à l'équilibre économique de l'Europe en même temps qu'à son unité.

Il faut envisager aussi l'organisation dans le cadre européen des marchés suivants : produits laitiers, viandes, corps gras, aliments du bétail, sucre.

Pour chacun de ces produits, il faudra évidemment envisager des modalités techniques particulières, compte tenu de la nature particulière des problèmes à résoudre. Mais dans tous les cas l'objectif devra être d'assurer une production répondant aux besoins des consommateurs.

Les difficultés sont certaines, mais ceux qui se préoccupent de l'avenir de l'Europe sont dans l'obligation de les affronter. Il n'est pas pour les hommes d'État de devoir plus impérieux que de préserver les populations de l'Europe et de ses territoires d'outre-mer de la pénurie alimentaire qui les menacerait si la production agricole était abandonnée à la stagnation, voire à la régression.

Sans doute existe-t-il dans le vaste domaine de l'agriculture et de l'alimentation, bien d'autres problèmes à résoudre. Il est nécessaire de développer les échanges non seulement poulies produits agricoles de base visés par la présente résolution mais aussi pour d'autres produits agricoles qui tiennent dans les pays de production une place considérable : vins, fruits, légumes, etc.

Il est indispensable que, par la voie d'accords commerciaux ou par la libération des échanges, de nouveaux débouchés soient ouverts à ces produits. Cela implique que de nouvelles possibilités d'exportation soient créées pour les produits industriels susceptibles d'être échangés contre des produits agricoles.

La présente proposition a seulement pour objer d'établir, par la création d'institutions européennes nouvelles, les conditions, non pas suffisantes sans doute mais nécessaires, d'une expansion de la production des denrées agricoles de base dans le cadre d'un marché européen unifié et organisé.

Le problème que nous nous attachons à résoudre est un problème économique essentiel car tous les efforts entrepris par ailleurs pour rendre l'Europe économiquement viable seraient vains si la pénurie alimentaire engendrait à nouveau comme dans le passé le déséquilibre des prix et l'inflation. La recherche de l'unité économique de l'Europe serait également vaine si les marchés agricoles, au lieu d'être élargis et soumis à une organisation commune, restaient compartimentés et influencés par des politiques nationales disparates. Comme la gestion commune pour le charbon et la sidérurgie, nous considérons que l'organisation commune des grands marchés agricoles est un fondement indispensable de l'unité européenne.

C'est enfin un problème humain qui s'impose à notre attention puisqu'il s'agit d'assurer aux producteurs la sécurité de leur travail et aux consommateurs la stabilité de leur pouvoir d'achat, puisqu'il s'agit aussi de satisfaire les besoins élémentaires des peuples associés qui seraient hors d'état, s'ils étaient livrés à la disette, de défendre leur liberté.

Proposition de résolution

L'Assemblée Consultative recommande la création d'une organisation européenne des principaux marchés agricoles qui comprendrait notamment :

a. un office européen du blé qui prendrait en charge la production et donnerait aux producteurs une garantie d'écoulement totale;
b. des institutions européennes qui prendraient en charge l'organisation dans le cadre européen des marchés suivants : produits laitiers, sucres, viandes.

Tous ces organismes européens seraient placés sous une autorité commune.