1. Introduction
1. Le débat urgent sur le fonctionnement des institutions
démocratiques en Moldova a été proposé par le Groupe socialiste
en vue d’analyser la crise postélectorale qui, dans le pays, a suivi
les élections législatives du 5 avril 2009. Les élections étaient
placées sous l’observation d’une commission ad hoc du Bureau de l’Assemblée
parlementaire, présidée par M. David Wilshire (Royaume-Uni, GDE)
et composée de 14 membres de l’Assemblée
. Selon une pratique bien établie, cette question
a été transmise à la commission pour le respect des obligations
et engagements des Etats membres (commission de suivi) et, en notre
qualité de corapporteurs de la commission de suivi pour la Moldova,
nous avons été chargés d’élaborer un projet de rapport.
2. Le but du présent rapport est de résumer les événements survenus
après les élections législatives du 5 avril, tout en analysant les
défauts structurels dans le fonctionnement des institutions démocratiques
de la Moldova révélés par la crise postélectorale et en suggérant
un certain nombre de mesures concrètes à prendre par les autorités
moldoves, en coopération avec l’Assemblée et les organes compétents
du Conseil de l’Europe, pour éliminer les conséquences de la crise
et pour accélérer les indispensables réformes démocratiques. Ce
rapport ne modifie ni ne remplace, en aucun cas, celui de la commission
ad hoc sur l’observation des élections législatives du 5 avril 2009
en Moldova, commission dont les rapporteurs faisaient partie. Pour
éviter de faire double emploi, s’il y a lieu, nous nous référons
à ce rapport dans le présent document.
3. La Moldova fait l’objet d’une procédure de suivi depuis juillet
1995. Le dernier rapport sur le respect des obligations et engagements
de la Moldova a été examiné par l’Assemblée le 2 octobre 2007
. Dans sa
Résolution 1572 (2007), l’Assemblée félicite le Gouvernement moldove des sérieux
progrès réalisés sur la voie des réformes démocratiques et des importantes
mesures adoptées pour renforcer les institutions démocratiques et
respecter ses engagements à l’égard du Conseil de l’Europe.
4. Néanmoins, tout en saluant les autorités moldoves pour l’élaboration
et l’adoption de lois importantes, en concertation avec les organes
compétents du Conseil de l’Europe, l’Assemblée parlementaire notait
que la mise en œuvre effective de cette législation, ainsi que de
certaines réformes nécessaires, ne s’était toujours pas concrétisée.
En particulier, l’Assemblée relevait avec inquiétude qu’en Moldova,
le processus électoral souffrait d’un certain nombre de problèmes
structurels, notamment des intimidations et pressions exercées à l’encontre
des candidats lors de la campagne, un manque de pluralisme dans
la couverture médiatique de la campagne électorale et une application
inadéquate de certaines procédures électorales. En conséquence, l’Assemblée
invitait les autorités moldoves à soigneusement examiner les conclusions
des observateurs internationaux et à prendre les mesures nécessaires
pour éliminer tous les dysfonctionnements du processus électoral,
et ce avant les élections législatives de 2009. Nous avions alors
déjà insisté sur l’importance politique des élections de 2009.
5. Lors de notre visite à Chişinău, du 7 au 9 septembre 2008,
nous avons réaffirmé que les élections législatives de 2009 constitueraient
un test essentiel pour la démocratie en Moldova
. Par conséquent, nous espérions
que les élections législatives du 5 avril 2009 allaient encore renforcer
les institutions démocratiques du pays et contribuer à les faire
progresser sur la voie de l’intégration européenne. Nous constatons
que cet espoir était vain. Pour comprendre les raisons sous-jacentes
à la crise postélectorale et pour suggérer des moyens concrets d’aller
de l’avant, nous avons analysé les événements du 6 au 8 avril à
la lumière des engagements et des obligations contractés par la
Moldova, comme Etat membre du Conseil de l’Europe, en matière de
démocratie, d’Etat de droit et de droits de l’homme.
6. Nous tenons à remercier le président sortant du parlement,
M. Marian Lupu, et les membres de la délégation moldove auprès de
l’Assemblée, pour leur totale coopération et, en particulier, pour
avoir rapidement répondu à notre lettre du 15 avril et nous avoir
fourni des informations détaillées sur les mesures prises par les
autorités à la suite des événements du 7 avril 2009.
2. Elections
législatives du 5 avril 2009 et événements postélectoraux
7. Dans sa déclaration, la mission internationale d’observation
des élections (MIOE)
a estimé que «les élections législatives
qui ont eu lieu [en avril 2009] en Moldova ont respecté un grand
nombre de normes et engagements internationaux, mais que des progrès
supplémentaires sont indispensables pour garantir un processus électoral
libre de toute intervention indue de l’administration et pour accroître
la confiance de la population»
.
8. En outre, selon les observateurs, «les élections se sont déroulées
dans un contexte globalement pluraliste, proposant aux électeurs
des alternatives politiques distinctes. Le cadre juridique a offert
de manière générale un fondement satisfaisant pour le déroulement
d’élections démocratiques, bien que des recommandations importantes
faites dans le passé n’aient toujours pas été suivies d’effet. La
journée des élections a été bien organisée et s’est déroulée calmement
et paisiblement, sans qu’aucun incident notable n’ait été signalé.
Le vote et le dépouillement ont fait l’objet d’une évaluation positive
de la part des observateurs, malgré un nombre de dysfonctionnements
procéduraux importants. Les médias ont donné aux candidats la possibilité
de faire passer leurs messages, notamment grâce à des débats et
à du temps d’antenne payé. Les observateurs ont cependant constaté
que l’organisme de radiodiffusion d’Etat avait brouillé la distinction
entre la couverture des obligations officielles des responsables
nationaux et celle concernant leurs activités de campagne. La campagne
a été assombrie par de fréquentes allégations d’intimidation d’électeurs
et de candidats, et par des affirmations concernant l’abus de ressources administratives.
Certaines de ces allégations ont été vérifiées par les observateurs»
.
9. Déjà le 6 avril 2009, lorsque la Commission électorale centrale
(CEC) a annoncé les résultats préliminaires des élections, il est
clairement apparu que le Parti des communistes de Moldova (PCM) conserverait
une position forte. Selon la CEC, le PCM est arrivé en tête avec
49,48 % des votes; les principaux partis d’opposition se sont partagé
les deuxième, troisième et quatrième places avec, respectivement,
13,14 % des voix pour le Parti libéral (LP), 12,43 % pour le Parti
libéral-démocrate de Moldova (PLDM) et 9,77 % pour l’Alliance «Moldova
Nostra» («Notre Moldova») (AMN). Les autres partis ont réuni 3,70
et 0,17 % des votes, soit moins que le seuil électoral de 6 %. Le
taux de participation électoral est estimé à 59,50 %. A la suite
de ces élections, le PCM devrait occuper 60 sièges dans un parlement
composé de 101 membres; quant aux 41 sièges restants, ils se répartiront
entre le LP (15 sièges), le PLDM (15 sièges) et l’AMN (11 sièges).
Ainsi le PCM obtient-il une majorité absolue au nouveau parlement
– il ne lui manque qu’un seul siège pour obtenir la majorité qualifiée
des trois cinquièmes (61 sièges), nécessaire pour élire le Président
de l’Etat.
10. Aussitôt après l’annonce des résultats préliminaires, les
partis d’opposition se sont vigoureusement élevés contre la victoire
du PCM. M. Serafim Urechean, leader de l’AMN, reprochant aux élections
du 5 avril «leur manque de liberté et de régularité», a déclaré
qu’«une fraude généralisée avait entaché le jour des élections»
. Dans une conférence de presse donnée
le 6 avril, il a affirmé que les observateurs de l’AMN avaient relevé
de nombreuses infractions à la législation, tant le jour des élections
que tout au long de la campagne électorale, ajoutant que «les gens
allaient certainement participer à des manifestations d’envergure,
car ils étaient fatigués de cette vie et de ce Parti des communistes».
11. De son côté, M. Vlad Filat, président du PLDM, a déclaré que
«son parti ne reconnaissait pas le résultat des élections et allait
s’y opposer», annonçant dès le 6 avril 2009 dans une conférence
de presse, que le PLDM allait lancer des actions de protestation.
Il a précisé que son parti, après avoir examiné les résultats du dépouillement
parallèle mené dans certains bureaux de vote, avait «découvert de
graves infractions commises durant la campagne électorale». Il a
également évoqué «l’usage abusif de ressources administratives, l’utilisation
par les communistes d’importants apports financiers pour soudoyer
des électeurs et, enfin, l’ouverture d’affaires pénales dans le
but d’intimider certains chefs politiques d’opposition»
.
12. Lors d’une conférence de presse tenue le 7 avril 2009, M. Mihai
Ghimpu, leader du LP, a parlé de preuves concrètes de fraude électorale,
à savoir l’inscription de quelque 200 000 personnes au registre électoral
avec, pour seul justificatif, le «certificat de résidence» délivré
en annexe de la carte d’identité. Selon M. Ghimpu, des observateurs
ont relevé des cas précis à Ciocana, quartier de la capitale; ainsi,
un électeur s’est présenté au bureau de vote avec une carte d’identité
dotée de deux annexes et a choisi l’une d’elles pour voter. Autres
cas relevés par les observateurs: le vote de personnes inconnues
enregistrées comme résidant dans des appartements sans l’accord
des propriétaires. Selon M. Dorin Chirtoaca, vice-président du LP
et maire de Chişinău, «dans certaines villes, plus de 40 % des électeurs
figuraient sur des listes électorales supplémentaires»; ce qui,
à son avis, est une preuve manifeste des irrégularités du processus
électoral car, en moyenne, le nombre des électeurs inscrits sur
des listes supplémentaires ne devrait pas dépasser un maximum raisonnable
de 10 %
.
13. Aux déclarations personnelles prononcées par les leaders des
partis d’opposition a fait suite un mouvement populaire. Des jeunes,
organisés semble-t-il par le biais d’internet et de réseaux sociaux,
ont proclamé le 6 avril «journée de deuil». Mme Natalia Morari,
journaliste de la fondation «ThinkMoldova», et M. Ghenadie Brega,
de l’ONG «Hyde Park», auraient lancé un appel à des jeunes, via
internet et par SMS, pour se rassembler sur la grande place de Chişinău
autour de la statue de Stefan cel Mare et pour allumer une bougie
en protestation pacifique contre la victoire du PCM. Une foule de
jeunes s’est retrouvée sur le lieu de ralliement, brandissant et
hurlant des slogans anticommunistes et clamant haut et fort que
les élections étaient truquées. Cette manifestation s’est terminée
dans le calme et les jeunes ont quitté la place, résolus cependant à
poursuivre leur action de protestation le lendemain matin à 10 heures.
14. L’action de protestation a repris le 7 avril; vers midi, elle
aurait réuni quelque 10 000 jeunes sur la grande place, entre les
bâtiments de la présidence et du parlement. Les manifestants ont
ensuite été rejoints par les leaders des principaux partis d’opposition
(LP, PLDM et AMN), qui ont parlé d’irrégularités dans le processus électoral.
Alors que de nombreux jeunes ont protesté à coup de slogans anticommunistes,
certains auraient usé d’un discours proroumain («Nous sommes roumains!»,
«Unification!», etc.) et même, parfois, apporté des cartes de Roumanie
et des drapeaux roumains. Au dire de la majorité des observateurs,
les jeunes amassés dans les premiers rangs de la foule ont eu un
comportement agressif. Les institutions publiques ont été gardées
par des cordons de policiers apparemment beaucoup moins nombreux
que les manifestants.
15. Presque tous les observateurs sont unanimes: des individus
habillés de noir se sont mêlés aux manifestants, les incitant à
la violence et lançant des appels à l’agression physique. Qui étaient
ces individus? Quelles étaient vraiment leurs intentions? Là, en
revanche, les réponses divergent.
16. C’est vers 13 heures que la violence a commencé. Il semblerait
que, sous la pression et les provocations de certains individus
vêtus de noir, des manifestants se soient mis à lancer des pierres
sur le bâtiment présidentiel. La police n’a pas semblé être en mesure
de le protéger. Après de brèves échauffourées, les policiers se
sont retirés, laissant le bâtiment à la merci des manifestants.
Peu après, les drapeaux de l’Union européenne et de la Roumanie
se sont hissés sur le toit du bâtiment présidentiel par des manifestants
– aidés dans cette action, dit-on, par les policiers qui gardaient
le bâtiment.
17. Peu après, les manifestants ont attaqué le bâtiment du parlement.
La riposte des troupes de police protégeant le parlement a été la
même: après un affrontement bref mais violent, la police a battu
en retraite, abandonnant le bâtiment aux manifestants, qui l’ont
rapidement envahi, vandalisant les bureaux et détruisant du mobilier,
des équipements et des documents officiels. Du fait que la police
n’a pas semblé avoir déployé de réels efforts pour protéger les
bâtiments officiels, certains observateurs et experts indépendants
ont insinué que les manifestations pourraient avoir été l’œuvre
des autorités elles-mêmes. De leur côté, les autorités ont déclaré
que, pour éviter une escalade de la violence et tenter de calmer
les manifestants, elles avaient décidé de les laisser entrer dans
les bâtiments de la présidence et du parlement. Dans le même temps,
force est de constater que, d’après tous les rapports, les leaders
des principaux partis d’opposition présents sur les lieux auraient
tenté de calmer la foule déchaînée. Ils ont publiquement condamné
la violence après les manifestations. Les uns et les autres semblent
avoir été dépassés par ces événements.
18. Presque immédiatement, les autorités ont déclaré que les manifestations
violentes étaient le fait des leaders de l’opposition pour tenter
un coup d’Etat. Le Président Voronin, en particulier, a prétendu
que les autorités roumaines avaient participé à l’organisation des
émeutes.
19. Sur ce dernier point, nous sommes particulièrement inquiets
par la sérieuse détérioration des relations entre la Moldova et
la Roumanie. Au cours des événements violents du 7 avril, les deux
pays ont fermé leur frontière commune ainsi que, dès le lendemain,
la connexion ferroviaire entre Chişinău et Bucarest. Par la suite,
l’ambassadeur moldove en Roumanie a été rappelé à Chişinău pour
des consultations, tandis que l’ambassadeur roumain et le directeur
adjoint de la mission en Moldova étaient déclarés
personae non gratae.
C’est alors qu’a été mis en place
le régime de visa pour les ressortissants roumains séjournant en Moldova.
Résultat de cette mesure et de la
fermeture de la frontière: plusieurs journalistes roumains se sont
vu expulsés du pays et une vingtaine d’autres refoulés.
L’accusation du Président Voronin
quant à la participation de la Roumanie aux émeutes a provoqué la
colère des autorités roumaines.
Le
Parlement roumain, lors d’une réunion avec le Sénat et la Chambre
des députés, a adopté une déclaration commune rejetant toutes les accusations
et affirmant que les actions des autorités moldoves traduisaient
leur panique et leur impuissance.
Dans
son discours prononcé devant le Parlement roumain, M. Traian Basescu,
Président de la République, a déclaré que, si le Gouvernement moldove
continuait ses actions de répression, les autorités roumaines se
verraient contraintes d’invoquer l’article 7 de la Constitution
roumaine, en vertu duquel la Roumanie doit soutenir les populations
qui, en Moldova, se considèrent roumaines et se sentent roumaines
.
Par
la suite, le Gouvernement roumain a simplifié la procédure d’acquisition
de la citoyenneté roumaine pour certaines catégories de candidats,
en particulier pour les anciens citoyens roumains ayant acquis la
nationalité de naissance et l’ayant perdue pour des raisons indépendantes
de leur volonté ou par annulation sans leur consentement
.
20. Nous désapprouvons fermement la déclaration du Président Voronin
supposant la participation directe des autorités roumaines aux manifestations
violentes. C’est là une accusation très grave qui ne peut être prononcée
publiquement sans enquête sérieuse et approfondie. Pour autant,
la réaction des autorités roumaines nous paraît déplacée; elle n’a
fait qu’envenimer les relations entre les deux pays voisins au lieu
de calmer les tensions. La Moldova et la Roumanie ont une histoire
commune complexe et, lorsqu’ils évoquent les identités nationales
des deux pays, les responsables de part et d’autre de la frontière
doivent le faire en toute responsabilité et avec la plus grande
prudence. Il nous semble que, des deux côtés, il faut faire montre de
retenue et se conduire de manière responsable tant que dure l’examen
des événements du 7 avril et l’établissement de tous les faits.
21. Durant la nuit du 7 au 8 avril 2009, les forces de l’ordre
ont dispersé les manifestants encore rassemblés devant les bâtiments
de la présidence et du parlement. Elles auraient procédé à plus
de 200 arrestations. Dans la journée, les arrestations se sont multipliées
et les manifestants auraient, selon certains témoignages, été frappés
et emmenés dans des voitures de police. Selon certains rapports,
des manifestants auraient été brutalisés par des fonctionnaires
de police en civil. Au moins trois personnes auraient trouvé la
mort au cours des manifestations. Deux personnes auraient succombé
pendant leur garde à vue. La police a remis le corps d’un troisième
jeune homme à sa famille le 16 avril, mentionnant le suicide comme
cause officielle du décès – ce que la famille a réfuté, le corps
ne portant aucune marque au niveau du cou pour étayer cette thèse.Au cours des événements des 7 et
8 avril et immédiatement après, nous avons reçu un grand nombre
de recours de la part d’organismes de la société civile, de leaders
de l’opposition ainsi que d’organisations internationales.Certains des recours, en particulier
ceux transmis par le maire de Chişinău et vice-président du Parti
libéral, M. Dorin Chirtoaca, comportaient des informations sur des
cas de personnes tabassées et torturées durant leur garde à vue,
étayées par des témoignages et photographies. M. Chirtoaca nous
a informés que l’accès lui a été refusé aux commissariats de police
où il s’était rendu, en sa qualité de maire de Chişinău, afin d’obtenir
des informations sur les personnes arrêtées.Nous
sommes extrêmement préoccupés par ces allégations de violations
graves et généralisées des droits de l’homme.
22. Soucieux d’apaiser les tensions, le Président de Moldova,
M. Voronin, a demandé à la Cour constitutionnelle, le 10 avril 2009,
d’autoriser un recomptage complet de tous les bulletins de vote.
La Cour constitutionnelle a donné son autorisation le 12 avril et
la CEC a décidé de procéder au nouveau comptage le 15 avril. Les
partis d’opposition (LP, PLDM et AMN) ont refusé de participer à
l’opération. Cependant, le 10 avril 2009, ils ont demandé à la CEC
de pouvoir consulter et copier les listes électorales pour procéder
à de nouvelles vérifications. La CEC a donné son accord, mais le
PCM a contesté cette décision en justice, arguant que la CEC commettait
un abus de pouvoir (la loi n’autorisant pas à copier les listes
électorales) et affirmant que cet acte pouvait enfreindre la législation
sur la protection des données personnelles. Le recours a été accordé,
mais il semble que les représentants de l’opposition aient réussi,
entre-temps, à copier quelques extraits des listes électorales pour
certains secteurs.
23. Lors d’une conférence de presse tenue le 15 avril 2009, les
principaux partis d’opposition (PLDM, LP et AMN) ont évoqué des
allégations de graves irrégularités dans le processus électoral
– notamment votes multiples généralisés, vote sans les documents
d’identité adéquats, signatures contrefaites sur des listes électorales
et, enfin, plusieurs électeurs portant un même numéro d’identification.
La mission d’observation des élections du Bureau des institutions
démocratiques et des droits de l’homme de l’Organisation pour la sécurité
et la coopération en Europe (OSCE/BIDDH) a reçu des exemples d’inexactitudes
prétendument contenues dans les informations soumises par le ministère
du Développement et de l’Information aux pouvoirs locaux pour faciliter
l’établissement des listes électorales. S’appuyant sur des insuffisances
repérées dans les listes électorales, les experts de l’OSCE/BIDDH
ont tenté de vérifier un certain nombre de cas de vote prétendument
frauduleux. Malgré l’apparente crédibilité de la majorité des cas,
la documentation fournie par l’opposition à l’appui de ces plaintes
restait insuffisante; pour une évaluation probante, une analyse approfondie
s’impose
.
24. Le 21 avril 2009, la CEC a annoncé les résultats définitifs
du vote. Le recomptage a permis d’identifier quelques écarts par
rapport aux résultats initiaux, mais sans réelle importance et,
surtout, sans incidence sur la répartition des sièges au parlement:
le PCM doit obtenir 60 sièges, le LP et le PLDM, 15 sièges chacun
et, enfin, l’AMN, 11 sièges. Nous rappelons que le président du
parlement est élu à la majorité simple et qu’une majorité qualifiée
de 61 voix est requise pour l’élection du Président de la République.
Ainsi, la nouvelle majorité peut élire le président du parlement,
mais il manque une voix pour élire le Président de la République. Après
le recomptage, l’estimation du taux de participation est passée
à 57,54 %
. Les résultats définitifs ont été
transmis à la Cour constitutionnelle pour homologation. Reste que
trois membres de la CEC, MM. Nicolae Garbu, Mihai Busuleac et Vasile
Gafton, ont signé le protocole final avec des réserves, affirmant
que la CEC n’avait pas tenu compte d’un certain nombre d’inexactitudes
pouvant passer pour des falsifications. M. Garbu, qui a examiné
le procès-verbal des bureaux de vote dans cinq secteurs, a affirmé
que les signatures apposées sur les procès-verbaux du 15 avril différaient
de celles figurant sur les procès-verbaux du 5 avril; ce qui, à
son avis, pourrait laisser supposer des falsifications. Selon lui,
la CEC devrait demander à la Cour constitutionnelle un temps supplémentaire
pour procéder aux vérifications nécessaires et le bureau du procureur
général devrait enquêter sur les violations présumées
. Le 21 avril, le LP a déposé plainte
auprès de la CEC, affirmant avoir trouvé, après vérification de
25 % des registres électoraux, quelque 10 000 votes falsifiés. La
CEC aurait refusé d’examiner la plainte, au prétexte qu’aucune réclamation
n’était recevable après finalisation du recomptage des votes. Les
résultats des élections ont été validés par la Cour constitutionnelle
le 22 avril 2009.
3. Points laissant
à désirer dans le fonctionnement des institutions démocratiques,
soulignés par les développements postélectoraux
3.1. Insuffisances de
la législation électorale
25. Dans notre rapport de 2007 sur le respect des obligations
et des engagements de la Moldova, nous nous félicitions des modifications
apportées au Code électoral de la Moldova adopté en 2005, lequel
abaissait le seuil électoral de 6 % à 4 % pour les partis politiques,
et de 9-12 % à 8 % pour les coalitions de partis politiques. Cette
mesure visait à accroître le pluralisme au sein du parlement, sachant
que, à l’occasion des élections législatives de 2005, la proportion
de voix accordées aux candidats n’ayant pas réussi à atteindre ces seuils
s’élevait à 16,4 %.
26. En avril 2008, le Code électoral a été à nouveau modifié.
Si certaines modifications ont été saluées par la Commission de
Venise et l’OSCE/BIDDH, parce qu’elles apportaient des améliorations
techniques à l’organisation du processus électoral, plusieurs recommandations
importantes n’ont pas été suivies d’effet, tandis que d’autres n’ont
pas été prises en compte de manière satisfaisante
.
27. En particulier, le seuil de participation pour avoir accès
à l’attribution des sièges a été relevé une nouvelle fois à 6 %.
Les voix accordées aux candidats n’ayant pas réussi à atteindre
le seuil minimal sont redistribuées entre les partis politiques
autorisés à avoir accès à l’attribution des sièges selon la méthode d’Hondt.
En outre, la création de coalitions de partis politiques a été interdite.
L’effet combiné de ces mesures n’a pas aidé, selon nous, à accroître
le pluralisme au sein du parlement. Comme nous l’avons indiqué précédemment,
selon les résultats préliminaires annoncés par la CEC, seuls quatre
partis ont atteint le seuil et ont accès à l’attribution des sièges.
Les voix qui s’étaient portées sur les candidats n’ayant pas réussi
à atteindre le seuil représentent environ 15 % de l’ensemble des
suffrages exprimés. Par conséquent, nous sommes malheureusement
à nouveau dans l’obligation de réitérer l’évaluation que nous avions
faite après les élections législatives de 2005, à savoir que le
cadre législatif moldove régissant les élections ne crée pas les conditions
nécessaires pour que la pluralité des opinions soit représentée
au parlement. A cet égard, nous souhaitons réaffirmer la position
de l’Assemblée selon laquelle «dans les démocraties bien établies,
il ne devrait pas y avoir de seuils supérieurs à 3 % dans les élections
législatives»
,
et inviter instamment les autorités moldoves à modifier une nouvelle
fois le Code électoral, en collaboration avec la Commission de Venise,
afin d’ouvrir le processus politique à davantage de pluralisme.
28. Un autre amendement au Code électoral jugé préoccupant est
l’interdiction faite aux personnes ayant plusieurs nationalités
d’exercer des fonctions publiques, y compris de se porter candidates
aux élections législatives. L’article 75, paragraphe 3, du Code
électoral stipule qu’une personne possédant plusieurs nationalités
peut se présenter aux élections, sous réserve que, une fois élue,
elle renonce à ses nationalités autres que moldove. Dans l’affaire Tanase et Chirtoaca c. Moldova (arrêt
rendu le 18 novembre 2008, Requête no 7/08), la Cour européenne
des droits de l’homme a conclu que pareille exigence était contraire
à l’article 3 du Protocole additionnel de la Convention européenne
des droits de l’homme (CEDH), ainsi qu’à la Convention européenne
sur la nationalité, que la Moldova a ratifiée le 30 novembre 1999.
Selon les estimations, il y aurait 22 candidats possédant plusieurs
nationalités sur les listes des partis pouvant avoir accès à l’attribution
des sièges, sur la base des résultats préliminaires communiqués
par la CEC. Compte tenu du nombre assez élevé de citoyens moldoves
ayant plusieurs nationalités, nous pensons que le fait d’interdire
l’exercice de fonctions publiques aux citoyens moldoves possédant
plusieurs nationalités a un effet négatif sur la participation au processus
politique d’une large majorité de citoyens moldoves. C’est pourquoi
nous pensons que les exigences du Code électoral à cet égard devraient
être modifiées afin d’ouvrir à davantage de pluralisme.
29. Le 17 février 2009, les autorités moldoves ont fait appel
de la décision de la Cour européenne des droits de l’homme dans
l’affaire Tanase et Chirtoaca c. Moldova, qui
est désormais pendante devant la Grande Chambre. Nous attendrons
que la décision de la Grande Chambre soit rendue publique pour faire
connaître notre position définitive.
30. Enfin, l’exactitude des listes électorales est un troisième
sujet de préoccupation en ce qui concerne le processus électoral.
Selon les modifications apportées au Code électoral, il était prévu
qu’un «registre électoral électronique» soit mis en place en 2009.
Cependant, d’après nos informations, pour diverses raisons, y compris
financières, ce système n’avait pas été mis en place pour les élections
du 5 avril. Les listes électorales ont, par conséquent, été établies
sur la base du registre de la population permanent, régulièrement
mis à jour par le ministère du Développement et de l’Information.
31. La qualité du registre de la population varie selon les municipalités,
ce qui a des effets négatifs sur la qualité des listes électorales
et laisse la voie ouverte à des manipulations. Comme il est indiqué
dans le rapport du comité ad hoc sur l’observation des élections
législatives en Moldova
, la différence entre
le nombre d’électeurs inscrits sur les listes électorales établies
sur la base des registres municipaux et les données initiales de
la CEC établies sur la base des élections législatives de 2005 s’élève
à 315 641 électeurs, ce qui représente une augmentation de plus
de 10 % par rapport aux élections de 2005. Une telle différence
a été jugée très préoccupante par les observateurs et les dirigeants
des partis d’opposition, car elle remet en cause l’exactitude des
listes électorales.
32. Dans le cadre de l’observation des élections, nous avons vu
des gens voter avec leur carte d’identité alors qu’ils n’étaient
pas inscrits sur la liste électorale principale; leur nom était
ajouté à une «liste électorale complémentaire». Selon les données
préliminaires fournies par la CEC, 117 563 personnes ont été inscrites sur
ces listes complémentaires, ce qui représente environ 7,55 % des
électeurs ayant participé au scrutin. Nous estimons qu’il s’agit
là d’un pourcentage élevé. Dans le contexte de la Moldova, la difficulté
de vérifier de manière précise pourquoi autant électeurs n’étaient
pas inscrits sur la liste électorale principale tiendrait à ce qu’une
proportion importante de la population du pays vivrait à l’étranger.
Nous exhortons par conséquent les autorités moldoves à poursuivre
la réforme des listes électorales afin d’éliminer rapidement toutes
les inexactitudes, et à le faire en tout cas avant les prochaines
élections (qu’elles soient locales ou nationales).
3.2. Conditions de campagne
et absence de pluralisme des médias
33. Dans la note d’information sur notre visite d’information
en Moldova du 7 au 9 septembre 2008, nous avons fait remarquer que
«l’adoption d’une nouvelle législation [électorale] faisait partie
du processus de renforcement de la démocratie parlementaire» et
que «la législation doit être mise en œuvre de façon satisfaisante».
Nous avons aussi «appelé les autorités à créer un environnement
propice à la tenue d’élections démocratiques, libres et équitables
et à s’assurer que tous les candidats ont les mêmes droits et les
mêmes chances dans les processus électoraux», y compris en ce qui
concerne l’«accès aux médias»
.
34. Il apparaît que les autorités n’ont pas pleinement mis en
œuvre cette recommandation. Dans son Bilan des constatations et
conclusions préliminaires, la Mission internationale d’observation
des élections (MIOE) a fait remarquer que «si les élections se sont
déroulées dans un contexte globalement pluraliste, la campagne a
été assombrie par de fréquentes allégations d’intimidation d’électeurs
et de candidats, et de pressions exercées par la police, dont certaines
ont été vérifiées. Quelques mois avant les élections, des enquêtes criminelles
et fiscales ont été ouvertes à l’encontre de plusieurs dirigeants
de l’opposition et de militants des partis. Les candidats concernés
se sont plaints du fait que leur campagne ait été perturbée par
la crainte d’éventuelles répercussions»
.
35. En ce qui concerne le respect du pluralisme des médias, la
MIOE a observé que, bien que «les médias aient donné aux candidats
la possibilité de faire passer leurs messages, notamment grâce à
des débats et à du temps d’antenne payant», du temps de parole non
payant a été attribué par tirage au sort. Néanmoins, la MIOE a noté
que les chaînes financées par l’Etat avaient brouillé la distinction
entre la couverture des obligations officielles des responsables
nationaux et celle concernant leurs activités de campagne
. Des problèmes similaires avaient
été relevés au cours des élections locales de 2007
, et la télévision
publique ainsi que les chaînes de radiodiffusion Moldova 1 et Radio
Moldova continuent de ne pas s’acquitter pleinement des obligations
qui sont les leurs en tant que radiodiffuseurs de service public.
Mais, par ailleurs, il semble, de l’avis général, que l’opposition
ait choisi d’utiliser ces médias plus pour s’affronter que pour développer
ses programmes.
36. Il est donc clair que les mêmes problèmes relatifs aux conditions
de campagne et au pluralisme des médias pour les élections législatives
de 2009 avaient déjà été soulignés dans notre rapport précédent
sur le respect des obligations et des engagements de la Moldova
, débattu en octobre
2007. En ce qui concerne le contexte dans lequel se déroulent les
élections, dans sa Résolution 1572 (2007), l’Assemblée invitait
les autorités moldoves à «étudier attentivement et à prendre en
compte les conclusions des observateurs internationaux des élections
locales de juin 2007 afin de remédier à tous les points qui laissent
à désirer au regard des normes européennes en matière d’élections
démocratiques, de manière à organiser en 2009 des élections législatives
totalement libres, équitables et démocratiques»
. Malheureusement, nous devons constater,
avec regret, que les autorités n’ont pas mis en œuvre cette recommandation
de l’Assemblée.
3.3. Manque de confiance
dans les institutions et nécessité d’une vision commune de l’avenir
du pays
37. Si les insuffisances du cadre législatif, l’absence
de pluralisme des médias et les problèmes relatifs aux conditions
de campagne et stratégies des partis d’opposition constituent de
toute évidence de sérieux défis pour le bon fonctionnement des institutions
démocratiques moldoves, nous trouvons encore plus inquiétant le fait
que la population de la Moldova, particulièrement la jeune génération,
ait perdu confiance dans les institutions démocratiques du pays
et l’existence d’un processus politique normal. Comme nous l’avons
vu précédemment, les manifestations de masse, auxquelles ont participé
un grand nombre de jeunes, ont commencé de manière spontanée et
étaient motivées par un sentiment général de déception, parce que
les jeunes électeurs ne pouvaient pas s’identifier aux résultats
des élections ni avoir confiance dans le processus électoral. Selon
nous, cela montre que la population de la Moldova a un besoin urgent
d’une nouvelle vision partagée par tous pour l’avenir du pays, bâtie
autour de la démocratie et de l’intégration européenne.
38. Il est vrai que la «majorité présidentielle» de la précédente
législature (qui était composée du PCM et du Parti populaire démocrate-chrétien)
avait déclaré que l’intégration européenne était son objectif stratégique. Cependant,
le fait que ceux qui ont participé aux manifestations des 6 au 8
avril n’aient pas accepté les résultats des élections et la victoire
du Parti des communistes de Moldova pourrait indiquer que les avantages de
l’orientation stratégique du pays vers l’intégration européenne
ne sont pas, pour eux, clairement visibles et accessibles. Cette
situation est extrêmement préoccupante car, comme nous l’avons indiqué
dans nos précédents rapports, la Moldova a fait le choix de l’intégration
européenne.
39. En même temps, à la suite de nos fréquentes et longues discussions
avec des acteurs clés, des militants d’ONG et des citoyens ordinaires
de la Moldova, dans le cadre de nos nombreuses visites d’information
dans le pays, il nous a semblé que les électeurs ne considèrent
pas les programmes et les propositions des principaux partis d’opposition
comme une alternative politique crédible. Nous avons déjà relevé
dans notre rapport de visite en Moldova du 7 au 9 septembre 2008
que «les partis d’opposition ont de réelles difficultés à affirmer
leur aptitude à être l’alternance prochaine et à s’organiser dans
ce but»
. Nous pensons
que cette affirmation a été confirmée par les résultats des élections
législatives du 5 avril 2009 et par le fait que certains des leaders
d’hier ne soient plus aujourd’hui membres du parlement.
40. Dans ce contexte, nous considérons que l’élaboration d’une
vision commune pour l’avenir du pays, fondée sur les principes de
la démocratie de l’intégration européenne, est le défi le plus sérieux
à relever pour la période postélectorale et, à cet égard, nous invitons
toutes les parties prenantes à assumer leurs responsabilités et
à s’atteler sans plus tarder à la réalisation de cet objectif. Tout
en soulignant que la violence doit être condamnée sans équivoque
et que toutes les violations des droits de l’homme doivent faire
l’objet d’une enquête approfondie et que leurs auteurs doivent être
sanctionnés, nous pensons que l’ensemble des parties prenantes,
y compris la majorité parlementaire et l’opposition, ainsi que les
partis non représentés au parlement, devraient allier leurs efforts
pour réformer les institutions du pays afin de mettre en œuvre des normes
démocratiques et ouvrir le processus politique à davantage de pluralisme.
L’élection du Président du pays sera, selon nous, un moment important
de «renforcement de la confiance» entre la majorité et l’opposition,
ainsi qu’entre la société et les institutions. L’efficacité du dialogue
entre la majorité et l’opposition sur cette question importante
contribuera, en définitive, à rétablir la confiance des citoyens
dans l’Etat et à élaborer une nouvelle vision commune pour l’avenir
du pays.
41. L’élection prochaine du Président de la République va être
une nouvelle étape essentielle pour la Moldova. C’est au parlement
que se déroulera ce moment important et historique. Chacun doit
assumer pleinement ses responsabilités face à l’histoire de ce pays.
4. Graves inquiétudes
au sujet des atteintes aux droits de l’homme pendant la période
postélectorale
4.1. Allégations de
mauvais traitements et conditions de détention des personnes arrêtées
à la suite des événements du 7 avril 2009
42. Comme nous l’avons déjà mentionné plus avant, des
journalistes ainsi que des militants d’ONG nationales et internationales
ont apporté des preuves crédibles confirmant que quelque 200 personnes
ont été arrêtées par la police et fait l’objet de brutalités extrêmes
à la suite des événements du 7 avril. Selon le maire de Chişinău
et vice-président du Parti libéral, le nombre de personnes arrêtées
serait considérablement plus élevé. Dans une de ses déclarations,
il a mentionné le chiffre de 800 personnes. Il nous a informés que
son parti a créé une base de données qui inclut 318 cas de personnes
dont les droits auraient été violés. Le Parti libéral continue à
recueillir les témoignages. Amnesty International et la mission
de l’OSCE en Moldova ont identifié et confirmé un nombre important
de cas de mauvais traitements, torture et détention dans des conditions
inhumaines et dégradantes.
43. Selon le ministère moldove de l’Intérieur, à la date du 11
avril, 129 personnes étaient incarcérées, parmi lesquelles 88 avaient
été condamnées à la détention administrative pour deux à quinze
jours, 22 s’étaient vu infliger une amende et quatre personnes avaient
été relâchées. Quinze personnes n’avaient pas encore été inculpées.
Quatre-vingt-six autres, soupçonnées d’avoir commis des actes criminels,
ont été placées en détention.
44. D’après Amnesty International, les ONG locales ont reçu des
témoignages de plus de 100 détenus, de leurs familles ou avocats,
selon lesquels ils ont été battus ou ont fait l’objet d’actes de
torture et d’autres traitements cruels et dégradants
. L’expert des droits de l’homme
des Nations Unies, qui s’est rendu au Centre pénitencier no 13 (SIZO
no 13) où un très grand nombre des personnes qui ont été arrêtées
sont toujours incarcérées, ainsi que le Mécanisme national de prévention
contre la torture
,
a confirmé dans un rapport qui nous a été remis qu’il a lui-même
été témoin de châtiments cruels et inhabituels infligés aux détenus.
Selon ce même témoignage, les personnes arrêtées se plaignaient
d’avoir été détenues dans des conditions inhumaines, 25 à 28 personnes
étant entassées dans une cellule de 8 mètres carrés avec seulement
un accès limité à l’eau et aux installations sanitaires.
45. D’après les informations fournies par la mission de l’OSCE
en Moldova, le 10 avril, le vice-président du Mécanisme national
de prévention contre la torture affirmait que les avocats de la
défense n’avaient pas accès aux lieux de détention pour rencontrer
leurs clients, qui sont soumis à des interrogatoires sans la présence d’un
avocat. Les juges sont, semble-t-il, amenés dans les postes de police
pour décerner des mandats d’arrêt.
46. D’après les informations fournies par le bureau du procureur
général, à la date du 21 avril 2009, seuls les organisateurs des
actions de protestation et les personnes ayant un casier judiciaire
étaient encore détenus dans des institutions pénitentiaires. Quatre-vingt-dix-huit
personnes arrêtées à la suite des événements du 7 avril ont été
remises en liberté, selon une déclaration officielle. Le bureau
du procureur général aurait semble-t-il ordonné la libération des
détenus à la suite de l’appel du Président Voronin demandant l’amnistie des
participants aux émeutes dans un discours télévisé prononcé le 15
avril. A la suite de la déclaration du Président Voronin, la presse
se serait fait l’écho de propos de M. Marian Lupu, président du
parlement, sur la nécessité d’appliquer l’amnistie proposée non
seulement aux manifestants mais aussi aux policiers ayant pris part
aux événements violents.
47. Une enquête indépendante, transparente et crédible sur les
événements postélectoraux ainsi que sur les circonstances qui y
ont mené devrait être immédiatement engagée. Le droit de manifester
est essentiel en démocratie. Au demeurant, l’obligation d’un gouvernement
est aussi d’assurer justement le droit à la sécurité des citoyens
quand l’ordre public est troublé. Le respect de ces droits réciproques
se concilie toujours difficilement. Mais aucun droit n’autorise,
pour autant, à saccager et brûler les édifices publics comme le parlement
et le palais présidentiel, et à mettre en danger la vie de ceux
qui s’y trouvent. La vérité et la justice doivent s’exprimer, en
Moldova comme ailleurs. Nous exprimons notre préoccupation au sujet
de l’idée d’appliquer une amnistie aux fonctionnaires de police
impliqués dans les violences. Nous sommes d’accord avec Amnesty
International pour dire que «les amnisties pour de telles atteintes
aux libertés fondamentales sont contraires au droit international
et au devoir de l’Etat de traduire en justice les responsables de
tels actes et d’assurer réparation aux victimes»
. Toutes les allégations crédibles
d’atteintes aux droits de l’homme doivent aussi faire l’objet d’enquêtes
indépendantes, transparentes et approfondies, et ceux qui sont reconnus coupables
doivent faire l’objet de sanctions.
48. Pendant les jours qui ont suivi les événements du 7 avril
2009, nous avons reçu une lettre nous informant de l’arrestation
de l’ex-conseiller présidentiel, M. Sergiu Mocanu, sous l’inculpation
d’usurpation de l’autorité de l’Etat. Il est actuellement en détention
provisoire pour une durée de vingt-cinq jours. M. Mocanu prétend
qu’il n’a rien à voir avec les manifestations. Un autre procès très
médiatisé a été ouvert à l’encontre de M. Gabriel Stati, homme d’affaires
moldove de premier plan, qui a été arrêté à l’aéroport d’Odessa
le 9 avril. Le procureur général moldove a demandé l’extradition
de M. Stati vers la Moldova, au motif qu’il aurait participé à l’organisation
de trouble à l’ordre public.
49. Selon les informations fournies par la mission de l’OSCE en
Moldova, une enquête pénale aurait été ouverte à l’encontre de MM.
Vlad Filat, Alexandru Tanase et Vitali Nagacevschi, dirigeants du
Parti démocratique libéral, pour incitation au trouble à l’ordre
public. Le 9 avril, le fils de M. Nagacevschi a été arrêté et emmené
au commissariat central de Chişinău. Il a été placé en garde à vue
pendant une heure puis relâché.
50. Le 20 avril 2009, nous avons reçu copie d’un courrier adressé
par le ministère de la Justice aux ONG locales membres de la coalition
«Coalition civique pour des élections libres et équitables – Coalition
2009». Ces ONG étaient priées de fournir des informations sur les
mesures qu’elles auraient dû prendre, en vertu de la législation,
afin de prévenir et de faire cesser les événements violents du 7
avril 2009, en leur qualité d’«organisateurs» des manifestations
publiques, et ce dans les dix jours. Toutefois, en réponse à la
demande du ministère, la «Coalition civique pour des élections libres
et équitables – Coalition 2009» a déclaré qu’elle n’était pas l’organisatrice
de l’événement et que, par conséquent, elle n’avait rien à signaler
à ce sujet.
51. Nous condamnons vivement toutes les atteintes aux droits de
l’homme et demandons aux autorités compétentes de Moldova de mener
une enquête indépendante, transparente et approfondie pour faire
la lumière sur tous les cas signalés. Nous sommes particulièrement
préoccupés par le sort des jeunes, dont certains sont, semble-t-il,
encore incarcérés et ont subi des mauvais traitements. A ce propos,
nous demandons aux autorités moldoves de coopérer pleinement avec
le Comité pour la prévention de la torture et des peines ou traitements
inhumains et dégradants du Conseil de l’Europe (CPT). De même, nous
considérons que le ministère de la Justice et les autres autorités
compétentes devraient procéder à toutes les vérifications nécessaires
avant d’intenter des actions en justice contre les organisateurs
autorisés des actions de protestation. Les mesures prises par les
autorités devraient être totalement transparentes et viser à instaurer la
confiance entre les institutions et la société civile plutôt que
d’accroître les tensions existantes.
52. Nous avons appris que le Président Voronin a mis en place,
le 21 avril 2009, une commission étatique destinée à «rédiger des
mesures pour empêcher les actions anticonstitutionnelles et éliminer
leurs conséquences». M Vladimir Turcan, président de la Commission
des affaires juridiques du parlement et membre de la délégation
moldove auprès de l’Assemblée, a été nommé président de cette commission
qui réunit des parlementaires, des ministres ainsi que des représentants
de la société civile et des journalistes
. Si, en principe, la création d’une
commission mixte regroupant des politiciens, des fonctionnaires
de l’Etat et des militants de la société civile devrait contribuer
à restaurer la confiance dans les institutions et les processus démocratiques,
nous considérons que la création de la commission ne devrait en
aucun cas empêcher de mener des enquêtes sur de présumées atteintes
aux droits de l’homme ou justifier de ne pas prendre les mesures
qui s’imposent dans ce domaine. Le mandat de cette commission devrait
être clairement défini, ses membres devraient être nommés en toute
transparence et les garanties de l’indépendance de la commission devraient
être clairement établies. En particulier, la composition de la commission
devrait refléter la pluralité de vues existant dans la société moldove
et ne devrait pas comporter uniquement des personnalités politiques représentant
la majorité, mais aussi des représentants de l’opposition. Nous
restons à la disposition des autorités moldoves pour leur fournir
les conseils appropriés à ce sujet.
53. A la lumière de ce qui précède, il est évident que, malgré
le fait que les autorités ont, au cours des dernières années, entrepris
de réformer la police et les institutions pénitentiaires, des efforts
supplémentaires sont nécessaires. C’est pourquoi nous considérons
que, pour que des événements similaires ne puissent plus se reproduire,
les autorités devraient sans plus tarder élaborer un plan d’action
concret afin d’accélérer la réforme de la police et des institutions
pénitentiaires, en coopération avec le Conseil de l’Europe.
4.2. Restrictions de
l’accès à l’information et à la liberté des médias
54. A la suite des événements du 7 avril, nous avons
reçu de nombreux témoignages faisant état de restrictions à la liberté
des médias. Vingt journalistes roumains et trois membres de la télévision
géorgienne qui se rendaient à Chişinău pour un reportage auraient
été interdits d’entrée en Moldova. D’autres sont entrés librement.
Au moins cinq journalistes roumains qui se trouvaient déjà en Moldova
ont été sommés de quitter le pays après l’instauration du régime
de visas pour les ressortissants roumains le 9 avril 2009.
55. Selon certaines informations, pendant les événements des 7
au 10 avril, la police aurait été vue attaquer et menacer des journalistes,
ainsi que détruire du matériel de tournage et des cassettes
. Au moins trois journalistes ont
été interpellés puis relâchés et la police a procédé à une perquisition
dans l’appartement d’un journaliste.
56. A Chişinău, l’accès à internet par le réseau du fournisseur
d’accès national Moldtelecom aurait semble-t-il été interrompu le
7 avril et le matin du 8 avril. L’accès à certains sites web, notamment
le site de réseau social Facebook et de nouveaux sites d’opposition
au régime, tels que unimedia.md, ape.md, timpul.md, jurnaltv.md
et jurnal.md n’étaient temporairement plus accessibles le 11 avril.
57. Nous condamnons les restrictions susmentionnées à l’accès
à l’information et les atteintes à la liberté des médias, qui sont
inacceptables de la part d’un Etat membre du Conseil de l’Europe,
et attendons des autorités qu’elles prennent toutes les mesures
nécessaires pour éliminer les conséquences de ces violations. Nous
souscrivons, à ce propos, à la déclaration de notre collègue M.
Andrew McIntosh (Royaume-Uni, SOC), président de la sous-commission
des médias de l’Assemblée, qui a déclaré que «la liberté d’expression
et d’information est un des fondements de la démocratie. Pour rétablir
la confiance du public et la stabilité démocratique, il faut que
le public puisse obtenir des informations non restreintes, objectives
et fiables auprès de médias librement choisis»
.
5. Enjeux pour l’avenir
et recommandations
58. A la lumière de ce qui précède, nous pensons que
les problèmes structurels mis en évidence dans le présent rapport
ont sérieusement entamé la confiance des citoyens moldoves dans
le processus politique, ainsi que dans les institutions démocratiques
qui ne fonctionnent pas vraiment en conformité avec les normes démocratiques
et les principes de primauté du droit et de protection des droits
de l’homme. Le manque de confiance dans le processus démocratique
semble être à l’origine de la manifestation, qui a débuté le 6 avril 2009
devant les bâtiments de la présidence et du parlement, principalement
à l’initiative de jeunes qui n’acceptaient pas les résultats de
l’élection.
59. Il est regrettable que la manifestation pacifique spontanée
ait dégénéré, le 7 avril 2009, en attaque violente et dégradation
des bâtiments de la présidence et du parlement ainsi qu’en destruction
de la propriété publique. Le recours à la force disproportionnée
par les policiers lors de l’arrestation des manifestants et les mauvais
traitements signalés, voire la torture pratiquée pendant les détentions
qui ont suivi, sont encore plus regrettables et ne sauraient être
tolérés dans un Etat membre du Conseil de l’Europe qui aspire à
construire une société démocratique pluraliste, respectant les principes
de primauté du droit et de protection des droits de l’homme.
60. En vue de rétablir la confiance dans les institutions démocratiques
du pays, nous pensons que les autorités doivent, sans tarder, appliquer
pleinement les recommandations formulées dans la
Résolution 1572 (2007) de l’Assemblée.
61. Nous estimons également que les pays voisins de la Moldova,
notamment la Roumanie, l’Ukraine et la Russie, doivent jouer un
rôle constructif afin d’apaiser les tensions et favoriser un dialogue
entre tous les acteurs politiques, tout en respectant la souveraineté
et l’intégrité territoriale du pays.
62. En même temps, nous soulignons que tous les acteurs politiques
moldoves doivent assumer eux-mêmes leurs responsabilités afin de
résoudre la crise politique actuelle et redémarrer un processus
politique normal. Pour ce faire, nous recommandons que les mesures
prioritaires suivantes soient prises par les autorités ainsi que
toutes les parties prenantes politiques, y compris les partis d’opposition:
- tous les acteurs politiques
devraient reconnaître la décision de la Cour constitutionnelle confirmant
les résultats des élections; cela ne devrait pas être interprété
comme constituant l’obligation d’en agréer le bien-fondé. Tous ceux
qui contestent le résultat des élections ont le droit de remettre
en cause cette décision par tout moyen juridique à leur disposition,
y compris la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg;
- les autorités et tous les acteurs politiques devraient
immédiatement et résolument condamner la violence et s’engager à
utiliser uniquement des moyens politiques démocratiques pour défendre
leurs positions, idées et programmes;
- une enquête indépendante, transparente et crédible sur
les événements postélectoraux ainsi que sur les circonstances qui
y ont mené, doit être immédiatement engagée, en plus de l’instruction indépendante
sur toutes les allégations de violations des droits de l’homme susmentionnées;
- les parties qui ont franchi le seuil électoral et participeront
à l’attribution des sièges au parlement devraient entamer un dialogue
constructif dans le cadre du processus parlementaire afin de résoudre
la crise politique actuelle et remettre le processus politique sur
la bonne voie; le débat démocratique doit maintenant se dérouler
au parlement; l’élection du futur Président du pays devrait donner
l’occasion de rétablir la confiance dans le processus démocratique;
- parallèlement, la majorité parlementaire et l’opposition
devraient s’engager dans un vaste dialogue politique avec une large
participation des forces extraparlementaires et de la société civile
pour développer leur nouvelle vision de l’avenir du pays, sur la
base des principes démocratiques et de l’intégration européenne choisie;
- le nouveau parlement devrait rapidement élaborer et adopter
un plan d’action avec des mesures concrètes sur la mise en œuvre
des recommandations de l’Assemblée formulées dans cette résolution, ainsi
que sur les engagements pris mais pas encore honorés, conformément
à la Résolution 1572 (2007) sur le respect des obligations et des engagements de
la Moldova.
63. Nous considérons que l’Assemblée devrait rester saisie de
la situation en Moldova et inviter sa commission de suivi à examiner,
lors de sa prochaine réunion avant la partie de session du mois
de juin 2009, les progrès réalisés par les autorités moldoves dans
la mise en œuvre de la présente résolution et des résolutions précédentes,
ainsi que de proposer toute mesure supplémentaire que la situation
lui imposerait de prendre.
Commission chargée du rapport: commission
pour le respect des obligations et engagements des Etats membres
du Conseil de l’Europe (commission de suivi)
Renvoi en commission: Renvoi
3529 du 27 avril 2009
Projet de résolution approuvé
par la commission le 28 avril 2009
Membres de la commission: M.
Serhiy Holovaty (président),
M. György Frunda (1er vice-président), M. Konstantin
Kosachev (2e vice-président), M. Leonid Slutsky (3e vice-président),
M. Aydin Abbasov, M. Avet Adonts,
M. Pedro Agramunt, M. Miloš Aligrudić,
Mme Meritxell Batet Lamaña, M. Ryszard Bender,
M. József Berényi, M. Luc
VandenBrande,
M. Mevlüt Çavuşoğlu, M. Sergej
Chelemendik, Mme Lise Christoffersen, M.
Boriss Cilevičs, M. Georges Colombier,
M. Telmo Correia, Mme Herta Däubler-Gmelin, M. Joseph DebonoGrech,
M. Juris Dobelis, Mme Josette Durrieu, M. Mátyás Eörsi, Mme Mirjana Ferić-Vac, M. Giuseppe Galati,
M. Jean-Charles Gardetto, M. József Gedei, M. Marcel Glesener, M.
Charles Goerens, M. Andreas Gross, M. Michael Hagberg, M. Holger Haibach, Mme
Gultakin Hajibayli, M. Michael Hancock,
M. Davit Harutyunyan, Mme
Olha Herasym’yuk, M. Andres Herkel, M. Kastriot Islami, M. Mladen Ivanić, M. Miloš Jevtić, Mme Evguenia Jivkova, M. Emmanouil Kefaloyiannis, M. Hakki Keskin,
Mme Kateřina Konečná, M. Jaakko Laakso, Mme Sabine Leutheusser-Schnarrenberger, M. Göran Lindblad,
M. René van der Linden, M. Eduard Lintner,
M. Pietro Marcenaro, M. Bernard Marquet, M. Dick Marty, M. Miloš Melčák, M. Jean-Claude Mignon,
M. João Bosco Mota Amaral, Mme Yuliya Novikova,
M. Theodoros Pangalos, M. Alexander Pochinok,
M. Ivan Popescu, Mme Maria Postoico, M. Christos Pourgourides, M. John Prescott, Mme
Mailis Reps, M. Andrea Rigoni, M. Ilir Rusmali, M. Armen Rustamyan,
M. Indrek Saar, M. Oliver Sambevski,
M. Kimmo Sasi, M. Samad Seyidov,
M. Christoph Strässer, Mme
Chiora Taktakishvili, M.
Mihai Tudose, Mme Özlem Türköne, M. Egidijus Vareikis, M. José Vera Jardim,
M. Piotr Wach, M. Robert
Walter, M. David Wilshire,
Mme Renate Wohlwend, Mme Karin S. Woldseth,
Mme Gisela Wurm, M. Boris Zala, M. Andrej Zernovski.
N.B. Les noms des membres présents à la réunion sont indiqués en gras
Secrétariat de la commission: Mme
Chatzivassiliou, M. Klein, Mme Trévisan, M. Karpenko